Science

Non, la corne de rhinocéros n’est pas aphrodisiaque

Un projet de recherche québécois mené à la demande du Zoo de Granby vient de miner l’un des principaux arguments de vente des braconniers qui tuent les rhinocéros : la corne de ces bêtes menacées d’extinction est aussi aphrodisiaque et thérapeutique… que des ongles ou des cheveux humains. Petite histoire d’une étude insolite portant sur un sujet très sérieux.

La corne de rhinocéros est-elle vraiment aphrodisiaque ? Patrick Paré, directeur, conservation et recherche, au Zoo de Granby, voulait en avoir le cœur net (et pas pour des raisons personnelles).

« On essaie d’agir pour la conservation des rhinocéros dans la nature, et on sait que le gros problème pour eux, c’est le braconnage – on les tue parce que des gens croient que leur corne a des vertus sexuelles et thérapeutiques. Je rêvais de vérifier ces prétentions dans des laboratoires québécois », a expliqué M. Paré à La Presse.

Quelques études avaient déjà fouillé la question, mais elles avaient toutes leurs limites. M. Paré a parlé de son projet à la ronde. Le nom du chimiste Normand Voyer, professeur à l’Université Laval, est revenu sur plusieurs lèvres. Il lui a donné un coup de fil.

« Il a piqué mon insatiable curiosité. Et je trouve que le sujet est important », raconte Normand Voyer, qui a accepté de jouer les détectives.

Des enquêtes poussées

Patrick Paré a donc envoyé un échantillon de corne de rhinocéros à Normand Voyer. Le Zoo de Granby possède des cornes prêtées par le gouvernement fédéral qui ont été saisies à la douane des mains des trafiquants et sont utilisées à des fins pédagogiques.

« On a aussi deux rhinos chez nous, et il arrive qu’ils perdent de petits morceaux de corne », explique Patrice Paré.

Pour brouiller les pistes, M. Paré a aussi envoyé des échantillons de cornes provenant de deux autres animaux qu’il n’a pas identifiés. 

« L’idée est de travailler en aveugle pour ne pas être biaisé par l’échantillon. C’est pour éviter qu’on se dise : ça ne donne pas ce que je pensais, je vais refaire l’analyse. »

— Normand Voyer

À l’Université Laval, les chercheurs ont ajouté un ongle humain à des fins de comparaisons, et même un cheveu humain pour certaines caractérisations. Puis ils ont sorti l’artillerie lourde.

Les échantillons ont d’abord été passés à la spectroscopie Raman afin de caractériser leur structure microscopique. Puis, grâce à la spectroscopie de fluorescence aux rayons X, les chercheurs ont détaillé la composition chimique exacte de ce qu’ils avaient sous la main.

Des résultats à refroidir les ardeurs

Même si l’étude est toujours en cours, le professeur Voyer a accepté d’en dévoiler les résultats préliminaires avec La Presse. Et ceux-ci sont très clairs : les trois cornes, comme les ongles et les cheveux, sont composées de kératine, une protéine fibreuse synthétisée par les êtres vivants.

« On a montré que la structure de la kératine des cinq échantillons est totalement identique et orientée de la même façon. Aucune différence significative n’a été détectée », explique le scientifique.

La fluorescence X a confirmé que les cinq échantillons sont formés des mêmes éléments chimiques, et à peu près dans les mêmes proportions.

« On peut déjà conclure que se ronger les ongles ou manger ses cheveux est tout aussi aphrodisiaque que la poudre de corne de rhinocéros. »

— Normand Voyer

Selon lui, l’analyse montre aussi que les vertus thérapeutiques uniques qu’on prête parfois aux cornes de rhinocéros ne sont pas justifiées.

Le professeur Voyer compte maintenant refaire les analyses pour les rendre plus robustes, puis les publier dans une revue scientifique.

Selon le spécialiste, la présence de certains métaux aurait pu donner une certaine apparence de crédibilité aux prétendues vertus aphrodisiaques de la corne de rhino. Le zinc, par exemple, empêche la production de prolactine, une hormone qui inhibe la sexualité chez l’homme. Le magnésium est aussi connu pour favoriser la vasodilatation, contribuant à l’érection. Or, les échantillons analysés contiennent tous moins de 1 % d’oxyde de zinc (en poids), et aucune trace de magnésium.

« De toute façon, même s’il y en avait eu beaucoup… soupire Normand Voyer. Du zinc, il y en a dans les épinards, la viande rouge, les multivitamines. Et si tu veux du magnésium, mange des épinards et des asperges ! C’est pas mal plus facile que de prendre ton jeep pour aller tuer un rhino de nuit, puis de lui enlever sa corne avec une scie à chaîne… C’est plus écolo, en tout cas. »

Populations de rhinocéros dans le monde

Rhinocéros noir (Afrique) : 5250 individus

Rhinocéros blanc (Afrique) : 20 378 individus

Rhinocéros indien (Inde et Népal) : environ 3264 individus

Rhinocéros de Sumatra (Indonésie) : 76 individus

Rhinocéros de Java (Indonésie) : 63 individus

Rhinocéros tués par des braconniers en Afrique, entre 2006 et 2015 : 6083

Source : Union internationale pour la conservation de la nature

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.