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Une coalition de distributeurs veut bloquer les sites de piratage

Une coalition formée de distributeurs d’accès internet – dont Bell, Québecor et Cogeco – et d’organismes culturels propose une petite révolution en matière de lutte contre le piratage : la création d’une liste noire de sites de piratage qui seraient automatiquement bloqués par tous les distributeurs d’accès internet. La coalition a fait hier la demande au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui superviserait cette liste de sites bloqués. Explications en sept questions.

Que demande la coalition ?

La coalition Franc-Jeu Canada propose au CRTC d’instaurer une liste de sites web de piratage qui seraient automatiquement bloqués par tous les distributeurs d’accès internet. Cette liste serait gérée par une nouvelle agence, qui serait supervisée par le CRTC. Un site web pourrait être bloqué en aussi peu que 30 jours. « Nous faisons cette demande pour protéger les droits de toute la chaîne de l’industrie culturelle », dit Hélène Messier, PDG de l’Association québécoise de production médiatique (AQPM), qui regroupe les producteurs de films et de séries télé au Québec. L’AQPM est l’un des 29 membres de la coalition, tout comme l’Union des artistes, Radio-Canada, des propriétaires de salles de cinéma et des syndicats. La coalition estime qu’une vingtaine de pays, dont le Royaume-Uni et la France, ont déjà établi des « régimes similaires » à celui qu’elle propose au CRTC.

Est-ce possible actuellement de faire bloquer un site web pour piratage ?

Oui, mais il faut faire une demande à la Cour fédérale. Actuellement, il n’y a pas de système simple et centralisé pour faire échec au piratage au Canada, fait valoir la coalition Franc-Jeu Canada. Il existe déjà un régime de blocage en vigueur au Canada pour les sites web de pornographie juvénile, qui est un acte criminel.

Cette proposition de la coalition met-elle en péril le principe de neutralité du web au Canada ?

Non, selon Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal et spécialiste du droit des télécoms. « La neutralité du web, c’est interdire qu’un fournisseur d’accès internet puisse modifier ou ralentir certains contenus à sa guise, dit-il. Ça n’a jamais été interprété comme une permission de recevoir du contenu illégal sur le web. »

Le gouvernement Trudeau est-il d’accord avec la demande de la coalition ?

Comme le CRTC doit examiner la proposition, le gouvernement Trudeau – qui est en faveur de la neutralité du web – ne s’est pas prononcé sur le fond de la demande. Mais il a précisé que le principe de neutralité du web ne s’applique pas au contenu illégal comme les sites de piratage. « Notre gouvernement croit que tout contenu légal doit être traité de façon équitable par les fournisseurs de service internet », a indiqué par courriel le cabinet du ministre fédéral du Développement économique Navdeep Bains.

Quelles sont les inquiétudes soulevées par la demande de la coalition ?

Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, voit trois problèmes avec cette proposition. D’abord, le manque de révision judiciaire. De plus, il s’inquiète de la définition du piratage et n’aime pas le précédent juridique. « Il y a un vrai risque qu’on étende ces demandes à d’autres types de contenu », a-t-il indiqué par courriel. Et finalement, le professeur Geist est loin d’être convaincu que le CRTC a la compétence pour agir en vertu des lois actuelles.

Que répond la coalition à ces critiques ?

La proposition de la coalition prévoit une audience où le site web visé pourrait faire valoir ses arguments. La nouvelle agence ferait ensuite ses recommandations au CRTC, qui devrait approuver toute modification à la liste de sites web à bloquer. Le site web serait seulement bloqué après la décision du CRTC. Un site web pourrait contester la décision du CRTC devant les tribunaux fédéraux. « Ces cas devraient être rares. […] Dans les faits, il s’agirait presque exclusivement de sites de piratage spécialisés, dont les propriétaires reconnaissent habituellement la nature injustifiable de leur conduite », écrit la coalition, qui a déposé hier un avis juridique concluant que le CRTC avait compétence pour s’attaquer au piratage.

Quelle sera la suite des événements ?

Le CRTC n’a pas indiqué hier quelle suite il donnerait à la demande de la coalition. En théorie, il pourrait convoquer des audiences publiques pour discuter de la demande.

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