Face à face
Contre la maternelle 4 ans

Les CPE offrent un milieu idéal

J’estime que le gouvernement ne considère pas, comme cela devrait l’être, les besoins développementaux des enfants, et en particulier, les besoins concernant la sphère socioaffective de leur développement. 

L’argument principal du gouvernement pour justifier l’obligation de la maternelle 4 ans est celui de la réussite scolaire. Le lien d’association et non de causalité qui est fait suppose que si on soutient bien le développement cognitif à la petite enfance (alphabétisation et numérisation), des bienfaits seront constatés tout au long du parcours scolaire, favorisant la réussite scolaire pour une majorité de jeunes. 

Ce critère de réussite est-il le seul sur lequel se baser pour justifier une telle initiative scolaire nationale ? 

Voyons les travaux de Schweinhart et ses collègues (HighScope), à l’origine de cette conception et de ce choix de maternelle 4 ans. Ces chercheurs ont bâti des activités de simulation des habiletés cognitives pour des enfants préscolaires issus de milieux défavorisés en banlieue de Chicago au mitan des années 60. Le but avoué de la recherche étant d’augmenter le quotient intellectuel (QI) des enfants afin qu’ils arrivent à l’école avec tous les outils cognitifs nécessaires à leur réussite scolaire. Bien que le QI ait effectivement augmenté significativement, comme prévu, pour les enfants du programme, comparativement à un groupe n’y participant pas, le QI du groupe cible est revenu à son niveau initial au milieu du niveau primaire. Devant ce constat déconcertant, il a quand même été décidé de suivre les enfants de l’étude jusqu’à l’âge adulte. 

Heureusement ! Car des résultats inattendus sont survenus. À l’enfance, moins de jeunes du programme, comparativement aux autres jeunes, font l’objet de soins pour troubles émotionnels ou de comportement. À l’adolescence, davantage de jeunes, garçons et filles, du programme ont quand même terminé leur high school, moins de jeunes ont des activités délictueuses et présentent des indices de délinquance.

À la mi-vingtaine, les jeunes du programme sont plus nombreux à être mariés et stables dans leur union, à occuper un emploi, ont un meilleur salaire, sont moins nombreux sur l’aide sociale, ont moins de sentences et moins de relations malsaines. À la quarantaine, à peu près le même constat émerge : davantage d’hommes élèvent leur(s) enfant(s) et en sont heureux, rapportent de bonnes relations avec leur famille et utilisent moins de psychotropes et de cannabis (Schweinhart et al., 2005).

Au-delà de la réussite scolaire 

Qu’est-ce que ces résultats et ceux de nombreuses études subséquentes nous enseignent ? Que le seul critère de réussite scolaire n’est pas forcément le meilleur, car les jeunes, malgré un retour au QI initial, ont bénéficié du programme Highscope, non pas uniquement sur le plan du développement cognitif, stricto senso, mais aussi sur celui du développement socioaffectif, menant à une meilleure adaptation sociale et personnelle jusqu’à l’âge adulte. 

On voit, ici, les effets d’une interaction complexe et subtile entre les différentes dimensions du développement pour en arriver à des adultes bien ou mieux adaptés à la vie en société. Or, en CPE, c’est le développement global et l’atteinte des jalons développementaux qui sont considérés, plutôt que les habiletés cognitives uniquement. 

L’influence sur le développement du jeune enfant (y compris cognitif) passe à travers la qualité des interactions et de la relation avec l’adulte, par conséquent, l’aspect socioaffectif. En CPE, cet adulte, l’éducatrice, se veut bienveillant (selon l’approche humaniste), un guide (selon la théorie socioculturelle du développement) et un modèle (selon la théorie de l’apprentissage social).

Les besoins, tâches et jalons développementaux des enfants de 4 ans étant principalement axés sur le domaine socioaffectif du développement, le travail accomplir, tant pour l’enfant tout venant que pour ceux à risque ou atteints dans la qualité de leur développement, ne peut se faire dans la confusion des rôles avec deux adultes, et de surcroît, dans un groupe comprenant trop d’enfants. L’enfant de 4 ans a besoin d’une relation sécurisante avec un adulte pour l’accompagner dans un environnement propice à son bon développement dans un groupe restreint (10 maximum). 

Les enfants de 4 ans ont tout ce qu’il leur faut en CPE pour assurer la qualité de leur développement socioaffectif, langagier, moteur et cognitif de façon harmonieuse.

Pourquoi déraciner les 4 ans et leurs parents d’un environnement, les CPE, qu’ils connaissent bien et qui leur est sécurisant ? Au nom de la réussite scolaire ? Pourquoi ne pas les laisser là par souci de leur saine adaptation sociale et personnelle, et élargir plutôt cette chance à tous les enfants de 4 ans du Québec en offrant l’accessibilité gratuite en CPE ? 

Le gouvernement devrait prendre connaissance et tenir compte des constats du rapport très fouillé du Conseil supérieur de l’éducation de 2012, recommandant de garder les enfants de 4 ans en CPE, selon les principes de la pédagogie sociale. 

En somme, que voulons-nous pour nos enfants ? « Je préfère des têtes bien faites à des têtes bien pleines », disait Montaigne. 

En terminant, j’ai l’impression que la maternelle 4 ans tout venant est appuyée par des convictions plutôt que par l’analyse rationnelle de l’ensemble des connaissances objectives sur le sujet. Puis-je rappeler ici la citation du philosophe Nietzsche : « Les convictions sont des ennemies de la vérité plus dangereuses que les mensonges. » Et ça vaut également pour moi…

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