Camouflage alimentaire

Camoufler des aliments : pour ou contre ?

Vers 2 ans, Théo s’est mis à faire la fine bouche. « Avant, il mangeait de tout avec assez de facilité, se rappelle Caroline Bizier, sa mère, auteure du blogue C’est ça la vie. Du jour au lendemain, il boudait les fruits et légumes. Petit coquin ! »

Pour que son garçon s’alimente mieux, l’enseignante en adaptation scolaire a utilisé plusieurs stratégies : l’emmener à l’épicerie, le faire cuisiner, varier la présentation des aliments et… les camoufler. C’est-à-dire cacher des légumes en purée dans des sauces ou des potages, et des fruits en compote dans des muffins ou des smoothies.

Marie Noëlle Marineau est aussi adepte de camouflage alimentaire pour bien nourrir son fils de 5 ans. « Nous avons essayé plusieurs choses avant d’en arriver là », précise l’auteure du blogue Marginale et heureuse. Son garçon a eu « une régression sur le plan alimentaire qui a commencé vers l’âge de 20 mois », se souvient-elle. Le petit faisait des efforts pour goûter, « mais il en avait le haut-le-cœur », indique-t-elle. Conseils donnés par la « super infirmière » consultée ? Lui donner un supplément alimentaire pour enfant, continuer de lui offrir des aliments boudés sans le forcer à les avaler et… camoufler, si ça fonctionne.

Et ça fonctionne. Mme Marineau prépare ainsi des « grilled cheese » dont l’intérieur des tranches de pain est tartiné de purée de légumes orange, des vol-au-vent dont la sauce cache des légumes et des légumineuses passés au mélangeur, du potage où légumes, pâtes et orge sont mixés finement dans le bouillon, etc.

Briser la confiance

Mélanie Magnan, nutritionniste spécialisée en pédiatrie et fondatrice de Nutrimini, est aussi (ironiquement !) passée par là avec son fils Laurent, 3 ans. « Il raffolait du brocoli et, tout d’un coup, il s’est mis à dire : “Eurk !” et à le repousser dans son assiette, témoigne-t-elle. Ça a été comme ça pour beaucoup d’aliments. » Ç’a commencé il y a neuf mois.

Malgré les refus répétés de son fils de manger plusieurs aliments, la nutritionniste n’a pas tenté le camouflage. Elle estime qu’il faut l’éviter à tout prix, pour ne pas briser le lien de confiance avec l’enfant. Elle-même l’a vécu : petite, elle détestait les champignons. Sa mère lui a servi une crème de champignons, prétendant que c’était une crème de poulet. La jeune fille a toutefois découvert le pot aux roses, ou plutôt le pot de champignons. « J’étais très fâchée et après, j’étais méfiante, souligne Mme Magnan. Aujourd’hui, à 32 ans, je mange de tout, mais toujours pas de champignons. »

Une demi-portion à une portion de légumes par jour

Le camouflage fait manger d’une demi-portion à une portion de légumes supplémentaire par jour aux enfants et aux adultes, selon des études recensées par le centre de référence en alimentation Nos petits mangeurs. « Ce n’est pas tant que ça, et l’enfant n’apprend pas à développer son goût, fait valoir Mme Magnan. Ce n’est pas parce qu’il mange de la purée de courge cachée dans son macaroni au fromage qu’il va accepter de goûter à la courge. »

« Il faut exposer les enfants aux aliments dans leur forme entière, sinon ils vont toujours ne manger que des pâtes et des boulettes. »

— Mélanie Magnan, nutritionniste spécialisée en pédiatrie et fondatrice de Nutrimini

C’est déjà possible aux États-Unis, où l’entreprise Kidfresh Meals propose des repas surgelés contenant des légumes cachés comblant jusqu’au tiers des besoins quotidiens des petits. Ces plats, offerts dans 7000 points de vente, n’ont rien pour ouvrir les horizons : macaroni au fromage, spaghetti, croquettes, pizza et boulettes, tous avec des légumes en purée. « Chut… Ne le dites pas aux enfants ! », conseille l’entreprise.

Bonifier les recettes

Difficile à 2 ans, Théo a maintenant presque 4 ans, et un palais plus ouvert. Quand il cuisine avec sa mère, le garçon croque les légumes qu’il coupe. « Il fait aussi lui-même ses petites salades de fruits en choisissant et en coupant ses fruits », ajoute sa mère. Mme Bizier continue néanmoins de mettre des compotes dans ses muffins et de faire des potages, pour favoriser la consommation de fruits et de légumes.

Rien n’empêche de bonifier une recette en diminuant son contenu en gras ou en sucre, ou en augmentant sa teneur en fibres et en vitamines. Ajouter la courge au macaroni au fromage, ou remplacer l’huile par des bananes écrasées dans une recette de muffins, c’est santé. « Il y a toujours place à faire de meilleures recettes, convient Mme Magnan. Mais il ne faut pas que ça devienne obsessionnel. Les enfants ont besoin de calories pour grandir. »

La nutritionniste voit la lumière au bout du tunnel avec son fils Laurent, qui vient d’accepter de manger des pommes de terre, après avoir refusé des tonnes de fois. « Ne baissez pas les bras, recommande-t-elle aux parents. La néophobie, c’est une phase normale. Il ne faut pas tomber dans le piège de ne servir aux enfants que ce qu’ils aiment. »

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