Santé

Le « petit Émile » a 18 ans

À l’âge de 2 ans, il est devenu le plus jeune patient en Amérique du Nord à attendre une greffe branché à un cœur mécanique.

« Je ne sais pas si on peut me faire confiance avec ça », a ironisé le jeune homme en tranchant son gâteau de « félicitations » sous les applaudissements des médecins, infirmières et intervenants. Celui qu’on surnomme encore « le petit Émile » fête ses 18 ans cette semaine.

Bien malgré lui, Émile est devenu la fierté du personnel médical de l’Hôpital de Montréal pour enfants en étant le premier patient au pays, et le plus jeune en Amérique du Nord, à survivre aussi longtemps grâce à un cœur mécanique livré depuis l’Allemagne. Son attente aura duré plus de 100 jours avant qu’il ne reçoive le cœur compatible d’un jeune donneur du New Jersey. C’était en 2002. Il avait 2 ans, il faisait la manchette des grands médias chaque semaine.

Désormais, le jeune homme, qui rêve d’une carrière dans la construction résidentielle, sera suivi à la clinique des greffés adultes de l’hôpital Royal Victoria, du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Mais avant de couper le cordon, son équipe soignante de l’Hôpital de Montréal pour enfants, au site Glen, lui réservait une petite fête d’au revoir hier, en compagnie de ses parents. Au total, une centaine de professionnels de la santé ont soigné Émile.

« Pour moi, c’est comme si c’était mon fils qui obtenait son diplôme. On est tellement fiers de lui. On lui a dit de venir nous revoir », a lancé l’infirmière clinicienne de l’unité pédiatrique de soins complexes, Éloisa Binder.

Le Dr Hema Patel, chef de l’unité et pédiatre, se rappelle l’arrivée du petit Émile à l’ancien « Children’s », rue Tupper, au centre-ville de Montréal.

« C’était tout un voyage, dès le début. Il avait des difficultés respiratoires. Dès le lendemain, on a su qu’il souffrait d’une cardiopathie. À cette époque, on n’avait jamais vécu un accompagnement aussi long sur un cœur mécanique. »

À ses côtés, sa mère Sherley Grondin et son père Steeve Jutras se souviennent aussi des premiers jours de la maladie de leur fils.

« Nous étions arrivés à l’hôpital en pensant que c’était une pneumonie. Jamais on n’aurait pensé que son cœur était atteint. Le lendemain, on apprenait que son cœur ne fonctionnait qu’à 10 % », se remémore sa mère, qui continue de l’accompagner à chacun de ses rendez-vous à l’hôpital, souvent toutes les semaines.

Cocktail de pilules

Émile a une vie presque normale aujourd’hui, à la différence qu’il doit avaler une dizaine de pilules chaque jour. Des immunosuppresseurs, en majorité. Il sera toujours soumis à des prises de sang, des biopsies, une batterie de tests. Sa nouvelle cardiologue spécialisée en greffe adulte, la Dre Nadia Giannetti, explique qu’il devra être suivi de près toute sa vie.

« En vieillissant, les jeunes greffés sont différents des autres. Il est plus susceptible de développer un cancer de la peau. Il est plus à risque de souffrir de maladies cardiaques, d’avoir des artères bouchées. Il est aussi surveillé en hématologie. »

En même temps, il y a quelque chose de fascinant dans la croissance d’Émile, poursuit la cardiologue. « Vous savez, son petit cœur a grossi en même temps que lui. Il a aujourd’hui un cœur d’adulte. Ici, il sera entouré de plus de patients comme lui. Des adultes. Il intègre un gros réseau de spécialistes », précise la Dre Giannetti.

Le chef du programme de chirurgie et transplantation cardiaque du CUSM, le Dr Renzo Cecere, se souvient du jour où il a greffé un cœur au bambin de 2 ans. Le cas d’Émile a fait école, dit-il.

« Depuis, on a maintenu en vie des enfants encore plus jeunes que lui grâce à un cœur mécanique. En fait, nous utilisons le même cœur de Berlin, la même machine. Celui-là même que je lui avais implanté. »

Côté avancées technologiques, les adultes bénéficient aujourd’hui d’un cœur mécanique de troisième génération, implanté complètement à l’intérieur du thorax. « Un cœur qui peut se porter durant des années », ajoute le Dr Cecere.

« Mais il n’y a pas eu d’évolution dans le domaine pour les enfants, déplore-t-il. Il faut dire que la recherche est très dispendieuse, et que les enfants atteints d’une anomalie cardiaque sont moins nombreux. Pas moins de 100 millions de dollars ont été nécessaires pour mettre au point la deuxième génération de cœur mécanique chez les adultes », donne-t-il pour exemple.

L’avenir

Des équipes de chercheurs, notamment en France, ont commencé à tester des greffes de cellules souches, prélevées chez le patient lui-même (greffes dites « autologues »), de sorte qu’il n’y ait aucun risque de rejet et pas de traitements immunosuppresseurs. Avec le peu de donneurs, particulièrement chez les enfants, les cellules souches ont le potentiel de révolutionner la médecine cardiaque un jour.

En 2014, 2590 Canadiens vivaient avec une greffe du cœur.

(Source : Institut canadien d’information sur la santé)

Trois enfants sont actuellement en attente d’un cœur au Children’s.

L’Hôpital de Montréal pour enfants suit chaque année entre cinq et dix jeunes greffés.

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