société

Quand le cancer frappe à 20 ans

À un moment où ils sont censés mordre dans la vie et poser les jalons de leur avenir, certains jeunes se frappent à un mur immense. Le cancer a brisé l’élan de Marc-Alexandre, Élodie et Alyson. Pour un temps ou pour toujours.

Entrer dans la vie avec un cancer

Le cancer frappe à tous âges et sans discrimination. Chez les jeunes adultes, souvent laissés à eux-mêmes, sans le sou ou sans ressources, il semble d’autant plus cruel.

À 19 ans, Marc-Alexandre Gaudreau apprend qu’une tumeur s’est logée dans son cerveau. Ce diagnostic s’abat sur sa vie et sur sa tête comme une masse. Il a à peine le temps de terminer son DEP en carrosserie automobile et de travailler quelques mois avant que la maladie ne le laisse handicapé à jamais.

Deux ans après cette annonce, le jeune homme a en effet subi une opération au cerveau. L’intervention lui a laissé des troubles moteurs importants et des spasmes qui surgissent sans avertissement, plusieurs fois par jour. Marc-Alexandre a 28 ans. Il n’a pas travaillé depuis sept ans. Marc-Alexandre ne travaillera plus.

Après avoir consulté un médecin pour des douleurs musculaires, Alyson Beauchesne-Lévesque quitte son bureau avec une prescription pour une échographie mammaire. Elle apprend, dans les semaines qui suivent, qu’elle a un cancer du sein métastatique qui a atteint ses os.

« J’étais censée avoir de la chimio, une chirurgie et de la radiothérapie. Deux semaines plus tard, ça se changeait en “on ne peut rien faire pour vous, madame”. » Alyson a 28 ans et est maman d’un petit garçon de 4 ans et demi.

10 % des patients atteints du cancer ont de 20 à 49 ans, selon Statistique Canada ; 2 % ont moins de 30 ans.

Les dommages collatéraux

Des problématiques se rattachent à chaque tranche d’âge touchée par le cancer. Chez les jeunes adultes, ce n’est pas tant le nombre de cas qui interpelle, mais les conséquences de la maladie.

« Quand tu as un cancer à 18 ans moins 1 jour, tu es dans un Holiday Inn : tu es à Sainte-Justine, entre bonnes mains et on te tient la main. Après, tu entres dans un hôtel miteux du boulevard Taschereau. Il y a un vide énorme », note Francine Laplante pour illustrer le manque de ressources auquel se butent les jeunes adultes atteints d’un cancer.

La fondatrice de Néz pour Vivre, organisme qui se consacre aux 18 à 35 ans atteints d’un cancer, rencontre une majorité de jeunes complètement démunis. Ils ne sont plus couverts par l’assurance-vie de leurs parents, ne sont plus assurables, et aucune institution bancaire n’accepte de leur prêter un sou.

Marc-Alexandre n’avait pas d’assurances. Il n’a pas cotisé suffisamment au Régime des rentes du Québec (RRQ) pour être admissible à une rente d’invalidité. Après quelques mois de chômage, il a épuisé l’héritage laissé par son père, mort d’un cancer. Marc-Alexandre a dû se tourner vers l’aide sociale.

Le cancer n’a pas empêché le jeune homme de tomber amoureux, cependant. Il y a deux ans, il devenait papa d’un petit garçon. Après avoir aménagé avec sa famille, il s’est vu couper ses prestations : le salaire de sa conjointe n’est pas élevé, mais il excède 1526 $ par mois, le seuil au-delà duquel un ménage comprenant une personne malade n'est plus admissible à l’aide sociale.

Marc-Alexandre vit maintenant aux crochets de sa conjointe. Elle assume les dépenses familiales et même le coût des 15 comprimés qu’il doit prendre chaque jour. Le couple peine à joindre les deux bouts.

« Je me sens inutile. Même si j’avais de l’énergie, je n’ai pas d’argent. Je ne peux même pas aider financièrement », dit-il.

« Quand j’étais sur le BS, je recevais un peu de sous. Parce que j’habite avec la mère de mon enfant, on me coupe tout. C’est humiliant. On m’a enlevé ma dignité. »

– Marc-Alexandre Gaudreau

Il est maintenant déchiré entre le fait de quitter la maison pour obtenir une aide financière et rester avec sa famille. « Je n’ai pas peur pour mon cancer, mais j’ai peur de vivre toute une vie sans ressources, sans qualité de vie, confie-t-il. Je suis devenu un boulet pour ma famille et j’ai peur que ma blonde me quitte, qu’elle trouve ma situation trop lourde. »

Des vies mises sur pause

À 20 ans, la dernière chose à laquelle on s’attend, c’est d’être frappé par la maladie. La « vraie vie » commence à peine et tout est à bâtir : une famille, une carrière, une maison… Le jeune vient parfois de commencer à vivre en couple ou de s’acheter un logement. Ceux qui n’ont pas d’enfants font face à la possibilité que la chimio les a laissés stériles. Ceux qui en ont vivent dans l’angoisse : qui va s’occuper des enfants, les nourrir, les habiller ?

