radiographies dentaires

trop de rayons x ?

À chaque visite chez le dentiste, on a un droit à un nettoyage, à un détartrage et à des… radiographies. Bien que les doses de radiation soient faibles, elles s’accumulent au fil des ans. Faut-il abandonner les radios de routine et exiger d’être d’abord examiné par son dentiste ? Pas besoin d’enfiler un tablier de plomb pour répondre oui.

Un dossier de Marie Allard

radiographies dentaires

Non aux radios de routine

Près de 14 millions de Canadiens passent une radiographie dentaire chaque année, selon Santé Canada. Cela les expose aux rayons X, qui peuvent endommager l’ADN des cellules saines et potentiellement induire un cancer. Le risque peut paraître faible, puisque la dose de rayonnement reçue chez le dentiste est moins élevée que lors d’autres examens d’imagerie médicale.

« Du point de vue de la santé publique, toutefois, ce risque est plus important compte tenu du nombre considérable de Canadiens qui passent une radiographie dentaire », lit-on dans un document publié le 15 novembre dans la Partie II de la Gazette du Canada. Quand on est en bonne santé, les radios dentaires sont souvent la seule source d’irradiation médicale à laquelle on est exposé, à moins de se casser un bras ou une jambe.

Nombreux sont les clients qui ont l’impression de se faire imposer des radiographies à chaque nettoyage, peu importe l’état de leurs dents. « [Si un patient refuse une radio], nous lui expliquons que légalement, l’Ordre des dentistes nous demande de prendre des RX maximum aux années », a témoigné en décembre une hygiéniste dans le groupe Facebook Collectif d’hygiénistes dentaires.

Pas de radios obligatoires chaque année

C’est faux. « Les radiographies doivent être prises en fonction des besoins », dit Paul Morin, dentiste-conseil au service des Affaires publiques et communications de l’Ordre des dentistes du Québec.

Une autre hygiéniste s’est réjouie sur Facebook qu’à sa clinique, les clients « les prennent de routine ». Or, « la fréquence à laquelle un individu a besoin de radiographies dentaires dépend de son état de santé buccodentaire, précise une mise au point de l’Ordre. La décision de prendre ou non une radiographie repose essentiellement sur le jugement clinique du dentiste, à la suite de l’examen du patient. Elle ne saurait en aucun cas être déterminée à l’avance ».

« Des radiographies tous les ans, c’est trop. C’est clairement une pratique de surutilisation des ressources que l’on a. Bien que le dosage reste faible pour les radiographies dentaires standard, il y a des risques liés à l’effet cumulatif des radiations. Si on peut éviter un petit risque, on l’évite. »

— Victoria Doudenkova, candidate au doctorat en sciences biomédicales, option bioéthique, à l’Université de Montréal

Cinq radios en promotion

Cela n’a pas empêché la Clinique dentaire d’urgence Angus-Maisonneuve et Saint-Léonard d’annoncer une promotion sur sa page Facebook, en juillet 2015. Pour 249 $, cette clinique offrait l’ouverture du dossier du patient, un examen, un nettoyage, un détartrage ainsi que quatre petites radiographies, une radiographie panoramique et un blanchiment des dents. Soit un total de cinq radios, sans avoir vu l’ombre d’une dent du client.

Est-ce permis ? « On doit présumer que le dentiste fera un examen [complet, tel qu’annoncé] avant de procéder à quelque service que ce soit, répond le Dr Morin. Il devra décider si des radiographies sont nécessaires et pertinentes, informer son patient et obtenir son consentement. » Si les radios ne sont pas indiquées, cela pourrait obliger le dentiste « à une renégociation des honoraires », convient le dentiste-conseil de l’Ordre.

« L’obligation déontologique est prioritaire et l’acceptation de l’offre n’est pas un consentement préalable, ni valide, à la prise de cinq radiographies, poursuit le Dr Morin. La même logique s’applique d’ailleurs au blanchiment : il ne peut être décidé sans un examen du dentiste, qui doit juger de la condition des dents et des gencives avant de procéder. »

Yassmina Marzagui, coordonnatrice de la Clinique dentaire d’urgence Angus-Maisonneuve et Saint-Léonard, fait valoir que « le prix de l’examen dentaire complet comprend les radiographies mentionnées ci-dessus, donc celles-ci ne sont techniquement pas chargées ».

Retrouver les radios antérieures

Lorsqu’un client change de clinique, son nouveau dentiste « devrait tenter d’obtenir » ses radios précédentes « plutôt que de demander automatiquement la prise de nouvelles radiographies », selon les lignes directrices de l’Association dentaire canadienne. Quel dentiste le fait ?

« C’est aux patients de communiquer avec leurs dentistes antérieurs pour ravoir les radiographies, question de confidentialité, plaide Mme Marzagui. Très souvent, les patients ne veulent pas brimer le dentiste en lui demandant une telle requête, car au fond, ils changent de dentiste. » C’est gênant, ça prend du temps et ça ne permet d’épargner qu’une faible dose de radiation…

Quelles sont les doses ?

