Opinion : Réforme électorale

À la défense du système proportionnel

Dans la foulée du rapport sur la réforme électorale, la section Débats présente différentes options qui s’offrent au gouvernement fédéral.

Notre droit constitutionnel, que ce soit dans sa partie relative aux principaux pouvoirs de l’État ou dans celle qui, entre autres droits fondamentaux, protège le droit de vote et d’éligibilité n’impose aucun système électoral particulier.

Il en va de même des standards mondiaux du droit électoral, qui ne désignent aucun principe directeur (majoritaire, proportionnel ou mixte) ou modèle comme supérieur aux autres. Sous réserve de l’obligation juridique d’obéir à certains principes, dont celui de « représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes », ainsi que du devoir, moins contraignant, de respecter – ce que ne fait pas toujours le Canada – les principes du patrimoine électoral mondial (suffrage universel, égal, libre, secret et direct et périodicité des élections), le choix d’un système électoral est une décision politique.

Dans l’espace ménagé par le patrimoine juridique électoral, il n’y a pas de consensus « philosophique » sur un principe électoral directeur, de sorte que la question de la justice d’un système électoral se pose autrement. Cette justice est notamment fonction de la cohérence du système et de l’adéquation entre le choix politique qui lui sert de fondement et son fonctionnement effectif. Les « paramètres » d’un système électoral sont si nombreux qu’il est possible, par exemple, de voir un système dont le principe directeur est proportionnel produire des résultats trop peu proportionnels. On peut alors parler plus facilement d’« injustice ».

Sentiment d'injustice

Il est pourtant possible d’avoir une préférence raisonnable pour un principe directeur ou un modèle plutôt qu’un autre. Cette préférence peut d’ailleurs tenir compte de « sentiments » exprimés d’injustice par l’électorat.

Il ressort des travaux du Comité spécial de la Chambre des communes sur la réforme électorale qu’un décalage important entre les suffrages exprimés et la distribution des mandats de député, particulièrement lorsqu’un parti obtient une majorité absolue de sièges sans avoir « reçu » une majorité absolue des voix, tend aujourd’hui à être vécu comme une injustice.

C’est justement l’objectif poursuivi par le principe proportionnel que de rapprocher le système électoral d’une « transposition proportionnelle des voix en mandats » (Dieter Nohlen, 1969). Je fais donc mienne l’observation, faite par Peter Russell devant le Comité, selon laquelle : « Il y a, évidemment, d’autres valeurs et sujets de préoccupation qui méritent d’être pris en compte en vue d’améliorer le système électoral fédéral, mais ils sont d’une importance secondaire. »

Le sentiment dominant d’injustice qui veut fonder cette priorité de principe suppose une reconnaissance du rôle réel que jouent les partis politiques au sein de notre processus électoral, tandis qu’un autre sentiment qui se dégage de la consultation menée est celui d’une relative méfiance à l’endroit des partis et d’un attachement corrélatif à la figure du député comme « représentant » organique d’une collectivité locale. Une telle conception du député répond au modèle électoral élitaire, dont on a dit qu’il « correspond à la période d’apprentissage du suffrage universel » (Christophe Broquet et Alain Lancelot, 2003).

L’électeur canadien semble donc déchiré entre la conscience des conditions modernes de la démocratie parlementaire et la nostalgie de son enfance.

Je ne partage donc pas ce sentiment, mais n’en pense pas moins que le Comité a eu raison d’en prendre acte, ce qui lui a fait écarter la mise en œuvre la plus pure qui soit du principe proportionnel : la proportionnelle intégrale au moyen d’un scrutin de listes nationales, qui de toute façon ne serait pas admise par le principe, prévu dans notre loi constitutionnelle, de « représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes ».

Le Comité spécial n’exclut pas l’idée d’un système mixte, qui peut être compensatoire ou non. L’un des intérêts que présenterait un tel système serait de permettre, sous la forme d’une espèce de compromis, sinon la conciliation, du moins la coexistence de deux « sentiments électoraux ».

L’exemple le plus connu de système mixte compensatoire, qui a servi de modèle à l’Estonie, la Nouvelle-Zélande, l’Écosse et le pays de Galles, est celui de la « représentation proportionnelle personnalisée » qui préside à l’élection du Bundestag allemand.

Du point de vue du spécialiste, ce système suscite l’admiration. Et il est vrai qu’il fonctionne généralement sans poser de problèmes importants. Mais s’il peut être relativement simple à « utiliser », ce système ne l’est pas autant à comprendre de l’électeur, ce qui peut poser un problème d’adéquation entre l’expression du suffrage et la compréhension de son traitement par le système.

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