Chronique

Le Bon Dieu sans confession pour les banques

En théorie, le principe du « prêteur responsable » qui est au cœur de la réforme de la Loi sur la protection du consommateur est un bel outil pour lutter contre le surendettement. Mais en pratique, cet instrument risque de ne pas être aussi utile qu’on le souhaite.

C’est que le projet de loi 134 déposé par la ministre de la Justice Stéphanie Vallée au début de mai comporte des exclusions et des compromis qui diluent les beaux principes.

Quand on lit le projet de loi comme il faut (et ce n’est pas si simple, croyez-moi !), on réalise que Desjardins, les banques et les compagnies d’assurances sont exclus des articles qui encadrent la notion de prêteur responsable.

En gros, ces articles disent qu’avant d’accorder du nouveau crédit, un prêteur doit tenir compte de la capacité de remboursement de l’emprunteur. Le gros bon sens, quoi.

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Malheureusement, la loi s’attaquera seulement aux prêteurs plutôt marginaux (ex. deuxième chance au crédit, prêteurs privés) ou aux bandits de grand chemin qui prêtent à 300 % d’intérêt.

Les banques, Desjardins et les compagnies d’assurances obtiennent le Bon Dieu sans confession. Pourtant, ces grandes institutions financières sont elles aussi responsables du surendettement des consommateurs. Elles ne peuvent pas s’en cacher.

En fait, les banques et Desjardins sont à l’origine de 59 % de l’endettement des consommateurs qui se retrouvent au bord de la faillite, selon une analyse des dossiers déposés en 2016 auprès du syndic en insolvabilité Jean Fortin & associés, qui compte 55 bureaux à la grandeur du Québec. Notez que ce pourcentage ne tient même pas compte des prêts automobiles et des hypothèques consentis par Desjardins et les banques.

« Je m’explique mal pourquoi on les a exclus. Je trouve ça regrettable », m’a confié le syndic Pierre Fortin.

Bon, je conviens que ces prêts n’ont pas nécessairement tous été accordés à tort et à travers par les banques et Desjardins. Il est possible que la situation financière de l’emprunteur ait été potable lorsqu’il a contracté le prêt, mais qu’elle se soit détériorée par la suite à cause d’un divorce, d’une maladie ou d’autres aléas de la vie.

N’empêche, les banques et Desjardins ne sont pas blanches comme neige. « Toutes les associations de consommateurs ont été témoins de situations où les institutions financières ont prêté au-delà de la capacité financière du consommateur », m’a certifié Karine Robillard, d’Option consommateurs.

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Mais il semble que Québec ait préféré ne pas faire de vagues. Le gouvernement a choisi de ne pas attaquer le puissant lobby bancaire. Il faut dire que les banques ont déjà refusé de se plier à la LPC, sous prétexte qu’elles sont de compétence fédérale.

Même si cet argument a été rejeté par la Cour suprême dans l’affaire Marcotte, on dirait que le gouvernement n’a pas voulu s’embarquer dans un nouveau débat constitutionnel qui aurait pu enliser le projet de loi qu’on attend depuis six ans déjà.

Évidemment, Québec aurait pu cibler uniquement Desjardins qui relève du provincial. Mais ce faisant, il aurait affaibli la position concurrentielle de la coopérative face aux banques, ce qui n’aurait pas été souhaitable.

Il est vrai que Desjardins et les banques doivent déjà suivre des pratiques de gestion saine et prudente établies par l’Autorité des marchés financiers et par le Bureau du surintendant des institutions financières.

Mais ces règles sont davantage conçues pour éviter des dérives qui risqueraient d’ébranler le système financier, plutôt que pour protéger chaque petit consommateur individuellement. En outre, le consommateur a très peu de recours en vertu de ces règles.

Au lieu d’avoir des règles différentes pour tout le monde, ce qui risque de créer la confusion dans l’esprit des consommateurs, il serait donc préférable d’adopter des règles claires et uniformes qui s’appliquent à tous, à commencer par les plus gros prêteurs au Québec.

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Parlant d’uniformité, il serait judicieux de contraindre tous les prêteurs à remettre une copie de l’évaluation de la capacité de remboursement à leurs clients. Pour l’instant, seuls les prêteurs qui accordent un prêt à taux élevé (combien ? On ne le sait pas encore) seront soumis à cette obligation.

En donnant aux consommateurs des outils leur permettant de mieux jauger leur endettement, on les aiderait à prendre leurs responsabilités.

Reste à voir comment la règle du prêteur responsable va s’appliquer concrètement. Ce n’est que dans le règlement qu’on saura exactement comment les commerçants devront s’y prendre pour évaluer la capacité du client de rembourser le crédit demandé.

Chose certaine, on ne peut pas juste s’attarder au taux d’endettement, c’est-à-dire au montant des dettes accumulées par un individu par rapport à son revenu annuel. Ce taux peut être très élevé pour un jeune qui vient de s’acheter une maison, sans que ce soit inquiétant, car sa dette est associée à un actif et le propriétaire dispose de 25 ans pour rembourser le prêt à un taux d’intérêt raisonnable.

À l’inverse, un autre consommateur avec un taux d’endettement plus faible pourrait être dans le pétrin, car il est étouffé par des mensualités élevées sur des prêts à la consommation qui lui coûtent 40 % d’intérêts.

Alors, la seule véritable façon de savoir si un consommateur a les moyens d’emprunter, c’est de faire un budget avec lui. Les commerçants vont-ils s’astreindre sérieusement à cet exercice, eux qui sont en conflit d’intérêts, car ils souhaitent accorder le crédit au consommateur ? En Europe, les pays qui ont implanté le principe de prêteur responsable disposent d’un organisme central indépendant qui donne le feu vert ou pas.

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