Les humains sont d’abord soumis à une irradiation naturelle, provenant des éléments radioactifs de la Terre et de l’espace, estimée à trois microsieverts (µSv) par jour par l’Ordre des dentistes. « Les doses délivrées par les clichés intra-buccaux et céphalométriques sont faibles, habituellement équivalentes à moins d’une journée d’exposition naturelle », précise l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français. Les doses liées à une radio panoramique sont plus variables, mais c’est équivalent au maximum à une radiographie du thorax, selon l’IRSN.

Au Québec, le Centre d’expertise clinique en radioprotection (CECR) « ne possède pas de données sur les doses délivrées dans les cliniques dentaires », indique Moulay Ali Nassiri, physicien médical au CECR et professeur au département de médecine nucléaire et radiobiologie de l’Université de Sherbrooke. « C’est un dossier qui n’est pas, pour le moment, dans le mandat du CECR », ajoute-t-il.

Cela ne veut pas dire que personne ne veille au grain. Santé Canada a publié, l’automne dernier, des modifications au Règlement sur les dispositifs émettant des radiations (appareils à rayonnement X dentaires) dans la Gazette du Canada

« Ces modifications actualisent la réglementation canadienne concernant les appareils de radiographie dentaire pour tenir compte des nouvelles technologies offertes sur le marché », explique André Gagnon, agent des relations avec les médias à Santé Canada. « Une augmentation dans la protection offerte aux patients et aux opérateurs en résultera », fait valoir le document. Ces modifications entreront en vigueur le 15 mai.

radiographies dentaires

Dix points pour y voir clair

Le Dr Daniel Turgeon, professeur adjoint à la faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal, a présenté aux dentistes une tournée de conférences sur la radiologie, en collaboration avec l’Ordre des dentistes du Québec. La Presse l’a joint pour y voir clair.

Ce que dit la loi

Le dentiste doit examiner le patient avant de permettre à un hygiéniste dentaire de prendre des radiographies, a rappelé le Dr Turgeon dans ses conférences. C’est précisé dans le Règlement concernant certains actes qui peuvent être faits par les hygiénistes dentaires de la Loi sur les dentistes.

Personnaliser les radios

La prescription de radiographies doit être personnalisée pour chaque patient, selon le Dr Turgeon. Cela permet de réduire de 43 % le nombre de radios sans augmenter le taux de problèmes non diagnostiqués, d’après une étude réalisée auprès de 490 patients, publiée dans le Journal of the American Dental Association en 1995. « C’est exact, mais la comparaison est faite avec une “bouche complète”, qui consiste en 20 radiographies intra-orales, nuance le Dr Turgeon. Cet examen était prescrit aux nouveaux patients, il y a de cela plusieurs années, 15 à 20 ans au moins. »

À quoi s’attendre

« [Aujourd’hui], lorsque vous allez chez votre dentiste pour un rappel et nettoyage, il prend habituellement une ou deux radiographies de chaque côté pour vérifier, entre autres, s’il y a des caries entre les dents, indique le Dr Turgeon. Ces radiographies, appelées rétrocoronaires, sont prises à une certaine fréquence, selon l’état de santé dentaire du patient et son risque carieux. » D’autres radiographies peuvent être nécessaires au besoin, mais rien n’est automatique.

Pas de panoramique de routine

La pertinence d’une radiographie panoramique de routine pour les nouveaux patients adultes a été évaluée par une étude britannique publiée en 2002 dans l'Oral Surgery, Oral Medicine, Oral Pathology, Oral Radiology Journal. Verdict : l’utilité de ce panoramique est nulle pour la majorité (56 %) des patients. Ce taux grimpe à 71 % en considérant seulement les patients sans symptômes. Il faut de bonnes raisons – vouloir évaluer le développement dento-facial, chercher la source de douleur aux mâchoires, etc. – pour prescrire un examen panoramique aux adultes.

Mieux avec le numérique

Les radiographies numériques utilisent des capteurs « plus sensibles aux rayons X » que les films des radios traditionnelles, indique le Dr Turgeon. « En général, la radiographie numérique représente une réduction d’environ 50 % par rapport à la radiographie conventionnelle », estime-t-il. Cela veut dire que la dose de radiation est réduite de moitié.

Comment se protéger

Les patients doivent porter un tablier protecteur – « On dit tablier de plomb, mais la majorité ne sont plus en plomb », observe le Dr Turgeon – et un collet thyroïdien, lorsque le type de radio le permet. « Par exemple, il est impossible d’utiliser le collet thyroïdien lors d’une radiographie panoramique », précise le professeur. Le patient peut aussi demander au dentiste « d’ajouter une collimation supplémentaire à la machine ou à l’appareil de positionnement pour limiter la grosseur du faisceau », souligne le Dr Turgeon.

