découverte et développement de médicaments

L’intelligence artificielle peut-elle prévenir les échecs ?

C’est le cauchemar de toute entreprise pharmaceutique : après avoir investi des centaines de millions et des années de développement dans un médicament, on lui découvre un effet secondaire qui l’empêche d’être mis sur le marché. L’intelligence artificielle peut-elle prédire ce genre de flop ? Plusieurs y croient. Et Montréal rêve de s’imposer dans ce créneau.

Therence Bois, 24 ans, termine actuellement un doctorat en médecine cellulaire à l’Institut de recherches cliniques de Montréal. Son but : améliorer certaines chimiothérapies contre le cancer.

« Bien naïvement, quand j’ai commencé, je pensais pouvoir développer un médicament pendant la période de mon doctorat. J’ai rapidement réalisé que c’était un peu absurde de penser que c’était possible », raconte-t-il.

C’est qu’il faut aujourd’hui entre 10 et 15 ans – et jusqu’à 2,5 milliards de dollars – pour amener un médicament sur le marché. Comme plusieurs, Therence Bois estime qu’il s’agit d’un problème. Et pour essayer de le régler, il a fondé avec deux autres étudiants la petite boîte InVivo AI. L’idée : utiliser l’intelligence artificielle pour révolutionner la découverte et le développement de médicaments.

Therence Bois est loin d’être le seul à réfléchir à cette possibilité. En fait, on sent clairement un engouement autour de l’idée.

« Des tonnes d’expériences sont faites du début de la chaîne de découverte jusqu’à la mise en marché du médicament, et cela génère beaucoup de données. Pour l’instant, chacune des étapes est analysée indépendamment. On croit que des mécanismes pourraient intégrer toutes les données acquises et les exploiter », explique Sébastien Lemieux, chercheur principal à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) de l’Université de Montréal.

La découverte de médicaments est en effet un processus complexe. Les chercheurs déterminent d’abord des « cibles thérapeutiques » – une molécule, par exemple, qui est produite en trop grande quantité et qui cause un débalancement. À l’aide de robots, ils testent ensuite des milliers de composés pour voir lesquels interagissent avec la cible (un procédé appelé « criblage »). Les composés qui fonctionnent sont mis entre les mains des chimistes, qui les modifient en plusieurs versions afin de trouver la plus efficace.

Les meilleurs candidats-médicaments sont testés sur des animaux. On fait ensuite des essais sur des humains en santé afin de tester l’innocuité de la molécule sous différents dosages, puis sur des groupes de plus en plus importants de malades afin d’en mesurer l’efficacité.

Sébastien Lemieux croit que l’apprentissage profond, une branche particulièrement en vogue de l’intelligence artificielle, pourrait examiner comment divers composés se sont comportés par le passé dans chacune de ces étapes et faire des prédictions sur le potentiel d’autres composés à devenir de véritables médicaments.

Les grandes pharmaceutiques dans le bateau

« Au cours des deux dernières années, toutes les pharmaceutiques du top 20 ont intégré l’intelligence artificielle », dit Pierre Côte, gestionnaire des agents de liaison médicale et scientifique, cardiométabolique, pour la multinationale pharmaceutique Boehringer Ingelheim. Selon lui, ces entreprises en sont toutefois beaucoup plus au stade d’apprivoiser ces technologies que de les utiliser efficacement.

Dans un univers où la médecine personnalisée est sur toutes les lèvres, M. Côte explique que l’intelligence artificielle pourrait notamment aider à bien cibler qui pourrait bénéficier d’un médicament selon sa condition médicale et son bagage génétique. Cela pourrait éviter de tester des médicaments sur des gens qui n’y répondent pas bien, ce qui fait perdre du temps et de l’argent.

Le saint Graal serait d’éviter le scénario catastrophe dans lequel on découvre des effets secondaires d’une substance après y avoir investi des années de travail. Pas moins de 40 % des candidats-médicaments qui se rendent jusqu’aux tests sur les humains échouent à cause de problèmes de toxicité.

« Ce qu’on veut, c’est éviter les échecs au bout de la chaîne. Si on arrive à connaître les cibles potentiellement indésirables d’un médicament dès le départ, on pourrait arrêter la recherche plus rapidement. »

—  Pierre Côte, de Boehringer Ingelheim

C’est exactement ce que s’est donné comme mission la petite entreprise InVivo AI.

L’un des nerfs de la guerre risque d’être l’accès aux données. Les algorithmes d’intelligence artificielle sont gourmands et doivent être alimentés avec de grandes quantités d’informations. Or, celles-ci sont souvent jalousement gardées par les entreprises pharmaceutiques comme secrets commerciaux. Sachant cela, autant Sébastien Lemieux, à l’IRIC, que Therence Bois, chez InVivo AI, tentent de développer des algorithmes moins gourmands en données.

Montréal, on le sait, compte une masse critique de chercheurs en intelligence artificielle. Et même si l’industrie pharmaceutique québécoise n’a plus la vigueur qu’elle avait, Sébastien Lemieux est convaincu que Montréal a tout ce qu’il faut pour participer à la révolution de la découverte de médicaments.

« Localement, on a de jeunes gens qui sont formés en intelligence artificielle et qui sont en recherche d’applications, dit-il. C’est évident qu’on est extrêmement bien positionnés. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.