Société

Les petits miracles de la Maison des Sourds

Peu après son arrivée à la Maison des Sourds de Montréal, Jacinthe Gravel s’est exclamée : « Enfin un endroit où je peux être moi-même ! » Depuis trois ans, elle profite d’un lieu de vie entièrement adapté à ses besoins, le seul endroit du genre au Canada.

Quand on sonne à la porte de l’immeuble, à l’angle du boulevard Crémazie et de la rue de Bordeaux, une lumière scintillante avise la résidante qu’il y a quelqu’un. Une caméra lui permet ensuite de voir qui se trouve à l’entrée. « Ça sécurise les personnes sourdes de voir qui sonne, explique-t-elle. Dans un appartement traditionnel, sans caméra, on ignore qui est à la porte, et on ne peut pas communiquer. On se sent moins en sécurité. Ici, j’ai l’esprit tranquille. »

Ouverte le 23 juin 2011, la Maison des Sourds, première et seule du Canada, offre 60 logements adaptés aux 88 locataires de tous âges. « La grande majorité des résidants vivent seuls », précise Marie-France Noël, directrice et bénévole dévouée (sans oublier interprète !). Doté d’une vaste salle où les membres de la communauté sourde montréalaise se réunissent sur une base régulière, l’endroit accueille également 10 associations offrant des services aux personnes sourdes.

Très vite, Mme Gravel a su qu’elle voulait y vivre et faire partie du groupe.

« Ici, mes voisins sont sourds. Quand je manque de sucre ou de lait, je peux aller les voir et discuter, parce que tout le monde échange en signes. On se comprend. On a des relations plus complices. Il n’y a plus de barrières de communication. Je me sens moins isolée. »

— Jacinthe Gravel

Ayant vécu pendant près d’une décennie dans des appartements traditionnels, elle connaît les difficultés d’être entourée presque exclusivement de personnes entendantes. « On me disait parfois que je faisais trop de bruit, que je marchais trop fort ou que mes armoires claquaient, se souvient-elle. Quand je voyais mes voisins, je n’osais pas leur dire bonjour, de peur de ne pas comprendre la discussion qui suivrait. »

Au quotidien, la surdité est tout sauf banale. Un simple tuyau bouché peut devenir un problème. « On ne peut pas appeler le propriétaire et on craint souvent de ne pas pouvoir communiquer avec lui, explique Jacinthe Gravel. Plusieurs personnes sourdes essaient de tout réparer par elles-mêmes. Même quand le proprio nous dit de ne pas nous gêner à le contacter, on a peur de ne pas être compris et on s’isole. »

À la Maison des Sourds, c’est l’inverse. « En général, les sourds doivent toujours faire un effort pour comprendre et lire sur les lèvres, souligne Mme Noël. Ils sont constamment en train de s’adapter aux autres. Ici, ils mènent une vie ordinaire avec d’autres personnes sourdes. »

Si la force de la communauté est un argument qui attire plusieurs locataires, la sécurité pèse elle aussi dans la balance. « Dans les appartements non adaptés, il faut toujours aviser le concierge de nous avertir en cas de feu, dit Jacinthe Gravel. Puisqu’on n’entend pas, on dépend des autres et on ne se sent pas entièrement en sécurité. Ici, il y a une lumière qui flashe dans chaque pièce pour nous aviser d’une alarme. »

Les logements ont été conçus en fonction d’une multitude de petits détails : un espace ouvert entre la cuisine et le salon pour que les résidants puissent se voir et communiquer en signant, des cadres de porte plus foncés et des variations dans la texture des revêtements du plancher d’une pièce à l’autre pour aider les personnes sourdes vivant également avec un handicap visuel à se situer.

Afin de vivre dans une maison aussi bien adaptée, Mme Gravel a été forcée de quitter la ville de Québec, un peu à contrecœur. 

« J’aimais beaucoup Québec et sa proximité avec la nature, mais j’ai été motivée à déménager par la quantité de services offerts aux personnes sourdes ici. Si je suis mal prise, je sais que les employés vont me comprendre. »

— Jacinthe Gravel

À l’exception de la directrice entendante, tous les employés de l’organisation sont sourds : concierges, adjoint, technicien en loisirs. « Plusieurs activités et conférences sont organisées à la Maison des Sourds, ce qui diminue les besoins de transport, reprend la directrice, Marie-France Noël. On donne un accès rapide à la vie communautaire et on engage des interprètes. »

Tout cela coûte des sous. Jacinthe Gravel et ses voisins paient 25 % du prix de leur loyer et la balance est subventionnée. Les revenus des loyers servent à payer les factures d’entretien, de chauffage et de réparations. Le reste – salaires des employés, activités, interprètes – fait grimper les dépenses rapidement. « Notre comptable nous dit qu’on fait des miracles, affirme la directrice. On a une gestion super contrôlée. Mais on a seulement 100 000 $ de subventions par année, alors que d’autres organisations ont jusqu’au triple en étant ouvertes 40 h par semaine. Notre maison est fonctionnelle 12 mois sur 12, de jour comme de nuit. On a un urgent besoin de financement. »

Un projet semblable, mais de plus petite envergure, ouvrira dans quelques semaines à Gatineau.

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