crise des Rohingya

Des investisseurs étrangers veulent couper les ponts avec la Birmanie

Les exactions de l’armée birmane à l’encontre des Rohingya alimentent les critiques envers le pays et relancent du même coup les interrogations sur le bien-fondé des investissements qui y sont réalisés par des firmes étrangères.

La problématique a notamment rattrapé récemment le géant américain Chevron, actif dans l’industrie pétrolière et gazière birmane depuis plusieurs années par l’entremise d’Unocal, une firme achetée en 2005.

Des investisseurs préoccupés par la répression ciblant la minorité musulmane du pays ont tenté en mai de forcer l’entreprise à interrompre ses activités sur place en faisant voter une résolution lors de l’assemblée des actionnaires.

Un fonds établi en Virginie, Azzad Asset Management, qui regroupe de nombreux investisseurs musulmans, proposait d’interdire toute relation d’affaires avec des régimes soupçonnés de perpétrer un génocide.

L’initiative a été rejetée après avoir recueilli l’appui de 6 % des actionnaires de l’entreprise.

Bien que le pourcentage obtenu semble faible, il dépassait le seuil de 3 % requis pour que la résolution puisse être réintroduite lors de la prochaine assemblée prévue l’année prochaine.

« Ce n’est pas une solution magique. La résolution ne va pas permettre en soi de résoudre le problème », relève le responsable des communications d’Azzad Asset Management, Joshua Brockwell, qui juge important d’attirer l’attention du public sur les aspects éthiques de l’investissement en Birmanie.

Les représentants de Chevron, dit-il, ont pris contact avec les instigateurs de la résolution avant l’assemblée et ont rapidement fait comprendre qu’ils n’avaient aucune intention de l’appuyer.

« L’entreprise nous a submergés d’informations visant à suggérer que leur présence en Birmanie n’est pas si importante », relève M. Brockwell.

Le site de Chevron précise notamment que l’entreprise détient des intérêts dans un champ gazier birman d’envergure exploité conjointement avec le géant pétrolier Total, qui est aussi présent depuis plusieurs années dans le pays. L’entreprise américaine dispose par ailleurs de droits d’exploration pétrolière dans le bassin de Rakhine, du nom de l’État birman où sont concentrés les Rohingya.

l’entreprise revient à la charge

Plutôt que de se laisser décourager par le rejet de la résolution présentée en mai, Azzad Asset Management est revenu à la charge à la fin du mois d’août dans une lettre adressée à l’entreprise conjointement avec une trentaine d’autres investisseurs représentant des actifs de près de 30 milliards de dollars américains.

La missive relève que la présence de Chevron en Birmanie et sa collaboration avec le gouvernement l’obligent à faire entendre ses préoccupations quant à la situation des Rohingya et devrait l’amener à revoir sa relation avec l’État.

« On ne peut pas se contenter de faire des affaires comme si tout était normal dans un pays où des allégations de crimes contre l’humanité et de génocide persistent. »

— Les signataires de la lettre adressée à Chevron

« À défaut de faire la bonne chose en se retirant du pays, nous souhaitons que l’entreprise utilise son lien avec le gouvernement comme un levier pour faire évoluer les choses sur le terrain », relève M. Brockwell.

Une porte-parole de Chevron, Melissa Ritchie, a indiqué hier par courriel que l’entreprise menait ses activités « de manière responsable, en respectant la loi et les droits de la personne », y compris en Birmanie.

« D’après notre expérience, la paix, la stabilité et la protection des droits de la personne fournissent la meilleure fondation pour assurer le développement économique d’une région et assurer l’amélioration des conditions de vie des communautés locales », a-t-elle précisé.

Joshua Brockwell pense que l’entreprise ne peut se contenter de donner des assurances verbales et doit aller plus loin dans les circonstances actuelles.

Les États occidentaux qui ont levé les sanctions visant la Birmanie au cours des dernières années doivent par ailleurs revoir leur décision à la lumière de la campagne militaire en cours contre les Rohingya, dit-il.

« Une réévaluation de leur relation avec la Birmanie s’impose », relève M. Brockwell.

Une levée de sanctions opportune ?

Jean-François Rancourt, spécialiste de la Birmanie rattaché à l’Université de Montréal, note que la levée des sanctions économiques ciblant le pays s’est faite avec l’assentiment de la chef de gouvernement Aung San Suu Kyi après que son parti eut remporté des élections historiques en 2015. Leur levée semblait nécessaire, dit-il, pour permettre au pays de sortir du marasme. Il est possible, cependant, que la décision ait eu un effet négatif dans l’État de Rakhine, qui est riche en ressources naturelles. L’armée, qui est accusée d’avoir brûlé plusieurs centaines de villages rohingya, pourrait chercher à faciliter l’exploitation de la région en encourageant l’exode de la population locale, relève M. Rancourt.

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