Martine Delvaux

Sérielle auteure

Qui : Martine Delvaux, essayiste, romancière et professeure de littérature à l’Université du Québec à Montréal

Quoi : essai Les filles en série – Des Barbies aux Pussy Riot : l’auteure se penche sur une série de « séries », de la poupée Barbie jusqu’aux jambes de filles des bas Dim et des danseuses de French Cancan, les showgirls, les Bunnies de Playboy en passant par les actions des Femen ou des Pussy Riot.

Quand : publié en décembre 2013 aux éditions du Remue-Ménage.

Influences : Marguerite Duras, pour la fiction, et aussi l’engagement politique, social, la parole publique. Virginie Despentes en tant qu’essayiste et par la parole qu’elle fait entendre dans les médias. La culture populaire – cinéma, télé, publicité…

Livres féministes recommandés : King Kong théorie de Virginie Despentes, Le ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, Trois guinées de Virginia Woolf.

Quelle était la principale difficulté d’écriture quand vous avez écrit Les filles en série ?

Arriver à trouver une forme, une voix, pour parler d’un phénomène qui me semblait manifeste partout, compliqué à déplier parce qu’omniprésent. D’où les parties autobiographiques et les images qu’on trouve dans le livre. Il fallait illustrer, faire sentir, amener les lecteurs à reconnaître cette figure comme quelque chose de proche, d’intime. Et en même temps, il fallait l’analyser, donc la mettre à distance.

Que le sujet fasse l’objet d’un livre a-t-il changé quelque chose à la perception de ce sujet ?

Oui. C’était important que ce soit un livre – avec des images, d’ailleurs – pour donner une sorte de matérialité au sujet. Et que ce soit un essai, avec une démonstration, des références, un travail sur les mots. Ça donne du corps à la figure. Ça montre son sérieux. Ce n’est pas une pirouette, une sorte de frivolité, un jeu intellectuel onaniste, mais une question importante, sur laquelle il faut s’arrêter parce qu’elle dit quelque chose du monde dans lequel on vit.

Et c’était très important, pour moi, d’être publiée aux Éditions du remue-ménage [éditions spécialisées en ouvrages sur la condition féminine depuis 1975]. C’était un cadeau que de faire partie de cette suite de voix de femmes, de discours, de livres féministes dont je suis tributaire.

En abordant la « sérialisation » des femmes, un de vos objectifs était-il dès le départ de parler d’un enjeu social ?

Absolument. J’étais très interpellée par ce qu’on reprochait aux femmes, leur responsabilité dans leur oppression, si on veut. Et en même temps, galvanisée par les gestes de résistance que je voyais partout. Et puis, surtout, inquiète de ce qui arrive aux femmes partout dans le monde, leur disparition silencieuse, organisée.

Est-ce lourd de devenir la porte-parole d’un sujet féministe ?

Non ! C’est qui je suis ! C’est la place que j’occupe. C’est comment je vis. C’est aussi normal que respirer. Et c’est le sens de ma vie, au sens où c’est mon engagement dans ce monde.

Pendant longtemps, un essai féministe était pris plus ou moins sérieux parce qu’il ne concernait « que » des femmes. Les choses ont-elles un peu changé ?

J’espère qu’elles ont changé. La réception des Filles en série me semble le montrer. Les retours que j’ai eus ont été autant d’hommes que de femmes, et j’ose croire que mon livre n’a pas été reçu comme une « affaire de filles » (ce que je dis sans aucune négativité associée aux affaires de filles ; je souhaite seulement que les garçons se sentent un jour concernés par les affaires de filles).

Ceci dit, est-ce qu’on accorde aux écrits féministes la même importance qu’à des essais considérés comme philosophiques, par exemple, des essais « neutres », comme si l’engagement féministe, ou la seule pensée féministe avait pour effet de diminuer la qualité de l’écrit, son importance ? Je ne crois pas, malheureusement.

Je ne vois pourtant pas pourquoi la vie des femmes, les événements qui sont ceux que traversent les femmes depuis des siècles ne valent pas la peine d’être pensés et de servir la pensée – de façon générale. Pourquoi est-ce que les femmes, leurs expériences, le féminisme ne sont pas considérés comme du matériau philosophique au même titre ? Les femmes, c’est la moitié de l’humanité…

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