Chronique

Les vieux et le travail

Au Québec, c’est connu, les travailleurs prennent leur retraite plus tôt qu’ailleurs pour une foule de raisons. Ce phénomène préoccupe les économistes depuis longtemps, car ce départ hâtif mine la croissance économique et, en conséquence, notre capacité à financer les services publics.

Or, bonne nouvelle, une récente étude conclut que ce phénomène tend à s’inverser au Québec. La raison ? Les Québécois sont proportionnellement plus nombreux à faire de longues études, notamment universitaires, et cette catégorie de travailleurs reste plus longtemps sur le marché du travail. Ce changement améliorera les perspectives économiques d’ici 2050 alors qu’on s’attendait à l’inverse, en raison du vieillissement de la population.

L’étude a été réalisée par une équipe de cinq chercheurs, notamment l’économiste Pierre-Carl Michaud, de l’UQAM. Leur étude a été réalisée sous le chapeau de la Chaire de recherche Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques.

D’abord, le constat. Seulement 54,1 % des Québécois de 55 à 64 ans travaillent, un taux bien moindre qu’ailleurs (1). La moyenne canadienne est de 58,7 %, tandis que le taux d’emploi de cette tranche d’âge grimpe à 60 % aux États-Unis, à 65,1 % au Japon, à 69,5 % en Suède et même jusqu’à 79,5 % en Islande.

Depuis quelques années, constatent les chercheurs, les travailleurs expérimentés ont tendance à travailler plus longtemps qu’avant. Ils expliquent cette hausse par trois facteurs : une hausse du degré de scolarité, des régimes de retraite moins généreux et des changements dans la nature du travail (physiquement moins exigeants).

Or, ces changements devraient se poursuivre au cours des prochaines années, particulièrement en ce qui concerne le niveau d’éducation. En 2014, 23,6 % des Québécois âgés de 55 à 64 ans étaient titulaires d’un diplôme universitaire. Cette proportion est plutôt de 36,2 % chez les 35-44 ans, une cohorte qui aura 55 à 64 ans dans 10 à 20 ans.

Avec leur modèle économique hyper sophistiqué, baptisé SIMUL, les chercheurs ont justement simulé l’impact de la croissance du taux de diplômés universitaires sur le taux d’emploi au cours des prochaines années. SIMUL prend en compte une série de facteurs, notamment le taux de naissances, l’immigration, la formation de ménages, l’éducation et les tendances de l’emploi.

Selon ce modèle SIMUL, 53 % des 35-44 ans auront un diplôme universitaire en 2050 et 45,5 % des 55-64 ans. « Puisque les taux d’emploi, en particulier pour les travailleurs expérimentés, sont plus élevés chez les individus ayant un niveau d’éducation supérieur, on peut s’attendre à une hausse de l’emploi des suites de cet effet de composition », écrivent-ils.

Ainsi, ils estiment que plus des deux tiers des Québécois de 55 à 64 ans travailleront en 2050, soit un bond de 13 points par rapport à aujourd’hui. Cette hausse appréciable aura pour conséquence d’annuler les effets du vieillissement de la population sur l’emploi au cours des prochaines années.

De fait, si la proportion de travailleurs expérimentés sur le marché du travail demeurait constante, entre autres, les chercheurs estiment qu’il n’y aurait pratiquement pas de croissance de l’emploi au Québec d’ici 20 ans.

En revanche, si les 55-64 ans prolongent leur carrière, leur modèle SIMUL estime que la croissance annuelle de l’emploi serait de 0,19 à 0,27 % d’ici 20 ans et grimperait même à 0,41 % entre 2035 et 2050.

Cette différence a un impact majeur sur la croissance économique. À partir de 2035, par exemple, cette croissance de l’emploi plus soutenue ajouterait annuellement 0,3 point de pourcentage à la croissance du PIB.

Cette croissance économique permettrait de mieux nourrir nos services publics. En effet, chaque écart d’un point de pourcentage de la croissance économique ajoute environ 550 millions de revenus autonomes dans les coffres de l’État, selon les chiffres de 2015 du ministère des Finances du Québec.

Pour tester leur modèle, les chercheurs ont comparé leurs projections de taux d’emploi à celles de la Régie des rentes du Québec (RRQ), qui analyse également cette question. Or, le prolongement de carrière des 55-64 ans projetés par la RRQ suggérerait également une croissance de l’emploi à partir de 2025, bien que moins forte que le modèle des chercheurs.

Bref, au cours des prochaines années, le Québec fera face à une importante cohorte de nouveaux retraités en raison du vieillissement de la population. Cependant, les chercheurs estiment que le degré d’éducation plus élevé des travailleurs expérimentés fera plus qu’annuler les effets de ce vieillissement de la population.

1- Les taux d’emploi comparés de l’étude datent de 2011.

TAUX D’EMPLOI CHEZ LES 55-64 ANS DANS LE MONDE

Italie 37,9 %

Grèce 39,4 %

France 41,4 %

Québec 54,1 %

OCDE 54,4 %

Royaume-Uni 56,8 %

Canada 58,7 %

Allemagne 59,9 %

États-Unis 60,0 %

Japon 65,1 %

Norvège 69,6 %

Suède 72,5 %

Islande 79,5 %

Source : Chiffres de l’OCDE repris par la Chaire de recherche Industrielle-Alliance

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