Opinion En route vers les élections 

Les bons pauvres et les autres

Je vous vois d’ici : elle va encore nous parler de la misère humaine ! Eh oui, car le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, a eu un sursaut de compassion après des années de disette : il a décidé, avec son programme de revenu de base, le projet de loi 173, de soutenir plus adéquatement les bons pauvres.

Les personnes qui auront passé six ans à l’aide sociale et qui auront pu démontrer qu’elles sont incapables de retourner sur le marché du travail en raison d’un grave handicap ou de problèmes aigus de santé mentale, ces personnes-là et seulement elles, verront leur prestation augmenter substantiellement en 2023.

Deux problèmes : pourquoi attendre six ans et laisser des personnes vivoter avec une maigre prestation qui ne couvre même pas 75 % d’un panier minimal de survie (logement, nourriture, vêtements, déplacements) ? Au bout d’un an, on devrait savoir si la personne a des contraintes permanentes à l’emploi, selon le jargon ministériel. Et pourquoi attendre à 2023 pour atteindre une prestation annuelle de 18 000 $, ce qui permet à peine de sortir la tête hors de l’eau ?

Mais ne boudons pas notre plaisir : pour quelque 84 000 personnes, le projet de loi 173 représentera éventuellement une amélioration tangible de leurs conditions de vie. Je suis vraiment contente pour elles.

Et je demeure profondément scandalisée par le sort qui est fait aux autres personnes survivant à l’aide sociale.

Savez-vous qu’une personne jugée apte au travail reçoit en ce moment 648 $ par mois pour sa subsistance ? Qu’avec cette maigre somme elle doit se loger, se chauffer, manger, s’habiller, se transporter ? Que les imprévus sont source d’angoisse continuelle. Que si les banques alimentaires n’existaient pas, bien des gens à l’aide sociale ne mangeraient pas à leur faim. Vous trouvez cela normal dans le Québec prospère que le gouvernement nous vante à tour de bras ? Pas moi.

Vous me direz : ils n’ont qu’à aller travailler ! C’est ça que j’entends depuis toujours. Discutons.

Il n’y a jamais eu si peu de personnes assistées sociales aptes au travail depuis 30 ans. L’économie va mieux et les gens qui le peuvent travaillent. Qui sont donc ces personnes catégorisées aptes au travail, mais qui ont toutes les misères du monde à se trouver un emploi qui leur permette de vivre ? Soixante pour cent des prestataires sont des personnes seules. Plus de 70 % ont 35 ans et plus et près du tiers ont plus de 55 ans.

On parle donc de personnes qui ont travaillé, mais qui se retrouvent à l’aide sociale faute d’un emploi ou à cause d’une maladie, d’une dépression, de problèmes de violence conjugale, etc. Des personnes souvent peu scolarisées et peu qualifiées ou alors dans un seul secteur d’emploi, ce qui réduit leurs chances de trouver un nouveau travail. Les gouvernements le savent !

Pourtant, tous ceux qui se sont succédé depuis 30 ans ont réformé l’aide sociale très souvent en faisant des coupes dans diverses prestations.

Il a fallu une mobilisation exceptionnelle dans tout le Québec et une pétition de 215 000 noms pour qu’enfin le gouvernement Landry, appuyé par tous les partis politiques présents à l’Assemblée nationale, adopte la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale en 2002. Cette loi-cadre devait orienter les choix de tous les gouvernements pour mettre fin au scandale des inégalités sociales et de la grande pauvreté qui afflige encore 1 personne sur 10 dans le Québec de 2018. Les gouvernements ont failli à la tâche et les banques alimentaires pullulent !

Exiger des réponses

Une élection générale se tiendra le 1er octobre prochain. On ne parle jamais de pauvreté durant les campagnes électorales. Pas assez sexy. Eh bien moi, je vous propose d’obliger tous les partis politiques à dévoiler leurs engagements en cette matière. Continueront-ils de baisser les impôts des plus riches ou bien augmenteront-ils les prestations des plus pauvres ? Aboliront-ils la loi 25 qui permet au gouvernement de réduire jusqu’au tiers la maigre prestation des nouveaux demandeurs à l’aide sociale s’ils n’embarquent pas immédiatement dans un programme décidé par le centre local d’emploi ?

Mettront-ils fin au traitement discriminatoire que subissent les mères à l’aide sociale à qui l’État enlève la plus grande part de leur pension alimentaire pour enfants ? Investiront-ils des sommes substantielles en alphabétisation, en francisation, en insertion à l’emploi ? Et finalement, augmenteront-ils le salaire minimum pour que chaque travailleuse, chaque travailleur ait de quoi vivre au bout de la semaine ? À eux de répondre !

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