Le sommeil

Traiter l’insomnie du matin au soir

« C’est le matin qu’il faut traiter l’insomnie du soir », dit le Dr Patrick Lemoine. L’affirmation du médecin français, qui vient de publier un livre intitulé Dormir sans médicaments… ou presque, peut paraître étrange. Or, elle repose sur un raisonnement appuyé par la recherche : c’est en changeant ses comportements et en réévaluant ses propres pensées qu’il est possible de traiter durablement l’insomnie persistante.

« Quand on souffre d’insomnie depuis des mois, voire des années, il y a des choses qu’on doit reprogrammer, des habitudes qu’on doit changer, des horaires de sommeil qu’on doit modifier », résume le psychologue Charles M. Morin, grand spécialiste du traitement de l’insomnie, à qui on doit notamment un livre grand public intitulé Vaincre les ennemis du sommeil.

Le sommeil, comme un peu tout le reste, c’est entre les deux oreilles que ça se passe. Même lorsqu’on ne dort pas.

Pour « reprogrammer » notre cerveau à bien vouloir dormir lorsque c’est le moment, il faut toutefois agir. Pour passer à l’action, il faut d’abord cerner le problème d’insomnie auquel on fait face. Est-ce passager ou récurrent ? Est-ce que ce manque de sommeil a un impact réel sur nos activités diurnes ou craint-on seulement de ne pas arriver à passer à travers notre journée ?

UN CALENDRIER DU DODO

Pour mettre de l’ordre dans nos perceptions et nos nuits blanches, les deux spécialistes recommandent de tenir un calendrier de sommeil. De noter environ combien de temps on met à s’endormir, l’heure de notre réveil, d’évaluer la qualité de notre sommeil et notre niveau de fatigue.

Patrick Lemoine juge qu’un tel calendrier « permet de comprendre que l’insomnie est rarement aléatoire » contrairement à ce que croient ses patients. Il y a des femmes qui dorment systématiquement moins bien à certains moments de leur cycle menstruel. Il y a aussi des gens qui s’endorment moins bien les samedi et dimanche… sans penser que c’est peut-être parce qu’ils font la grasse matinée les jours de fin de semaine.

« Ce journal de bord sensibilise les gens au fait qu’ils ont des horaires de sommeil irrégulier et qu’ils font des choses qui nuisent à leur sommeil le soir », ajoute Charles M. Morin.

Faire ces constats peut contribuer à faire baisser un peu l’anxiété quant au manque de sommeil et donner des pistes de solution. « Ça incite les gens à ne pas répéter leurs erreurs », dit encore Patrick Lemoine.

Quelles erreurs ? Transformer son lit en espace de travail, par exemple. « Ça, c’est une erreur très importante. Quand on s’engage dans une autre activité que le sommeil dans la chambre, on en vient à associer cet environnement à l’éveil », fait valoir Charles M. Morin. On ne devrait pas travailler sur l’ordinateur, répondre à des courriels et encore moins résoudre des problèmes avec notre compagnon ou notre compagne sur l’oreiller. Surtout si on a du mal à s’endormir.

UN LIT POUR DORMIR (ET AIMER…)

« On ne peut pas travailler jusqu’à la dernière minute et espérer que le sommeil vienne tout de suite. Il faut s’accorder une période de décompression », ajoute le psychologue. Un lit ne devrait servir qu’à deux choses : dormir ou faire l’amour. « Ça peut sembler simpliste, convient Charles M. Morin. Il y a un volet physiologique dans le sommeil, mais il y a un volet de conditionnement psychologique très important. »

Les deux spécialistes proposent plusieurs pistes d’actions pour résoudre les problèmes d’insomnie dans leurs livres respectifs : ne pas se forcer à dormir, sortir de la chambre si on ne s’endort pas et n’y retourner que lorsqu’on se sent prêt à s’endormir, se lever toujours à la même heure (plutôt tôt, d’ailleurs), prendre une douche chaude le matin pour activer son système, éviter l’activité physique tard le soir, lumière intense le matin et tamisée le soir. Surtout, éviter les lumières bleues et celles diffusées par tous ces écrans qu’on aime tant avant d’aller se coucher…

« Ce qu’on recommande est appuyé par la recherche scientifique, ça ne sort pas d’une boîte à surprise. Ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas la première ou la deuxième nuit que ça ne marche pas. Ce sont des choses qu’il faut mettre en application durant quelques semaines. Souvent, on a besoin d’un coach pour nous guider, dit Charles M. Morin. Quand on prend un médicament, on a un effet du premier coup, mais avec une thérapie comportementale, les effets sont durables. »

PRIX PRESTIGIEUX POUR CHARLES M. MORIN

En juin prochain, Charles M. Morin, sommité mondiale dans le domaine de la recherche sur le sommeil, recevra un prestigieux prix. La Sleep Research Society (SRS) lui décernera en effet le Distinguished Scientist Award, la plus grande distinction remise par cette association de spécialistes du sommeil. « C’est un prix qu’on me donne pour les recherches que j’ai faites avec mon groupe sur les traitements de l’insomnie », explique le psychologue et chercheur de l’Université Laval, à Québec. M. Morin recevra son prix à Denver, au Colorado, lors du prochain congrès de l’association.

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