Chronique

Où ça, l’universalité ?

La fin de l’universalité des services de garde ? Pour que ce soit la fin de quelque chose, encore faut-il que ce quelque chose ait existé.

Un programme universel est un programme qui s’étend à tous. Ce n’est malheureusement pas le cas de notre programme de garderies. Aussi bon soit-il, il n’a d’universel que le nom.

« Un enfant, une place » était un bien joli slogan, scandé naguère par le gouvernement Marois. Mais pour un trop grand nombre de familles, la réalité ressemble beaucoup plus à « un enfant, une liste d’attente ». Trop souvent, c’est « un enfant, une place médiocre ».

Pour les enfants de milieu défavorisé, la réalité est encore plus désastreuse. Ce sont eux qui gagneraient le plus à fréquenter un CPE de qualité. Pourtant, ce sont eux qui les fréquentent le moins.

Rappelons que lorsque le PQ a instauré, en 1997, le programme « universel » de garderies, il ne s’agissait pas uniquement d’offrir aux parents la possibilité de faire garder leurs enfants à coût modique pendant les heures de bureau. L’un des grands objectifs de ce programme était de soutenir le développement des enfants les plus vulnérables et de favoriser l’égalité des chances. Car la recherche montre bien que la prévention du décrochage se fait dès la petite enfance.

Malheureusement, les enfants les plus vulnérables demeurent le plus souvent les laissés-pour-compte d’un système qui se prétend universel. Avec le temps, au-delà des beaux discours, le noble objectif de départ semble avoir été complètement oublié tant par les péquistes que par les libéraux. L’égalité des chances et le développement de l’enfant sont devenus des enjeux bien secondaires. Le programme « universel » de garderies n’est présenté que comme un outil de conciliation travail-famille, alors qu’il s’agit d’abord d’un programme d’équité qui, comme l’école publique, devrait favoriser le développement de tous les enfants.

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Je ne sais pas si le tarif des garderies devrait être de 7, 7,30, 9 ou 10 $. Je laisse aux spécialistes en fiscalité le soin de nous démontrer ce qui serait le plus sensé.

Cela dit, sur le plan des principes, l’idée de fixer le prix de la place subventionnée en fonction du revenu des parents me semble une fausse bonne idée. Les riches ne devraient-ils pas payer davantage que les pauvres pour la garderie ? Je suis bien d’accord. Mais le fait est qu’ils le font déjà, car nous avons un système d’imposition progressif. Plus vous êtes riches, plus vous payez d’impôt sur votre revenu. Le caractère progressif des régimes fiscaux est conçu pour que chaque citoyen paie sa juste part. C’est un mécanisme de répartition des richesses très efficace.

Que faire si cela ne suffit pas à financer un programme universel de garderies digne de ce nom ? La solution la plus équitable serait sans doute de hausser les impôts. Mesure impopulaire s’il en est… Le gouvernement libéral s’en remet donc au modèle individualiste d’utilisateur-payeur, comme si la garderie était un « service » comme un autre plutôt qu’un investissement collectif. Une fois engagé dans l’allée du tarif modulé en fonction des revenus et des besoins de chacun, où s’arrêtera-t-on ? Songera-t-on à faire payer davantage les enfants de classe moyenne ou aisée qui fréquentent l’école publique ? S’attaquera-t-on à l’universalité des soins de santé ?

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Où faire des coupes ? Le président du Conseil du trésor Marc Coiteux invite les citoyens à s’exprimer sur le sujet sur un site de consultation en ligne. On peut lire les nombreux commentaires du forum un peu comme on écoute une tribune téléphonique (ce qui a donné naissance à une amusante parodie appelée « radio-coupures.ca »).

L’exercice me semble aussi édifiant que la consultation bidon menée par l’ex-ministre Bernard Drainville au sujet de la Charte des valeurs. Dans un cas comme dans l’autre, on tente de justifier le bien-fondé d’une politique publique ou de lui donner une légitimité en s’en remettant à la rumeur populaire.

Ainsi, si on se fie à de nombreux commentaires laissés sur le site de consultation, l’abolition du programme de garderies à 7 $ serait une mesure populaire. Si vous voulez mon humble avis, l’abolition de ce forum de consultation, qui tente de faire passer pour un « dialogue social » un exercice populiste, serait une bien meilleure idée.

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