Opinion

Des cancres en histoire ?

Au lieu d’offrir un portrait nuancé de la mémoire collective, Lepage et Nantel utilisent la prétendue ignorance des Québécois pour promouvoir leurs spectacles

Chacun à sa manière, Robert Lepage et Guy Nantel déplorent l’ignorance des Québécois envers l’histoire. Certains diront que déplorer cette ignorance est nécessaire. D’autres verront dans cette dénonciation une stratégie de marketing visant à promouvoir des spectacles.

Depuis mars 2014, Robert Lepage accorde des entrevues à des médias canadiens, français ou écossais afin de promouvoir son nouveau spectacle solo. Dans 887, Lepage revisite ses souvenirs d’enfance alors qu’il habitait au 887 de l’avenue Murray à Québec. L’action se déroule durant les années 1960 alors que le Québec reçoit la visite du général de Gaulle et que Michèle Lalonde entonne Speak White.

Selon Lepage, il faut revenir sur les années 1960 puisque son « pays est amnésique de cette époque ». Selon ses dires : « Les gens, surtout les nouvelles générations, agissent ou parlent comme si le Québec était, depuis toujours, une société du XXIe siècle. Beaucoup évoquent son histoire récente, mais très peu se souviennent de l’époque où tout a commencé. » Pourtant, les années 1960 sont si souvent mentionnées sur les réseaux sociaux que l’historien Alexandre Turgeon avance l’idée d’une « Révolution tranquille 2.0 ».

Tout au long des 12 entrevues que j’ai lues à propos de 887, Lepage martèle le même message. Ce faisant, Lepage légitime son nouveau spectacle à propos de la mémoire. Selon ses dires : « C’est le devoir du théâtre de ramener le passé ».

LE CAS NANTEL

Les vox pop de l’humoriste Guy Nantel sont populaires et vues par des centaines de milliers d’internautes. Le scénario est toujours le même. Devant une caméra, Nantel pose des questions factuelles à des gens qui doivent répondre en faisant appel à leur mémoire. Les réponses obtenues font rire ou pleurer, c’est selon. À tout coup, les vidéos se terminent par la promotion d’un spectacle de Nantel.

Le 2 avril, l’humoriste réalisait un vox pop pendant une manifestation contre l’austérité. Sur l’histoire, Nantel demande « En quelle année Montréal a été fondée ? » Une future professeure d’histoire répond 1760. L’humoriste demande aussi : « Qui a fondé la ville de Montréal ? » Deux jeunes hommes répondent « Jacques Cartier ». La vidéo se termine par une publicité du spectacle Corrompu.

Pour la première fois, Nantel précise qu’il a conservé seulement les pires réponses « afin d’accentuer l’effet humoristique de l’exercice ». En 2014, Léa Stréliski avait reproduit un des vox pop de Nantel : même coin de rue, mêmes questions, mais un bien meilleur taux de bonnes réponses.

En analysant les campagnes de promotion menées par Robert Lepage et Guy Nantel, on apprend peu de choses sur la mémoire collective québécoise. Ni Lepage ni Nantel ne mettent en scène ce que savent les Québécois à propos de l’histoire. Au lieu d’offrir un portrait nuancé de la mémoire collective, ils produisent un discours unidimensionnel au service de la promotion de leur spectacle.

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