À 39 semaines de grossesse, Élodie Riverin a appris qu’elle avait un cancer du sein agressif. Le surlendemain, son accouchement était provoqué pour que puissent débuter les traitements. Une mastectomie suivait deux mois plus tard. « Je n’arrive pas à me rappeler les premiers mois de mon petit dernier. J’ai fonctionné sur le pilote automatique », se souvient la jeune maman de quatre garçons de 3 à 7 ans.

« Je passais la journée à regarder mes petits et à me dire : voyons, je ne les verrai pas grandir, comment je vais faire ? »

— Élodie Riverin

Élodie est en rémission. La majorité de ses traitements sont désormais derrière elle. Elle l’espère.

Les chances de survie dans cette tranche d’âge sont plus grandes, souligne le porte-parole de la Société canadienne du cancer, André Beaulieu. « Le cancer frappe souvent de manière virulente, mais un jeune peut prendre des traitements plus agressifs. » La maladie laisse toutefois des séquelles importantes sur son passage.

La menace de récidive plane au-dessus de la tête des survivants comme une épée de Damoclès : après un premier cancer, les risques d’en avoir un autre sont élevés. Les victimes d’un cancer en bas âge ont également huit fois plus de chances de développer d’autres maladies sévères, selon les résultats d’une étude publiée dans le New England Journal of Medicine.

La recherche pour le cancer connaît toutefois des avancées. Le temps et la jeunesse jouent peut-être en faveur de ces jeunes.

Élodie a envie de dire haut et fort qu’elle est vivante. Plus que jamais. « Moi, j’ai des enfants à élever. Je ne vis pas juste pour moi, mais pour quatre autres personnes qui ont besoin que je les encadre. Et je veux être quelqu’un dans la vie. Ma vie commence. »

Les réseaux sociaux pour briser l’isolement

Bien des jeunes sont seuls face à la maladie. Certains, motivés par un besoin viscéral de faire part de leur vécu et d’échanger, commencent cependant à se regrouper, souvent sur les réseaux sociaux.

Après avoir annoncé à ses amis et ses proches qu’elle avait le cancer, Élodie Riverin s’est faite discrète. « Je préférais qu’on jase comme si de rien n’était. J’avais besoin que mes proches viennent chez moi et qu’on ait du fun comme avant », raconte la jeune femme. Vers la fin de ses traitements, la maman de quatre petits garçons traverse cependant une « crise existentielle ».

« J’avais envie d’être une fille de 26 ans, mais je n’étais plus capable. Je ne savais plus quoi faire de ma vie.

« Les gens autour de moi me disaient :“tu es guérie.” Moi, je me sentais maganée et j’avais l’impression d’être seule dans cette situation, comme si tous les autres jeunes en mouraient. Je me sentais incomprise. Perdue. »

Quand on traverse un cancer, rien n’est plus comme avant, soutient également Alyson Beauchesne-Lévesque, qui est atteinte d’un cancer du sein incurable. « C’est comme si on prenait une autre route. À un moment, on craque. On veut rencontrer des gens qui ont emprunté cette route. »

Le besoin de parler

En rémission, Élodie a commencé à chercher un jeune adulte avec qui échanger, dans sa région, au Saguenay, et sur l’internet. Les gens qu’elle croise sont toutefois beaucoup plus âgés. « En tant que jeune, tu te sens complètement isolé. Ce n’est pas que des plus vieux ne comprennent pas, mais ce n’est pas le même style de vie », dit-elle.

« Quelqu’un qui a 70 ans va peut-être dire “ben coudonc, j’ai vécu”, fait remarquer Alyson. Mais à nos âges, on a des enfants, une vie active. Mon fils n’a pas encore commencé l’école qu’il peut perdre sa mère. »

89 % des cas de cancer sont diagnostiqués chez les 50 ans et plus, selon Statistique Canada.

La Société canadienne du cancer (SCC) offre la possibilité de jumeler des personnes qui ont un profil similaire, mais il n’est pas toujours évident de le faire quand il s’agit de plus jeunes « parce qu’il y en a moins », explique le porte-parole de la SCC, André Beaulieu.

Par ailleurs, il est souvent difficile pour les jeunes qui ont le cancer de se confier à leurs amis qui ont une réalité complètement différente de la leur : à cet âge, on fait des sorties, des soirées… constate Daisy Delobelle, agente à la fondation Virage, du CHUM. « Le fait d’en parler avec d’autres jeunes qui ont le cancer permet d’évacuer le stress et la peur. »

Si le face-à-face n’est pas toujours possible, les réseaux sociaux contribuent à briser les barrières et à faire le pont.

