Chronique

#moiaussi et les usines textiles

Depuis l’effondrement des usines textiles du Rana Plaza au Bangladesh en 2013 qui a fait 1135 morts, depuis la diffusion du documentaire britannique The True Cost en 2015 qui nous a ouvert les yeux sur les effets humains et environnementaux catastrophiques de la « fast fashion », depuis même les premiers scandales sur les conditions de travail des employés de Nike en Asie dans les années 90, on a eu le temps de demander des améliorations à ce secteur.

Et on a cru, quelque part, que ce secteur changerait.

Erreur.

Malheureusement.

En amont de la rencontre annuelle de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Genève, dont le thème est « Construire l’avenir avec le travail décent » et qui se clôt aujourd’hui, le groupe Global Labor Justice a publié deux rapports accablants sur les systèmes manufacturiers des chaînes Gap et H&M en Asie.

Cette fois-ci, c’est du harcèlement et des sévices dont les femmes sont victimes, tout particulièrement, qu’il est question.

Rapportés dans le Guardian, ces documents parlent de violence et de sévices, sexuels, psychologiques, physiques, envers les employées féminines des entreprises où sont produits les vêtements que nous achetons tous au quotidien, de New York à Tokyo, de Stockholm à San Francisco, en passant par Montréal et tout le 450.

« Pour les femmes dans l’industrie du vêtement, la violence et le harcèlement ne sont pas limités à la violence sur les lieux de travail, peut-on lire. C’est aussi le cas durant le transport au travail et dans les résidences fournies par l’employeur. Les travailleuses du vêtement au Bangladesh et au Cambodge nous ont fait part d’actes de violence qui incluent des sévices sexuels, de la violence physique et verbale, de la coercition, des menaces, des représailles et des limites routinières à la liberté, y compris des heures supplémentaires forcées. »

La liste des injustices est longue. Tout comme celle des éléments structurels qui encouragent, perpétuent cette façon de faire. La précarité des travailleuses peu protégées par les lois dans leurs pays, une culture du travail qui accepte l’exploitation des femmes, le tout sur fond de pression énorme sur les manufacturiers qui doivent produire ultra rapidement des vêtements à bas prix et se croient un peu tout permis.

Et comme c’est le cas dans tellement de situations de harcèlement sexuel et compagnie, les plaintes officielles sont peu nombreuses. Peur des punitions, fragilité du sentiment de légitimité des victimes…

Les chaînes de vêtements visées ont réagi en se disant très perturbées par les propos mis de l’avant par les ONG défendant les travailleuses du vêtement au Bangladesh, au Cambodge, en Inde, en Indonésie et au Sri Lanka.

« Nous allons passer à travers chaque section du rapport et ensuite faire le suivi dans les manufactures avec nos équipes locales, établies dans chaque pays de production, a fait savoir H&M dans une déclaration officielle reprise par Reuters. Toute forme d’abus ou de harcèlement va à l’encontre des valeurs de H&M. »

La maison américaine Gap a déclaré quant à elle qu’elle était « profondément préoccupée par les allégations troublantes émises dans ce rapport ». « Notre équipe internationale est actuellement en train de faire une vérification et d’enquêter sur ces questions auxquelles il faudra répondre », a déclaré une porte-parole à Reuters.

Mais est-ce assez ?

Et n’est-on pas un peu fatigué d’entendre chaque fois la même chose ?

« On va vérifier… »

« On est surpris et inquiets… »

J’ai l’impression d’avoir entendu ce refrain mille fois.

Pour entendre ensuite, année après année, les mêmes rappels sur les conditions de travail désastreuses revenir au premier plan.

Quand va-t-on réellement changer ?

***

Doit-on boycotter ces chaînes ?

C’est un moyen de pression qui peut être efficace. Aucune marque ne peut rester insensible à de telles campagnes de désaveu, de telles décisions collectives, si elles sont réellement orchestrées. Surtout si elles sont appuyées par des personnalités publiques.

Pour Gap, dont les beaux jours sont passés, ça pourrait être réellement douloureux, voire fatal, d’un point de vue financier.

Mais veut-on que cessent les emplois des personnes maltraitées ? Veut-on les mettre au chômage, un risque réel ? Ou veut-on qu’elles travaillent, aient de bons emplois et soient bien traitées ?

Hier à Genève, les membres de l’Organisation internationale du travail ont décidé de préparer d’ici un an un traité international sur la violence et le harcèlement au travail.

C’est une très bonne nouvelle. « Les représentants des gouvernements, des employeurs et des employés de 187 États membres de l’OIT ont adopté une résolution demandant que l’agence de l’ONU adopte “des normes sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail”, rapportait hier l’AFP. Ces normes devraient prendre la forme d’une “convention” contraignante, “complétée par une recommandation”. »

On a hâte de voir ça.

Et de faire le suivi.

Parce que la voie la plus souhaitable est sans nul doute de dire collectivement à Gap et H&M, et à tous les autres qui font produire leurs marchandises dans des pays où on sait que les droits des travailleurs sont régulièrement brimés, de changer de façon de faire. De réellement, pour vrai de vrai, surveiller ce qui se passe dans leurs usines, chez leurs sous-traitants.

Cela devrait être toujours et constamment notre prix à nous, pour notre fidélité.

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