« J’ai des emplois à protéger, moi »

Le président du Groupe Geloso, Aldo Geloso, jure que s’il avait eu le choix, il n’aurait pas mis la boisson alcoolisée FCKDUP sur le marché.

L’entreprise de Laval a essuyé de nombreuses critiques depuis le lancement de cette boisson au nom provocateur, en septembre dernier.

En effet, cette boisson très sucrée à teneur élevée en alcool (11,9 %) suscite beaucoup d’inquiétude chez des médecins et des experts en santé publique, révélait La Presse le mois dernier.

À la suite de nos reportages, l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté une motion demandant au directeur national de santé publique de se pencher sur les cas d’intoxication à la suite de la consommation de boissons à forte teneur en sucre et en alcool, notamment chez les jeunes.

« J’aurais préféré rester loin de ce genre de produit, mais à un moment donné, tu fais quoi ? J’ai des emplois à protéger, moi », a affirmé l’homme d’affaires dont l’entreprise fabrique différents produits alcoolisés depuis 50 ans au Québec, dans une entrevue exclusive accordée à La Presse.

L’arrivée sur le marché québécois, en 2015, de la boisson américaine Four Loko « ne lui a pas donné le choix », dit le président du Groupe Geloso, Aldo Geloso.

« Quand j’ai entendu que Four Loko voulait se lancer sur le territoire québécois – territoire où je suis maître –, j’ai commencé par tenter de décourager les détaillants de la vendre, raconte-t-il. Je leur ai montré les effets néfastes de la boisson aux États-Unis, que des jeunes avaient été malades après avoir bu cela. Mais je n’ai pas réussi [à les dissuader]. »

Au fil des mois, la part de marché de Four Loko – produit de l’entreprise américaine Phusion Projects – ne cessait d’augmenter au Québec, grignotant du même coup la sienne, dit-il. Pour « protéger les 400 emplois » de son entreprise, M. Geloso a décidé de « répliquer » en créant un produit similaire.

Boire une canette de FCKDUP (offerte seulement en grand format de 568 ml comme sa concurrente la Four Loko) équivaut à consommer quatre verres d’alcool standard. L’entreprise québécoise a embauché Les Anticipateurs – groupe de rap humoristique populaire chez les jeunes – pour vanter les mérites de son produit.

Lors de son lancement à Montréal fin septembre, l’un des membres du trio de rappeurs a raconté qu’il déjeunait en mélangeant les trois parfums de cette boisson alcoolisée « tous les matins ». Une chanson originale du groupe de rap faisant la promotion du produit avec des filles en tenue sexy a été lancée par la même occasion.

Questionnés par La Presse, des experts en santé publique ont alors réagi en dénonçant le marketing entourant la boisson FCKDUP qui, selon eux, encourage la consommation abusive d’alcool chez les jeunes. « Cette boisson est encore plus dangereuse que la Four Loko à cause du guarana qu’elle contient », a aussi souligné l’un de ces experts. Un autre l’a qualifiée de « bombe nucléaire » en raison de l’effet de l’alcool camouflé par celui du sucre et du guarana.

Depuis que la controverse a éclaté, le président du Groupe Geloso affirme avoir corrigé le tir quant aux messages « audacieux » incitant à la consommation lancés sur le site web de FCKDUP et sur ses pages Facebook et Instagram. « On a nettoyé notre page Facebook de toute référence à la consommation excessive », précise-t-il.

Le clip vulgaire des Anticipateurs a été retiré de sa page Facebook et le rôle du groupe de rap a été modifié pour qu’il devienne un ambassadeur de la consommation responsable, énumère-t-il.

L’entreprise a également lancé une nouvelle série de messages sur les réseaux sociaux du genre : « Prends ton temps. C’est pas une course. C’est juste une boisson. »

Toutefois, concernant le nom – FCKDUP –, le président du Groupe Geloso persiste et signe : il fallait un nom « déstabilisant » pour concurrencer Four Loko. « J’ai dû convaincre mes directeurs de compte à l’interne, mais ils ont fini par comprendre que c’était une émotion : c’est cool, c’est nice, c’est hip », décrit-il, soulignant au passage la récente décision du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, l’organisme chargé de traiter les plaintes à l’égard des écarts de langage sur les ondes, estimant que « le mot “fuck” entendu à la radio n’a pas en français la même connotation vulgaire qu’en anglais ».

Quelques mois avant le lancement de la boisson FCKDUP, M. Geloso a soumis à Recyc-Québec – la société d’État responsable du recyclage des matières résiduelles – un projet de canette refermable. « Les discussions sont toujours en cours pour que ça puisse être mis sur le marché québécois, souligne le président du Groupe Geloso. Si c’est approuvé, ça va augmenter mes coûts de fabrication, mais c’est important pour moi de faire ma part pour la consommation responsable. »

L’homme d’affaires rappelle que son produit – qui contient des saveurs de chanvre et de guarana – est conforme aux lois de Santé Canada. À partir de janvier, l’entreprise ajoutera sur ses canettes les mentions : « Contient 4 consommations par canette. Boire avec précaution et avec des amis qui ont l’âge de boire. »