Cancer jeunes adultes-18-39 ans

Au printemps 2016, Élodie a créé la page Cancer jeunes adultes-18-39 ans sur Facebook, qui compte maintenant près de 200 membres. Elle y a rencontré d’autres jeunes qui ont le cancer et s’y est fait des amis. Tous les deux jours, une personne en amène une autre. Parfois, il y a aussi des décès : « Ça fait partie de la game ! »

Élodie se dit maintenant d’attaque pour la suite. Ce groupe l’a remise sur le chemin, l’a apaisée, constate-t-elle. Par la bande, il a eu un impact sur la vie de plusieurs jeunes aux prises avec la maladie, qui y trouvent des ressources et des confidents. « Quand on a un problème et qu’on se sent compris, ça règle une bonne partie du problème ! »

Aly contre le Bidoutosore

Pour l’instant, le cancer d’Alyson est endormi, mais elle souhaite qu’il ne s’habitue pas à la médication. « C’est comme si mon corps était un bac à sable dans lequel on avait jeté du café moulu. Il y a tellement de grains de café qu’on ne peut pas tout enlever », explique la jeune maman de 28 ans.

Alyson a toutefois choisi de vivre tellement fort que peu importe la fin, elle n’allait pas le regretter. Sur Aly contre le Bidoutosore, la page Facebook qu’elle a créée, elle s’est donné le mandat de simplifier et de dédramatiser le cancer avec ses dessins et ses commentaires. Sans rien cacher.

« En partageant ça, j’ai un brin d’espoir. Je me sens utile », dit-elle.

« Quand les gens me disent : “Aly, tu m’aides à avancer”, j’ai l’impression de donner des chèques à tout le monde, sans avoir quoi que ce soit à débourser. »

— Alyson Beauchesne-Lévesque

Un jour, cette page sera peut-être le témoin de son passage. « J’écris mon histoire. Je veux laisser ma trace. J’aimerais que mon fils vieillisse en se disant que sa mère était proactive et qu’elle voulait faire une différence. J’aimerais qu’il voie qu’en faisant un petit bout de chemin, on peut faire avancer tout le monde. »

À quelle porte frapper ?

La fondation Néz pour vivre vient en aide, à coups de collectes de fonds et de dons, aux plus démunis parmi les 18-35 ans atteints d’un cancer. « On fait ce qu’on peut en fonction des besoins les plus criants. Quand le frigo est vide, c’est pas la semaine prochaine qu’ils ont besoin de manger, c’est maintenant », affirme la fondatrice de l’organisme, Francine Laplante.

Tous les jeunes ne sont pas aussi démunis. « Le problème n’est pas toujours à ce niveau, mais à celui de l’accès aux ressources, dit-elle également. Il y a tellement de documentation à remplir, et ils n’ont pas la force de le faire, surtout dans les premières semaines. »

L’infirmière pivot, qui accompagne le patient et fait le pont avec l’équipe médicale, a amélioré la situation en milieu hospitalier. Un intervenant en travail social peut également aiguiller les personnes atteintes d’un cancer vers certaines ressources. Mais c’est une réalité pour tous les adultes atteints d’un cancer : « Le patient doit lui-même faire les démarches pour aller chercher les services », note André Beaulieu, de la Société canadienne du cancer (SCC).

À ce problème s’ajoute le manque de ressources ciblant les défis particuliers des jeunes qui ont le cancer. Et la difficulté des organismes qui tentent de leur venir en aide à obtenir du financement.

« Ils se font souvent dire de demander de l’aide à leur famille, note André Beaulieu, de la Société canadienne du cancer. J’ai vu des jeunes mettre ça sur leur carte de crédit. Ce sont des gens qui finissent par faire des soupers spaghettis pour essayer de se faire financer. Ils empruntent où ils peuvent. »

DES RESSOURCES ADAPTÉES

Programme à Félix

La Fondation québécoise du cancer a conçu ce site dans le souci de faciliter l’accès, partout au Québec, à la meilleure information possible et aux ressources disponibles pour les 15-39 ans.

Néz pour vivre

L'organisme offre une aide ponctuelle aux 18-35 ans qui ont le cancer à travers le Québec par le soutien direct (aide financière, support psychologique, aide aux études, conseils et orientation, etc.).

Fonds Jason

Une aide financière ponctuelle est offerte aux jeunes de 16 à 30 ans pour les frais liés au loyer, à l’épicerie, à l’achat des médicaments prescrits, au transport vers l’hôpital et au stationnement lors des rendez-vous médicaux et des séances de traitement.

Fondation Virage

Chaque mercredi, à Montréal, des 5 à 7 sont organisés pour mettre en contact des jeunes de 18 à 30 ans qui ont le cancer. Des intervenants sont également sur place pour répondre à des questions.

Sur la pointe des pieds

La fondation aide les jeunes survivants du cancer à retrouver leur bien-être en relevant le défi d’une expédition d’aventure gratuite, encadrée par des experts du milieu médical.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.