OPINION AIDE MÉDICALE À MOURIR

« C’est long, mourir »

Quand il ne vous reste que la souffrance et la peur, pourquoi prolonger inutilement le supplice ?

Ma sœur et moi aimions discuter dans son joli jardin ou sur la terrasse devant le fleuve de son immeuble. Nous nous amusions à refaire le monde en toute humilité, toujours conscients que nous pouvions tout avoir faux.

Nos sujets de discussion étaient variés : l’actualité, les arts, l’éducation et la santé. Tous les deux jeunes retraités à l’automne de nos vies, au moment où tout prend une nouvelle coloration, nous prenions plaisir à jouer aux sociologues.

Un sujet d’actualité qui nous tenait à cœur était celui de l’aide médicale à mourir. Nous partagions tous les deux la même opinion, souhaitant ne jamais devoir vivre dans la douleur inutilement avant de mourir. Le débat autour de la question nous préoccupait.

Au-delà des questions légales et éthiques, le droit de pouvoir choisir de mourir dans la dignité nous apparaissait comme un droit fondamental.

Mais nous étions encore à des années-lumière de ce stade de nos vies.

Jusqu’au jour où ma sœur est devenue malade. Les premiers diagnostics évoquaient une bactérie à l’estomac. Voilà qui semblait banal ; des antibiotiques et un peu de temps allaient régler le problème. Comme le temps passait et que la situation ne s’améliorait pas, les médecins ont décidé d’enquêter plus en profondeur.

Et puis un jour de fin d’été, ma sœur s’est rendue au bureau du médecin, seule, convaincue que l’on allait lui prescrire un autre antibiotique plus efficace. Le verdict est tombé dans ce cabinet de médecin transformé en tribunal de la vie : cancer incurable du pancréas avec métastases au foie et à l’intestin. Les mots que nous ne voulons jamais entendre pour nous ou pour ceux que nous aimons. Le sombre pronostic ne laissait présager que quelques mois à vivre dans la douleur et la souffrance, avec comme seuls remèdes des cocktails de médicaments pour apaiser la douleur.

Du jour au lendemain nous voilà tous, famille et amis, plongés dans un tsunami dévastateur. Mais surtout, voilà ma sœur qui se retrouve devant le néant. Celui de savoir que la science ne peut rien pour vous et que le chemin qu’il vous reste à parcourir sera celui de l’anxiété, de la peur et surtout de la douleur. La seule avenue qui s’offre à vous s’appelle les soins palliatifs.

Ma sœur et moi aimions discuter dans son joli jardin. Nous avions une perspective bien différente de la réalité des soins de fin de vie. Des images du très beau film de Denys Arcand, Les invasions barbares, tournaient en boucle dans nos têtes. Alité devant la large fenêtre qui donnait sur le fleuve, Rémy faisait le bilan de sa vie entouré de ses amis. Les scènes étaient empreintes de douceur et de sérénité. Le scénario qui attendait ma sœur à l’unité des soins palliatifs était bien loin de celui du film.

Ma sœur aurait souhaité signer tous les documents officiels qui lui auraient permis de mettre fin à ce long métrage dont nous connaissions tous la fin atroce.

Durant les interminables semaines qu’aura duré son agonie, elle nous répétait inlassablement, « c’est long, mourir ». Quand il ne vous reste que la souffrance et la peur, pourquoi prolonger inutilement le supplice ?

Ma sœur aurait souhaité vous le dire elle-même, assise dans son joli jardin. Je lui tiens la main pour écrire ces quelques lignes, car je sais qu’elle souhaiterait que personne ne soit jamais privé de son droit fondamental de mourir dans la dignité.

Je t’aime, Monique.

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