Mon clin d’œil

Ah ! comme la neige a neigé ! Qu’est-ce que ce spasme au dos À force de pelleter, pelleter…

OPINION

À quoi ressemblerait un Québec qui prend soin de la santé mentale ?

« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. »

— Édouard Louis, Qui a tué mon père

Le 31 janvier dernier, près de 50 pédiatres et professionnels médicaux signaient ensemble une lettre ouverte visant à alerter la population sur une dérive en cours.

Au cœur de leur lettre, de nombreuses statistiques mettant en lumière la hausse des diagnostics d’hyperactivité, mais surtout, la hausse massive de consommation de psychostimulants (Ritalin, Concerta, etc.).

Ces chiffres, connus depuis longtemps, sont mis de l’avant par le Mouvement Jeunes et santé mentale depuis quelques années dans le but de provoquer un débat de société. Or, cette dernière sortie médiatique a créé une onde de choc : était-ce la première fois qu’autant de médecins s’alliaient pour dénoncer la lente dérive que nous observons tous ? Était-ce la première fois qu’autant de parents contactaient les journalistes pour exprimer leur désarroi face aux pressions du milieu scolaire en faveur de la médication de leur enfant ?

La cinquantaine de signataires, en concluant le texte, lançait une question large que porte le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale depuis 35 ans au Québec : par-delà la lecture médicale des comportements et des émotions, quel rôle joue la société dans son ensemble ? Pourquoi tant de gens souffrent, pourquoi tant de personnes, adultes comme enfants, se retrouvent porteurs d’un diagnostic psychiatrique ?

Et pourquoi, comme société, sommes-nous si peu à même de transformer nos manières de voir et de faire pour accueillir et accompagner les personnes comme elles le souhaitent ?

Au rang des causes probables de ce glissement dénoncé par les pédiatres, difficile de passer sous silence cette tendance que nous avons tous à faire porter la responsabilité des difficultés que vit une personne sur ses propres épaules, plutôt qu’à réfléchir au cadre culturel et social dans lequel cette personne évolue, que ce soit sa famille, son école ou son travail. Difficile également, en tant que travailleurs du communautaire, de ne pas nommer la pauvreté et l’exclusion qui touchent des personnes et des familles, causant un stress chronique qui détériore activement la santé mentale.

Il y a également la culture de performance, la toujours théorique conciliation travail-famille, les parents obligés de laisser au CPE leurs bambins ayant une gastro ou une pneumonie, faute de soutien familial ou de possibilité de s’absenter du travail. Il y a aussi l’organisation de nos services de santé faisant en sorte que nous investissons probablement trop dans la médication et pas assez dans l’écoute et l’accompagnement. Il y a aussi les effets néfastes du sous-financement des services publics qui creusent l’écart d’accès aux ressources entre les plus riches et les plus pauvres.

Entraves aux droits fondamentaux

Il en résulte des pratiques qui entravent les droits fondamentaux et contreviennent aux lois. Chaque année, des milliers de citoyens du Québec n’ayant commis aucun délit se voient privés de leur liberté ou médicamentés de force pendant des années. Le milieu de la psychiatrie, censé soutenir les personnes vers un meilleur état de santé mentale, prend souvent un visage autoritaire et répressif, source de contraintes et de traumatisme.

Nous devons avoir le courage de nous demander quel est le rôle de la médication dans notre société.

Quels manques vient-elle pallier ? Comment l’approche biomédicale de la santé mentale mine-t-elle notre capacité à comprendre les causes psychosociales et d’agir là où ça fait mal ? Et comment la prise de cette médication (et ses effets secondaires) est-elle vécue par les enfants et les adolescents (et leurs parents) ?

Paroles citoyennes

Dans le milieu communautaire, ça fait des années que nous partons de la parole des personnes, de leurs besoins, de leur soif de dignité, pour réfléchir avec elles sur cette question fondamentale : que faire ? L’automne dernier, nous avons mené un exercice de récolte de paroles citoyennes dans une douzaine de villes, dont Montréal, Sherbrooke, Saint-Jérôme, Rivière-du-Loup, Trois-Pistoles… Les citoyens rencontrés devaient tous répondre à la question suivante : à quoi ressemblerait un Québec qui prend soin de la santé mentale ?

Les réponses les plus fréquentes nommaient l’importance de l’accès à une diversité de lieux d’accueil et à différentes options, l’importance de l’action sur la qualité de vie et la lutte contre les inégalités sociales, et finalement, la lutte contre la stigmatisation et les préjugés. 

Dolorès, du Bas-Saint-Laurent, évoquait que « la santé mentale au Québec est encore taboue. [Il y a] plein de préjugés et [un] manque de ressources, d’attention et d’écoute », tandis que Danielle, de Longueuil, indiquait que « les gens ont besoin de plus d’accompagnement et de moins de pilules. Les psychologues devraient être gratuits et plus accessibles ». Fafan, de Montréal, imaginait ce Québec comme un lieu où « il n’y aurait plus de détresse par la pauvreté. Il y aurait le respect de l’être humain en son entier ».

Face à ces situations et forts de la parole des personnes premières concernées, nous souhaitons la tenue d’une commission parlementaire, telle que portée par Hélène David, qui ferait la lumière sur les causes sociales des souffrances et des difficultés traversées et sur les réponses que, socialement, nous déployons ou devrions déployer.

Il est temps de prendre un temps d’arrêt, collectivement, et de nous poser les bonnes questions. L’auteur français Édouard Louis écrit que l’histoire de nos corps accuse l’histoire politique. Il en est de même de l’histoire de nos santés mentales, ballottées au gré des mesures d’austérité et des dénis des droits les plus fondamentaux.

* Cosignataires : Peter Belland, administrateur du Phare source d’entraide (Farnham) et du RRASMQ ; Stéphane Belleville, administrateur de la Maison du Goéland (Saint-Constant) et du RRASMQ ; Yves Brosseau, président du RRASMQ ; Diane Chatigny, directrice-intervenante du groupe d’entraide Le Murmure (Beauceville) ; Martin Darveau, membre du Centre de soir Denise-Massé et administrateur du RRASMQ ; Sylvain Dubé, responsable général et des relations avec les communautés du Rivage du Val Saint-François (Richmond) et administrateur du RRASMQ ; Lisette Dormoy, coordonnatrice générale du Vaisseau d’Or des Moulins (Terrebonne) ; Louise Favreau, administratrice de Relax-Action (Montréal) ; Manon Ferland, intervenante au Vaisseau d’Or des Moulins (Terrebonne) et administratrice du RRASMQ ; France Fiset, administratrice de l’Entretoise du Témiscamingue (Ville-Marie) et du RRASMQ ; Sylvie Forest, coordonnatrice de la Bonne Étoile (Joliette) et administratrice du RRASMQ ; Michel Huard, directeur du Trait d’Union de Montmagny ; Jean-François Plouffe, chargé de dossiers et de communication, Action Autonomie (Montréal)

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