Éviter les reprises

Arrive-t-il souvent qu’il faut refaire des radios mal prises ? « Je n’ai pas de chiffres à ce sujet, mais je doute que ce soit un nombre élevé, répond le Dr Turgeon. C’est inévitable que certaines radiographies doivent être reprises. Plusieurs raisons sont possibles : il manque une partie de la dent qu’on veut voir, l’angulation était inadéquate pour voir ce qu’on souhaite, il y a eu un mouvement du patient… La radiographie pourrait ne pas être parfaite, mais si elle atteint l’objectif diagnostique, on ne la reprendra pas. »

Réclamer son passé

Faudrait-il que les dentistes remettent les radiographies aux patients sur demande, notamment par courriel, pour éviter les reprises ? « Oui, acquiesce le Dr Turgeon. Si un patient en fait la demande, le dentiste se doit de lui remettre une copie de son dossier et ses radiographies. » Avoir accès aux anciennes radios « pourrait permettre de diminuer le nombre qui doit être pris, ou à tout le moins de comparer les anciennes et nouvelles radiographies pour des changements, ce qui pourrait influencer certains diagnostics et traitements », convient-il.

Imagerie avancée

Les dentistes ont désormais accès à l’imagerie avancée, qui émet plus de radiations : cone beam, ou tomodensitométrie volumique par faisceau conique (TVFC), tomodensitométrie médicale (CT-scan) et imagerie par résonance magnétique (IRM). C’est utile lors d’interventions chirurgicales (par exemple, lors de la pose d’implants ou en prévision d’une greffe osseuse), pour certaines pathologies, etc.

En orthodontie, une spécialité où les patients sont souvent des enfants, l’utilisation du cone beam est « plus controversée, vu l’utilisation parfois exagérée », a souligné le Dr Turgeon lors de ses conférences. « Cette utilisation exagérée n’a pas été vue au Canada, précise-t-il. C’était plutôt localisé dans certains États américains, comme la Californie. »

Risque de cancer

C’est un fait : les rayons X peuvent endommager l’ADN des cellules saines et induire un cancer. « L’exposition à certaines radiographies dentaires effectuées dans le passé, lorsque l’exposition aux rayonnements était plus importante qu’à l’époque actuelle, semble être associée à un risque accru de méningiome intracrânien », a conclu une étude publiée dans la revue Cancer en 2012.

Même si les doses de radiation sont aujourd’hui très faibles, « les bénéfices de chaque examen doivent dépasser les risques de celui-ci », a rappelé le Dr Turgeon dans ses conférences. La dose reçue par chaque patient doit être « aussi faible que raisonnablement possible », un principe de précaution connu sous l’acronyme anglophone ALARA (« as low as reasonably achievable »).

radiographies dentaires

Espacer les radios des enfants

Tous les deux ans. C’est la fréquence à laquelle les enfants de Marc-Antoine Angers passent des radiographies dentaires. « Pas besoin d’un postdoc pour comprendre que moins nos enfants sont exposés aux rayons X, plus ils ont de chances de vivre en santé ! », a-t-il écrit sur Facebook.

Au départ, le dentiste de ses enfants souhaitait prendre des radios à chaque rendez-vous. « Les premières années, il a beaucoup insisté, se souvient M. Angers dans une entrevue téléphonique. Pas juste le dentiste, l’hygiéniste dentaire aussi. Même la réceptionniste m’a fait part de l’importance de passer des radiographies annuellement. »

Aujourd’hui âgés de 10 et 12 ans, ses enfants ont pourtant de belles et bonnes dents. « Le plus vieux a eu une seule carie dans sa vie et le plus jeune, aucune », témoigne M. Angers.

Pas de recette pour tous

Les dentistes doivent-ils prescrire des radiographies aux enfants chaque année ? « Moi, je ne prends pas des radiographies de tous mes patients une fois par an, répond la Dre Marie-Ève Asselin, dentiste et chef du département de médecine dentaire au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Ça dépend. Si j’ai un enfant qui est plus à risque d’avoir des caries, je vais en prendre plus fréquemment. Si l’enfant présente beaucoup d’espace entre ses dents et que je suis capable de vérifier cliniquement qu’il n’y a pas de caries entre les dents, je ne lui prendrai pas nécessairement de radiographies intraorales. Il n’y a pas une recette qui doit être appliquée à tout le monde. »

Les radios sont néanmoins utiles, souligne la Dre Joanne Éthier, enseignante à la faculté de médecine dentaire de l’Université McGill et consultante en radiologie dentaire et maxillo-faciale aux laboratoires d’analyse Imagix-Biron. « Un parent doit toujours se rappeler que les radiographies dentaires représentent un risque beaucoup plus faible qu’un problème dentaire non détecté et non traité », estime-t-elle.

Droit de refus, mais…

Un patient a évidemment le droit de s’opposer à toute radio. « Cependant, si le dentiste juge qu’il lui est essentiel d’obtenir une radiographie, il pourrait alors refuser de traiter le patient ou d’effectuer un traitement en particulier », souligne l’Ordre des dentistes du Québec sur son site internet.

Ce n’est pas le cas de Marc-Antoine Angers, qui passe lui aussi des radiographies bisannuelles – et songe à les espacer davantage. « J’ai 40 ans et j’ai eu deux ou trois caries dans ma vie, calcule-t-il. Je n’ai plus de dents de sagesse. Mes dents ne bougent plus. M’offrir des radiographies chaque année, ce n’est pas justifiable. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.