Opinion  Fraude alimentaire

Une question de confiance

Pour les consommateurs ayant peu accès à l’appareillage de la chaîne d’approvisionnement en amont, suspecter une fraude est pratiquement impossible.

De manière générale, les Canadiens ne pensent pas à la fraude alimentaire, et la plupart du temps, les consommateurs ne doutent pas de l’origine des aliments qu’on leur propose. Or, la fraude alimentaire existe et personne n’est à l’abri. Toutefois, nous ne connaissons pas l’ampleur du problème.

En 2013, l’Europe a vécu son scandale de fraude alimentaire lorsque de la viande d’âne, de serpent et de rat avait été trouvée dans divers produits. Depuis, les cas de fraudes se multiplient sur le Vieux Continent et selon toute vraisemblance, le continent nord-américain pourrait subir le même sort.

D’ailleurs, une entreprise ontarienne a récemment été condamnée et doit maintenant verser une amende de 1,5 million pour avoir prétendu que des tomates mexicaines étaient canadiennes. C’est une somme record au Canada. De plus, comme l’a rapporté Stéphanie Bérubé dans La Presse la semaine dernière, cette entreprise qui vend et distribue des légumes au Canada sera en probation pour une période de trois ans. Bien que l’entreprise accepte le blâme, elle justifie son erreur par un problème informatique. Cette déclaration simpliste indique que l’entreprise n’accepte aucunement que ses actions aient été délibérées.

Évidemment, il est toujours difficile de démontrer que les intentions sous-jacentes à des actions frauduleuses sont de nature criminelle.

Dans la plupart des cas, une enquête nécessite l’existence d’un informateur à l’interne qui lui-même doute des pratiques de son employeur. En effet, dans un secteur dont la précarité d’emploi est une réalité, ceux-ci se font plutôt rares. De plus, pour les consommateurs ayant peu accès à l’appareillage de la chaîne d’approvisionnement en amont, suspecter une fraude est pratiquement impossible.

Or, il n’y a pas de doute, le régulateur public, en l’occurrence l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), tenait à envoyer un message clair à l’industrie. Une plus grande conscientisation collective générera sûrement d’autres cas.

EN ATTENDANT LA TECHNOLOGIE...

Par ailleurs, il y a quelques semaines, le consulat italien au Canada annonçait que les Canadiens achetaient, à l’heure actuelle, pour plus de 3 milliards de produits alimentaires italiens falsifiés, altérés ou même mal étiquetés. Pour les Italiens qui misent sur l’agroalimentaire afin d’agrémenter leur image de marque nationale, c’est un constat inquiétant.

Au Canada, une étude récente basée sur des tests d’ADN a démontré que plus de 36 % des échantillons analysés indiquaient le mauvais type de poisson sur l’emballage. Plus d’un paquet sur trois.

La fraude alimentaire se traduit de plusieurs façons : falsification, substitution d’ingrédients ou mauvaise représentation d’un produit. Le nombre de rapports qui montrent que le problème de fraude alimentaire est manifeste croît à un rythme important. 

Un jour, les consommateurs auront accès à une technologie qui permettra de valider les étiquettes alimentaires en magasin, en temps réel. Ainsi, ils pourraient devenir les régulateurs les plus infaillibles du système, même si nous ne sommes pas rendus là. Ce qui n’empêche pas l’ACIA de travailler de concert avec les services de sécurité publics et l’industrie afin de réduire les risques de fraude. L’industrie de la distribution, consciente du problème, vérifie davantage et applique une plus grande rigueur à sa stratégie d’approvisionnement. 

Cependant, régler le problème en restauration et chez les petits marchands est moins évident. Dans la plupart des cas, le marchand ignore tout simplement que ses produits sont frauduleux, puisque la vérification est une opération onéreuse et peu pratique.

UNE FRAUDE QUI NE DATE PAS D’HIER

À cet effet, il est important de préciser que la fraude alimentaire ne date pas d’hier. En effet, les premiers cas qui ont été répertoriés datent du temps des Romains. À l’époque, certains vins et huiles avaient altéré la quantité de produits disponibles. Toutefois, la technologie n’est pas celle que l’on connaît aujourd’hui, et la traçabilité a évolué au rythme des exigences. Mais avant tout, c’est l’avenir du secteur qui est en jeu.

Bref, la fraude alimentaire remet en question le contrat moral qui existe entre l’industrie et les consommateurs. Sans ce contrat, les aspects qui mettent en valeur l’hétérogénéité de notre alimentation – pensons aux produits locaux, biologiques et autres – n’ont plus une grande signification. Enfin, puisque nous vivons plus vieux et mangeons moins, la prospérité financière du secteur agroalimentaire se fie à la reconnaissance d’un marché plus fragmenté.

Or, pour profiter de ces occasions, les consommateurs doivent être en confiance.

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