ENTREVUE

Quand une mère décide de tout plaquer 

Maman est partie chercher du lait est le premier roman de Maude Goyer, journaliste et blogueuse (Maman 24/7). Un livre sur le thème de la charge mentale dans lequel une mère de famille qui en a assez de gérer courses, agendas, repas et activités décide de tout plaquer. Entrevue. 

Est-ce le fantasme de beaucoup de mères de famille que de partir chercher du lait et ne jamais revenir ?

Je suis convaincue que toutes les mères du monde, à un moment donné, ont eu envie de partir. On a toutes eu une « écœurantite » où on a eu envie de partir, ne serait-ce que pour relaxer deux ou trois jours. Comme un lâcher-prise ultime que tu n’es pas capable d’appliquer au quotidien, car prise dans ta routine. On a besoin de cette bouffée d’air et de partir. Moi aussi, j’y ai pensé !

Comment avez-vous eu cette idée ?

C’est un fait divers qui m’a donné l’idée. En mai 2017, Karine Major, une femme de Rimouski, a disparu volontairement pendant quelques jours, et elle a été retrouvée dans l’Ouest canadien. Elle n’avait pas d’enfants, mais ça m’a donné l’idée, car on peut tous et toutes craquer, à un moment ou à un autre.

Dans votre roman, vous racontez la rencontre d’Isabelle avec son conjoint, puis tout se corse à la naissance des enfants. Est-ce qu’on nous vend l’idée que la famille est un lieu paradisiaque ?

Oui. Je pense que les enfants, ça « fucke » le couple. Ça déstabilise ta vie de femme, ta vie d’amoureuse, d’amante, d’amie. À partir de ce constat, il faut se demander : comment faire pour que ton couple survive ? Oui, on nous vend la famille comme un havre de paix, comme un objectif ultime. On est mal préparé, même si tout le monde nous dit lorsqu’on est enceinte : tu vas voir, ta vie va changer ! Mais on ne s’imagine pas à quel point ! On idéalise l’accouchement, l’allaitement, on voit la famille avec des lunettes roses. Et la suite n’est pas facile non plus, car beaucoup de parents se séparent alors que leur enfant a seulement 5 ans ! Ça prouve bien que c’est difficile.

Parlons de la charge mentale. Les femmes sont épuisées, jonglent avec leur travail, les tâches domestiques, les activités des enfants, les courses… Pourquoi en sommes-nous là ?

Beaucoup de femmes, une fois mères, deviennent follement amoureuses de leurs enfants. C’est beau, mais c’est très intense. L’année que nous passons en congé de maternité y est pour quelque chose. À partir du moment où le congé sera pris de manière plus égalitaire et séparément avec le papa, peut-être que la charge mentale sera mieux répartie. Si les femmes accèdent à plus de postes de direction, il y aura aussi des améliorations. Là, on se retrouve avec des femmes de ma génération qui s’occupent de leurs enfants et de leurs parents vieillissants, qui veulent performer au travail et gravir les échelons, mais qui veulent répondre aux besoins de tout le monde ! C’est en train de changer, on va y arriver.

Est-ce que les femmes en sont responsables ? On a infantilisé les hommes ?

Je suis partie faire de la marche une semaine en Gaspésie. Mes enfants sont restés avec mon mari, et il s’est très bien arrangé tout seul. Mais j’ai rencontré des femmes là-bas qui me disaient qu’elles avaient préparé les cinq jours de lunch pour leurs enfants et tous les soupers ! Ça me décourage, et quand je leur dis que ce n’est pas normal, elles me répondent que c’est la seule façon de pouvoir partir ! Que veux-tu ! Chacun a sa réalité et ses raisons. Moi, j’ai lâché prise là-dessus ! Quand j’ai demandé à mes deux enfants ce qu’ils avaient mangé pendant une semaine, ils ont bien ri, mais c’est très bien ainsi !

Vous semblez, par l’entremise du personnage du roman, Isabelle, envier la garde partagée. Avoir les enfants une semaine sur deux pour avoir du temps pour soi, est-ce la solution ?

Je ne suis pas du tout d’accord avec ça, mais je l’ai entendu très souvent de la part des femmes. Vraiment. Elles m’ont confié qu’elles trouvaient ça dur de ne pas voir leurs enfants tout le temps, mais elles ont désormais du temps pour elles, elles partent en week-end et en vacances avec leur nouvel amoureux, mettent les bouchées doubles au travail les jours où elles sont sans enfant. Je ne dis pas qu’elles sont contentes, mais elles y voient de très beaux avantages.

Je ne veux pas dévoiler la fin du roman, mais le constat que vous faites est assez sombre. Pourquoi ?

C’est un choix, je ne voulais pas faire une fin rose bonbon, car le personnage est trop fâché. Elle n’est pas heureuse, alors il lui faut du changement. Elle ne peut pas rester au même point malgré sa fugue volontaire.

Parution le 10 octobre

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