achat d’une pharmacie

Millionnaires, les pharmaciens propriétaires ?

Faire ses études en pharmacie. Devenir pharmacien propriétaire. Travailler très dur. Bien gérer ses affaires. Ne pas compter ses heures. Et au bout d’une demi-douzaine d’années, devenir millionnaire.

Durant les années 90 et 2000, ce plan d’affaires a rendu bon nombre de pharmaciens propriétaires multimillionnaires en actifs. « Le prix des pharmacies a particulièrement augmenté entre 2005 et 2008 en raison de la guerre de parts de marché entre Jean Coutu et Pharmaprix, dit Pascal Bourque, courtier en pharmacies et associé chez Pharma Transac. Les pharmaciens propriétaires qui ont vendu avant 2008 ont réalisé des gains incroyables. »

Aujourd’hui, la valeur d’une pharmacie au Québec varie généralement entre 2 et 6 millions de dollars, en fonction de l’achalandage et des profits, selon nos informations. Les pharmacies se vendent entre 6 et 10 fois leurs profits (bénéfice avant impôts, intérêts et amortissement).

Selon une étude de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) obtenue par La Presse Affaires, chaque pharmacien propriétaire génère en moyenne des revenus annuels nets de 186 000 $, selon un sondage réalisé récemment auprès de 99 pharmacies. C’est presque autant qu’un médecin de famille, qui a des revenus nets de 193 953 $.

En plus de ses revenus annuels, un pharmacien propriétaire accumule chaque année des avoirs dans sa pharmacie (la partie de son prêt qu’il rembourse). Selon l’AQPP, une pharmacie a aussi un avoir propre moyen de 900 000 $ (la valeur de l’entreprise moins le prêt), accumulé en moyenne durant 8 ans. Il y a en moyenne 1,8 propriétaire par pharmacie.

Les dirigeants des principales enseignes de pharmacies ne croient pas que la plupart de leurs membres soient millionnaires en actifs.

« Est-ce que le pharmacien a un actif de quelques millions à la fin ? Oui, comme tout le monde qui a développé son entreprise. Ce sont des entrepreneurs qui ont investi des millions de dollars. Il y a des transactions qui ont été bonnes, d’autres non. »

— Albert Falardeau, président de Familiprix

« J’ai un ami enseignant qui vient de prendre sa retraite, et on a calculé que son fonds de pension lui paiera 1,2 million s’il vit jusqu’à 80 ans. Est-il millionnaire pour autant ? Il faut mettre les choses en perspective », dit Jean Bourcier, vice-président exécutif et directeur général de l’AQPP.

PLUS DIFFICILE POUR LES NOUVEAUX PROPRIÉTAIRES

Depuis cinq ans, les pharmaciens qui deviennent propriétaires font face à un contexte financier plus serré. « Les gens qui s’enrichissent le font en travaillant très fort. Les nouveaux projets ont une rentabilité moins grande. C’est loin d’être évident pour un jeune qui se lance », dit le courtier Pascal Bourque. « Ça coûte très cher. Le pharmacien prend un risque financier très grand aujourd’hui », dit Albert Falardeau, président de Familiprix.

David Pilette, 44 ans, et Nabil Chikh, 34 ans, en savent quelque chose. Le premier a tenté d’acheter une pharmacie à Montréal au cours des dernières années. « J’ai regardé cinq ou six projets et ce n’était pas rentable en raison du coût des loyers et des taxes », dit David Pilette. Nabil Chikh, lui, est pharmacien propriétaire depuis 10 ans et a revendu 2 pharmacies sans faire de profit. Certaines années, ses pharmaciens salariés ont davantage de revenus que lui.

« Comme pharmacien propriétaire, on peut dégager des revenus très honorables par rapport à l’ensemble de la société québécoise. Mais être dans la catégorie des millionnaires ? Ça ne correspond pas à ma réalité. »

— Nabil Chikh, pharmacien propriétaire depuis dix ans

En raison de la hausse de leur valeur, les pharmacies sont désormais financées par des prêts d’une durée de 10 à 12 ans. Avant 2005, les pharmaciens se payaient sur 7 ans au maximum, parfois moins. Et avec le projet de loi 28 qui réduit certains honoraires, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires calcule un manque à gagner de 100 000 $ par pharmacie. « Les pharmaciens propriétaires qui ont acheté des pharmacies depuis 4-5 ans l’ont fait dans un marché en équilibre que le projet de loi 28 est en train de changer. Ils vont probablement être obligés de revoir leur endettement », dit Philippe Duval, président et chef de la direction d’Uniprix.

Une chose qui n’a pas changé : les pharmaciens propriétaires font de plus longues heures, héritent souvent des plages horaires les moins intéressantes et se versent un salaire inférieur à celui d’un pharmacien salarié pendant les premières années. « Ils acceptent une réduction de leur train de vie. On ne rejoint pas nos clients en vacances en Floride », dit Marc Jarry, courtier en pharmacies et associé chez Pharma Transac.

Malgré les inconvénients, être propriétaire d’une pharmacie reste généralement une bonne affaire sur le plan financier, même si la belle époque des années 2000 est révolue. « Ç’a déjà été un sure bet, dit Jean Bourcier, de l’AQPP. Ce ne l’est plus. Et ça ne le sera plus. »

DEUX MODÈLES D’AFFAIRES

Au Québec, toutes les pharmacies doivent être la propriété d’un pharmacien. Mais il existe principalement deux modèles d’affaires :  les enseignes en Bourse, comme Jean Coutu et Pharmaprix, ainsi que les enseignes indépendantes, comme Uniprix, Familiprix, Brunet et Proxim. Les indépendantes se targuent d’offrir des services à un coût plus bas que les enseignes inscrites en Bourse. Autre distinction d’importance quand vient le temps de revendre sa pharmacie : les pharmaciens propriétaires associés à Jean Coutu et Pharmaprix doivent revendre à un pharmacien qui doit garder la même enseigne, ce qui élimine la surenchère. Les indépendantes, elles, n’ont généralement qu’un droit de premier refus, ce qui permet à un pharmacien associé à une autre enseigne de déposer une offre et de faire monter les enchères. Au milieu des années 2000, Jean Coutu et Pharmaprix ont ainsi pu déposer plusieurs offres sur des pharmacies indépendantes, faisant monter la valeur des pharmacies.

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