Emmanuelle Walter

Sœur blanche

Qui : Emmanuelle Walter, essayiste et journaliste.

Quoi : essai Sœurs volées – Enquête sur un féminicide au Canada : l’auteure s’inspire de la disparition de deux adolescentes autochtones de la réserve Kitigan Zibi et de Maniwaki pour illustrer l’indifférence avec laquelle est traitée la disparition et l’assassinat de plus d’un millier de femmes autochtones depuis 30 ans au Canada.

Quand : publié en novembre 2014 aux éditions Lux. La version anglaise paraîtra en septembre.

Influences : Dalva de Jim Harrison, lu il y a plus de 10 ans, et aussi les romans Dans le silence du vent de Louise Erdrich et Dans le grand cercle du monde de Joseph Boyden.

Livres féministes recommandés : Miss Charity de Marie-Aude Murail, un roman jeunesse de 560 pages inspiré de la vie de Beatrix Potter.

Quelle était la principale difficulté d’écriture quand vous avez écrit Sœurs volées ?

C’était de passer du général au particulier et du particulier au général, constamment. Car, au départ, je pensais écrire uniquement sur le fait divers (la disparition de deux adolescentes autochtones, Maisy Odjick et Shannon Alexander, en 2008). J’ai beaucoup couvert de faits divers dans ma vie de journaliste (à Libération puis au Nouvel Observateur), et j’ai toujours adoré cela, cela dit beaucoup de notre société. Mais là, ça ne marchait pas. Je n’avais pas assez de données sur l’enquête, car la SQ refusait de me répondre, pour toutes sortes de raisons. J’ai alors réalisé qu’il fallait documenter la tragédie, en amont de la disparition de Maisy et Shannon. Laurie, la maman de Maisy, milite aussi pour qu’on enquête sur toutes les femmes autochtones disparues : son récit relève donc de l’intime mais aussi de la sphère publique. Raconter Laurie me permettait donc de tout raconter, tout en articulant toujours mon récit autour de la vie de Maisy et Shannon.

Que le sujet fasse l’objet d’un livre a-t-il changé quelque chose à la perception de ce sujet ?

Le livre a en quelque sorte cristallisé le phénomène de la disparition des femmes autochtones : si on pouvait écrire tout un livre sur le sujet, ça voulait donc dire que c’était gros. Le fait d’avoir sous-titré l’essai avec le mot « féminicide », cela a aussi fait énormément réagir, tant les journalistes que le public… Enfin, je ne suis pas une théoricienne, je suis une journaliste. J’ai donc travaillé à partir du récit, de l’enquête, du croisement d’informations… Du coup, les gens ne pouvaient que se dire : « C’est donc vrai. »

En abordant la disparition des femmes autochtones, reçue dans l’indifférence la plus complète, un de vos objectifs était-il dès le départ de parler d’un enjeu social ?

Oui, bien sûr. Mais c’était surtout pour partager ma stupeur que j’ai voulu faire ce livre. Quand vous découvrez un phénomène d’une telle ampleur, toutes ces femmes disparues sans qu’on réagisse, cette épidémie d’assassinats dans un pays où il est doux de vivre… Je me souviens encore très bien du soir de décembre 2011, dans ma chambre, devant mon ordinateur, où j’ai appris que l’ONU voulait enquêter sur le sujet, j’ai halluciné : « enquête de l’ONU » et « Canada », pour moi, ça n’allait pas dans la même phrase ! Alors, sensibiliser les gens, oui. Mais aussi partager ma stupéfaction, ma sidération devant tout ce que j’ai découvert…

Est-ce lourd de devenir la porte-parole d’un sujet féministe ?

Ma mère a été une militante féministe très engagée. J’ai donc été sensibilisée, mais je ne m’identifiais pas comme féministe. D’ailleurs, j’aurais écrit cet essai en France qu’il n’aurait pas été perçu comme féministe, mais comme portant sur la défense des femmes autochtones, point. C’est depuis que je suis installée au Québec que le féminisme est dans ma vie, je l’avais perdu de vue comme environnement intellectuel. Je trouve cela très intéressant, très surprenant aussi. J’ai découvert ainsi, pendant l’enquête, qu’il existe un féminisme autochtone très vigoureux, qui ne se reconnaît pas dans le féminisme blanc. Je n’avais pas du tout prévu que mes propos seraient considérés comme féministes, mais j’en suis vraiment contente.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.