Jean Marc Dalpé

Choisir son identité

Le comédien, dramaturge, scénariste, romancier et traducteur Jean Marc Dalpé a signé l’adaptation d’Une femme à Berlin, pièce coup-de-poing tirée d’un récit de Marta Hillers, mise en scène par Brigitte Haentjens ces jours-ci à Espace Go. La pièce tirée de son premier roman, Un vent se lève qui s’éparpille (Prix du gouverneur général en 2000) – qualifié de « grand roman franco-ontarien » –, sera présentée la semaine prochaine à La Licorne.

Je m’intéresse à ta vision de Franco-Ontarien, né à Ottawa, formé à Québec, qui a longtemps travaillé à Sudbury avant de s’installer à Montréal…

Depuis 25 ans ! Il y a encore des gens qui me demandent depuis combien de temps je suis ici. « Tu loges à quel hôtel ? » Les gens du milieu pensent que je vis encore à Sudbury.

Tu te sens comme le Franco-Ontarien de service ?

Oui ! Il faut dire que je ne sors pas beaucoup. Je ne suis pas une bête de premières. Il y a mon cercle d’amis que je côtoie beaucoup dans le travail. Et j’ai gardé mes contacts en Ontario. Je fais des traductions des pièces de Mansel Robinson (II), alors les gens pensent que je suis toujours là-bas.

As-tu l’impression qu’on a au Québec une vision folklorique de la francophonie canadienne ?

Oui. C’est peut-être plus montréalais que québécois, cela dit. Il existe certainement un montréalocentrisme. Quelque chose de fermé au fait français à l’extérieur du Québec. Il y a une grande ignorance à mon avis. Il y a des barrières et des filtres. Il y a un manque…

D’ouverture ?

Par rapport à la francophonie en Amérique du Nord, certainement. Ça date du milieu des années 60, à l’époque des États généraux du Canada français. C’est là qu’il y a eu une grande rupture. Le Québécois est né…

Au détriment du Canadien français…

Le mot « Québécois », dans le sens d’une citoyenneté, n’existait pas avant ça. Il a incarné un certain nationalisme de l’époque qui avait évidemment sa raison d’être, on s’entend. Mais ç’a été l’occasion d’une brisure avec les deux autres blocs francophones du Canada, unis jusque-là : c’est-à-dire le bloc acadien et le bloc de l’Ouest, qui comprend l’Ontario. On s’est retrouvés un peu « orphelins » d’un Canada français qui n’existait plus. Le gros morceau était parti.

Et le Québec s’est refermé sur lui-même ?

Dans un sens, oui. Il s’est éloigné de nous, qui n’étions pas québécois. Jusque-là, le Québec avait toujours été très solidaire des combats des francophones. Notamment celui de Louis Riel. Il y avait 10 000 personnes au Champ-de-Mars, à Montréal, quelques jours après la pendaison de Louis Riel.

Comme enfant en 1965, tu as senti cet abandon ?

Pas beaucoup. J’étais à Ottawa. La moitié de la famille habitait de l’autre côté de la rivière. C’est plus tard que j’ai pris conscience de tout ça. J’ai étudié à Québec et je sentais le regard des autres. Autour du référendum de 1980, on me disait que si je voulais continuer de parler français, il fallait que je m’installe au Québec. Il y avait la chanson Mommy de la regrettée Pauline Julien. On est devenus, dans un certain discours, les « boogeymen », les zombies de la francophonie.

Les « dead ducks » dont parlait René Lévesque…

C’est un discours qui marque ! Il y a eu un rejet de nous et en contrepartie, un rejet du Québec de notre part. « Vous ne voulez pas jouer avec nous ? Go fuck yourselves ! » Je me remets dans l’état d’esprit de l’époque ! [Rires] Des fois, je surprends les gens quand je parle de cette blessure-là. Quand c’est toi qui reçois ce regard condescendant, qui se fait corriger son français ; l’humiliation reste longtemps.

Est-ce que ça a eu l’effet, à l’époque, d’une plus grande solidarité entre les Acadiens et les autres Franco-Canadiens ?

L’un des bienfaits de ce choc-là, c’est qu’on a davantage pris nos responsabilités en main. On a été laissés à nous-mêmes. L’Acadie s’est organisée beaucoup plus. Les Acadiens ont mené des batailles pour la francisation. En Ontario, on a fait valoir nos droits dans les écoles publiques secondaires. On s’est soutenus là-dedans, sans l’aide du Québec.

Est-ce que les choses ont évolué ? Je n’ai pas l’impression d’une plus grande ouverture du Québec vis-à-vis des francophones du ROC…

Il n’y a pas beaucoup de gens qui vont vers l’Ouest à la rencontre de ces communautés. Les Québécois vont sur les plages de Caraquet et Shediac, mais ça ne va pas beaucoup plus loin ! Je suis allé à Saint-Boniface et à Saskatoon avec Alexis Martin. On n’a fait que parler français. Il a été estomaqué.

J’ai une amie qui a grandi dans un village près de Saskatoon. Et elle me dit que les écoles françaises ferment. Qu’il faut maintenant aller à la ville voisine pour trouver une école française.

Je ne veux pas embellir la situation. Mais les peuples et les langues ont une résilience, une volonté malgré tout, de survivre. Les peuples et les langues ne veulent pas disparaître. Malgré tout ce qu’on a fait subir aux Cris, aux Hurons, ils ont réussi à conserver leur langue, à faire renaître des langues quasi disparues. On a enlevé leurs enfants pour consciemment anéantir leur culture ! Le projet, c’était de faire disparaître leur culture et ils sont toujours là.

La perspective québécoise par rapport aux francophones du reste du Canada, c’est de croire qu’ils sont voués à disparaître…

Il y a aussi l’idée qu’on est un peu des traîtres. Parce qu’on n’est pas restés. On est partis, on a traversé la frontière. On a choisi l’exil. En Ontario ou en Nouvelle-Angleterre. « Tu pensais à ton argent plutôt que d’aller coloniser les Laurentides ! » Il y a, oui, une relation difficile qui subsiste, mais qui mérite d’être réparée. Serge Bouchard fait un travail remarquable en ce sens. Retisser les liens avec les francophones à l’extérieur du Québec, mais surtout avec les autochtones et les métis. J’ai beaucoup d’admiration pour lui et son projet de mémoire collective. C’est très inspirant. Parce qu’il n’est pas trop tard !

Pour revenir à ce que je te disais au début : ton étiquette franco-ontarienne, est-ce que tu la portes toujours avec la même fierté ou après 25 ans au Québec, tu as envie qu’on te considère autrement ?

Je revendique le fait d’être franco-ontarien. J’aime beaucoup cette identité parce que c’est complètement une fiction. Il n’y a personne qui peut te dire que tu n’es pas franco-ontarien parce que tu ne vis pas en Ontario. Ce n’est pas une citoyenneté. C’est une identité à laquelle on adhère. Il faut une volonté.

C’est un état d’esprit assez poétique finalement…

Pour moi, c’est complètement poétique ! J’aime bien choisir mes identités. Pas me les faire imposer.

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