Washington — En autocar, en avion, en métro ou en automobile conduite par leurs parents ou leurs enseignants. Qu’importe le moyen de transport utilisé, des centaines de milliers d’adolescents se sont frayé un chemin hier jusqu’à Pennsylvania Avenue, en plein cœur de la capitale américaine.
Armés de pancartes qu’ils avaient fabriquées eux-mêmes, ils ont porté au président et aux élus du pays un seul message : « Plus jamais. » Plus jamais de tueries dans leurs écoles. Plus jamais de funérailles pour des enfants abattus alors qu’ils étaient censés étudier, ont dit en chœur les participants à la Marche pour nos vies organisée par les survivants de la tuerie de l’école Marjory Stoneham Douglas de Parkland, en Floride.
Le mois dernier, ils ont vu 14 de leurs camarades ainsi que trois membres du personnel enseignant tomber sous les balles, le jour de la Saint-Valentin. Depuis, ils militent sans relâche pour un renforcement du contrôle des armes aux États-Unis. « Il y a 96 personnes qui meurent tous les jours à cause des armes à feu dans notre pays, mais la majorité des politiciens n’ont pas d’opinion sur le sujet. À cela, nous disons : “Plus jamais !” », a lancé David Hogg, un des élèves de Parkland, devant la foule compacte massée sur plus d’un kilomètre. « Vous pouvez voir les gens au pouvoir trembler. Ils se sont habitués au confort de leurs positions d’inaction. Mais l’inaction n’est plus permise », a ajouté le jeune homme.
Le lieu de la manifestation, s’il n’était pas le premier choix des organisateurs, était hautement symbolique. Pennsylvania Avenue est la grande artère qui relie le Capitole, siège du Congrès américain, et la Maison-Blanche, siège du pouvoir exécutif, en passant à côté de l’hôtel de Donald Trump. Les quelque 20 jeunes qui ont pris la parole hier n’ont pas manqué d’interpeller directement les acteurs de ces deux lieux de pouvoir.
« Aux leaders, aux sceptiques et aux cyniques qui nous disent de nous asseoir, d’être silencieux et d’attendre notre tour : bienvenue à la révolution », a lancé Cameron Kasky, autre survivant de la tuerie de Parkland. « Représentez-nous ou retirez-vous ! », a-t-il ajouté, notant qu’un grand nombre de jeunes présents hier seraient en âge de voter lors des élections de mi-mandat qui auront lieu au début du mois de novembre.
Emma González, la jeune femme qui est devenue le visage de la protestation au lendemain de la tuerie, a prononcé un discours – entrecoupé d’un long silence – de 6 minutes 20 secondes, la durée exacte de la fusillade où ses amis ont perdu la vie. « Battez-vous pour votre vie avant que ce soit le travail de quelqu’un d’autre », a dit la jeune femme, les yeux remplis de larmes.
Les survivants de la tuerie floridienne n’étaient pas seuls sur scène hier. Aux côtés des chanteuses Miley Cyrus, Ariana Grande et Jennifer Hudson, d’autres adolescents dont la vie a été chamboulée par la violence et les armes ont pris la parole. Parmi eux se trouvait aussi Yolanda Renee King, petite-fille de Martin Luther King, icône des droits civiques, abattu en 1968. Elle a demandé aux jeunes participants de faire une promesse. « D’un côté à l’autre de la nation. Nous serons une grande génération ! », a dit la fillette de 9 ans, sous les acclamations.
Les témoignages sur la grande scène installée devant le Capitole ont remué plusieurs participants. Jessica King, 16 ans, avait les joues couvertes de larmes. « Je pleure parce que je vais à l’école tous les jours et je ne me sens pas en sécurité. Je n’en reviens pas de vivre dans un pays où c’est le cas. Je ne connaissais pas les victimes de la fusillade de Parkland, mais je me sens liée à eux », disait la jeune fille de Charlottesville, en Virginie, qui a fait la route avec sa mère pour assister à l’événement. Si elle était incapable de cacher sa tristesse hier, l’adolescente se disait optimiste quant à l’avenir. « Aujourd’hui, je suis fière de ma génération. Fière que nous soyons debout. Et nous n’allons pas baisser les bras jusqu’à ce que nous obtenions du changement. Je ne pourrai pas voter cet automne, mais je vais tout faire pour encourager mes amis à le faire. »
Si les jeunes filles étaient majoritaires dans la foule hier à Washington, les jeunes hommes ont aussi fait entendre leur voix. Bien qu’il n’ait que 11 ans, Neel Sabharwal en a long à dire. « Nous ne sommes pas en sécurité à l’école, a dit l’enfant qui fréquente une école française de Washington. Nous ne savons pas si quelqu’un a un fusil. On nous apprend quoi faire en cas de fusillade », racontait-il. Sa pancarte, sur laquelle il était écrit « Suis-je le prochain ? », était particulièrement critique à l’endroit de la National Rifle Association, le puissant lobby proarmes. « Les gens de la NRA préparent leurs armes pour tuer les enfants », soutenait-il. Sa mère Tamita, qui le regardait d’un œil bienveillant, a expliqué que son fils s’est forgé ces propres opinions. « Il entend plein de choses, il comprend, alors nous n’avons pas eu le choix d’en parler avec lui », a dit la jeune mère.
Les manifestants rencontrés hier étaient nombreux à dire que la marche n’est que le premier pas d’un long processus pour changer la donne aux États-Unis. « Nous sommes la génération née en même temps que la fusillade de Columbine. Nous voulons des changements profonds, pas juste des beaux mots », a dit hier Collette Campbell, élève originaire d’Atlanta qui assistait à la marche avec 48 de ses camarades de classe. Depuis la tuerie dans une école secondaire de Columbine, au Colorado, en 1999, 200 enfants sont morts lors de fusillades dans des écoles. « Nous ne voulons pas que ce soit normal. Ça ne l’est pas. Ça ne le sera jamais », dit la jeune femme qui votera pour la première fois en novembre et qui a déjà hâte de se rendre aux urnes.