Opinion : Médias

Quand les médias faiblissent, les fausses nouvelles prolifèrent

Quand les journalistes sont dans le pétrin, on peut s’attendre à une chose : qu’ils se replient et se mettent à s’attaquer les uns les autres. Comme nous avons tous les deux travaillé longtemps dans les médias d’information, nous en sommes très conscients.

L'étude Le miroir éclaté, une analyse détaillée de l’affaiblissement des médias d’information au Canada et de ses conséquences, n’a pas été épargnée depuis sa publication le mois dernier par le Forum des politiques publiques du Canada.

On en a dit que c’était « très bien intentionné » et « profondément erroné » – deux opinions émises par le même auteur. On a reproché à l’analyse d’ouvrir la porte à une influence accrue du gouvernement dans les médias – critique énoncée par trois journalistes qui travaillent dans un magazine subventionné par le gouvernement. Enfin, certains ont affirmé que les fausses nouvelles n’étaient pas une réalité canadienne.

La discussion est très intéressante. Mais pour ceux d’entre nous qui sont préoccupés par le fait qu’un secteur de l’information en difficulté ne puisse plus remplir sa fonction démocratique, que l’internet soit contaminé par la désinformation et qu’une trop grande part des recettes aille aux distributeurs plutôt qu’à ceux qui emploient des reporters et ont des exigences élevées, il est temps de prendre des mesures concrètes.

Depuis une dizaine d’années, les organes de presse ont tenté de camoufler leur déclin en réduisant leur masse salariale et le nombre d’articles publiés.

Mais c’est une stratégie qui ne peut mener très loin. Chaque jour, quelques lumières journalistiques faiblissent ou s’éteignent tout à fait.

Cela fait penser à une chanson de Toby Keith : « Je ne suis plus aussi bon qu’autrefois, mais je peux, une autre fois, être aussi bon que je l’ai jamais été. » Malheureusement, le journalisme ne peut être bon une fois de temps en temps s’il doit informer les citoyens de manière fiable. Il doit relever ce défi tous les jours.

Le déclin s'accélère

Non seulement la situation des organes de presse se détériore, mais elle le fait de plus en plus vite. Entre-temps, les médias exclusivement numériques, qui ont ajouté une multitude de voix nouvelles au débat public, n’ont pas réussi à instaurer un modèle de gestion qui leur permette d’employer suffisamment de journalistes. Il ne suffit pas d’avoir des personnes qui émettent des commentaires, il faut aussi des professionnels assignés à la couverture des palais de justice, des hôtels de ville, des conseils scolaires, des corps législatifs et des questions qui y sont liées ; des gens qui suivent les institutions et les débats de notre démocratie. Encore aujourd’hui, la vaste majorité des nouvelles émanent des médias traditionnels.

Certains diront : « En quoi est-ce que ça nous concerne ? C’est votre problème. »

La réponse est simple : « Tournez votre regard vers le sud. » Pouvez-vous imaginer ce que le président Donald Trump pourrait faire si les médias d’information ne rapportaient pas ses actions, ne demandaient pas de comptes à son administration, ne cherchaient pas à démêler le vrai du faux, s’ils ne constituaient pas un interlocuteur de confiance pour les lanceurs d’alerte qui prennent des risques pour révéler la vérité ?

Les médias indépendants observent le pouvoir d’un œil critique. C’est pourquoi les régimes autoritaires se dépêchent de fermer certains organes de presse et vont parfois jusqu’à tuer des journalistes. La nouvelle réalité économique liée aux changements technologiques a fait en sorte que les journaux n’ont plus les moyens d’engager autant de reporters qualifiés, qui travaillent dans le même domaine jour après jour, qui cultivent leurs sources et remarquent tout de suite si quelque chose cloche.

Une tension essentielle

La tension entre la classe politique et des médias d’information qui disposent de bonnes ressources est aussi essentielle pour les sociétés démocratiques que l’existence d’un système judiciaire indépendant. Les journalistes sont souvent indisciplinés, parfois indélicats et il leur arrive de se tromper, mais ils constituent un bien public essentiel, comme l’accès à de bonnes écoles et à l’eau potable.

La faible population du Canada (et c’est pire dans les provinces et les villes) fait en sorte qu’il y est encore plus difficile d’investir dans les ressources et la technologie numérique qu’aux États-Unis. C’est particulièrement vrai pour les collectivités des quatre coins du pays ; quelque 250 d’entre elles ont vu disparaître ou fusionner leur journal local – sans avoir vu croître les services d’information exclusivement numérique.

L’internet, cette grande force de démocratisation, a donné naissance à ce que des chercheurs ont appelé « une seconde couche de vitalité ». Du point de vue de l’information, cela a ouvert une fenêtre sur le monde pour tous ceux qui souhaitent communiquer. Mais ce sont les gens qui ont accès à du contenu diffusé par des professionnels et des citoyens sans avoir à financer sa production qui en ont surtout profité.

Deux géants mondiaux règnent désormais sur l’information, la publicité et les données d’une manière jamais vue auparavant.

Même les grands groupes de médias internationaux ne peuvent générer assez de visites sur leurs annonces ou d’abonnés numériques pour financer leurs salles de nouvelles.

On ne peut reprocher aux entreprises-plateformes d’avoir bien fait leur travail. Mais ce déséquilibre des revenus a un coût sociétal de plus en plus élevé dont il faut s’occuper avant que la capacité de fournir de l’information sur la vie des collectivités d’un bout à l’autre du pays n’ait été irrémédiablement endommagée.

Le miroir éclaté offre une palette de solutions, certaines simples, d’autres plus complexes. Elles visent à éviter que le gouvernement finance les activités d’information et à faire en sorte que les revenus soient rééquilibrés entre les producteurs et les diffuseurs, comme c’est le cas pour l’industrie du câble, qui doit payer une faible taxe pour soutenir la création des contenus dont elle tire profit.

Quelles que soient la complexité de la situation et les critiques envers notre profession qu’il nous faille émettre, ce débat est nécessaire pour les 150 ans du Canada. Il ne faut surtout pas attendre qu’une industrie de l’information affaiblie se trouve écrasée par les pourvoyeurs de fausses nouvelles.

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