Le chiffre du jour

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Sans surprise, Netflix a annoncé hier que la série Stranger Things aurait une troisième saison. La saison 2 de la série créée par Matt et Ross Duffer a été mise en ligne le 27 octobre dernier, récoltant de très bonnes critiques. La date de diffusion de la saison 3 (qui serait en cours d’écriture, selon Entertainment Weekly) n’a pas encore été annoncée. 

— La Presse

Chronique

Vas-tu passer ta vie dans les jeux vidéo ?

C’est la dernière phrase, la toute dernière phrase, qu’Alexandre Taillefer a lancée à son fils Thomas. « Vas-tu passer ta vie dans les jeux vidéo ? », a demandé le père à son ado de 14 ans. C’était le 6 décembre 2015, un dimanche soir. Taillefer et sa femme Debbie allaient souper chez des amis. Thomas avait refusé de les accompagner, préférant rester à la maison avec son ordinateur, sans savoir que sa petite sœur restait à la maison elle aussi.

Vas-tu passer ta vie dans les jeux vidéo ? Thomas a grogné une réponse, fâché par cette question en forme de jugement. Les parents ont quitté la maison pour la soirée, laissant Thomas devant son ordinateur au sous-sol. Lorsqu’ils sont revenus, Thomas avait disparu à jamais dans le monde virtuel. Il s’était donné la mort avec une arme à feu. Pour toute explication, le post-it d’un seul mot – « Bye » – clignotait à l’écran.

Deux ans plus tard, le documentaire Bye, présenté à Radio-Canada mardi prochain, suit Alexandre Taillefer dans une quête qui est en fait une croisade pour sensibiliser la population à la détresse psychologique de trop de jeunes et à la cyberdépendance dont souffrait Thomas.

Le jour du visionnement de presse, Alexandre Taillefer insistait sur l’impérative nécessité pour le gouvernement d’investir massivement dans les soins psychologiques offerts aux jeunes. Son « massivement » était chiffré : « Il faudrait au minimum 500 millions », estimait-il en expliquant que l’essentiel des soins de santé était curatif et destiné à une population vieillissante au détriment du préventif destiné aux générations de demain.

Ironiquement, ce jour-là, le ministre de la Santé Gaétan Barrette, que Taillefer interpelle dans le documentaire, annonçait un programme d’aide psychologique pour les jeunes en difficulté. Montant de l’investissement ? Quinze millions… Autant dire des peanuts par rapport au demi-milliard rêvé par Alexandre Taillefer.

Sans vraiment donner de réponses sur les raisons qui ont poussé Thomas et d’autres jeunes comme lui à se donner la mort, Bye soulève des questions plus que pertinentes et nous entraîne dans un monde rarement exploré par les médias.

Dans une scène particulièrement saisissante, Alexandre Taillefer entre dans un gaming café où une vingtaine de jeunes jouent en ligne. Combien d’entre vous jouent plus de 20 heures par semaine ? leur demande-t-il. Presque tous les joueurs lèvent la main. Un peu moins lèveront la main pour confirmer qu’ils jouent au saut du lit et parfois plus de 50 heures par semaine. Puis il posera la question qui tue : qui a déjà fait une tentative de suicide ? Huit mains sur vingt se lèveront, proportion troublante qui montre l’urgence de s’attaquer au problème de la cyberdépendance, un phénomène qui n’a pas encore de statut médical malgré les ravages qu’il cause chez de plus en plus de jeunes.

Au Québec, ils sont des milliers – et ailleurs des millions – à fuir la vie et leurs problèmes à travers les jeux vidéo ; des millions à se réfugier dans un monde virtuel qui ne leur demande pas d’avoir des habiletés sociales ni d’être beaux, parfaits ou intelligents. Un monde qui accepte les jeunes tels qu’ils sont.

Pourvu qu’ils soient performants dans les jeux en ligne, un sentiment d’invincibilité et de toute-puissance s’empare d’eux, sentiment rehaussé par l’admiration que la communauté des joueurs leur témoigne à l’occasion.

C’était un peu le cas de Thomas, habitué de la plateforme Twitch, qui pouvait passer d’interminables heures, avec des millions d’autres, à regarder jouer en ligne son héros, le gamer Sodapoppin – de son vrai nom Chance Morris –, un jeune Américain aux cheveux roses. Non seulement Thomas l’a suivi, il lui a aussi envoyé de l’argent, d’abord 50 $, puis 500 $ et, finalement, quelques heures avant de se donner la mort, 3500 $.

Toutes les fois que Thomas a envoyé de l’argent, son nom – ou plutôt le nom de son avatar, DaGuyFromTV – apparaissait comme une pub à l’écran, en guise de remerciement.

Or, le jour de sa mort, Thomas n’a pas fait qu’envoyer des billets verts à Sodapoppin. Il lui a adressé plusieurs messages disant qu’il en avait assez de vivre, qu’il avait des pensées suicidaires depuis l’âge de 10 ans et qu’il ne se sentait tout simplement plus capable de continuer à exister. Il a même, selon son père, affiché la balle de fusil avec laquelle il prévoyait en finir.

Sodapoppin n’a jamais répondu à ses appels de détresse. Pas plus qu’il n’a répondu aux demandes répétées d’Alexandre Taillefer qui a tenté de le contacter pour savoir pourquoi il n’avait pas cherché à aider Thomas.

S’il avait été capable d’encaisser son argent, il aurait dû être en mesure de lui porter secours, non ? Poser la question, c’est y répondre.

Bye ne changera pas le monde et ne convaincra pas le ministre Barrette d’investir un demi-milliard plutôt que 15 millions dans les soins et les services pour les jeunes en difficulté. Qu’à cela ne tienne. Tous les parents d’enfants qui s’adonnent aux jeux vidéo, qu’ils soient joueurs occasionnels ou accros, auraient intérêt à regarder ce documentaire. Et en profiter pour entamer un dialogue qui a rarement lieu entre les parents et leurs enfants, mais qu’il est de plus en plus urgent d’entreprendre.

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