La reine du country s’éteint

Renée Martel, l’incontestable reine du country québécois, aussi surnommée la cow-girl dorée et interprète du grand succès Un amour qui ne veut pas mourir, a rendu son dernier souffle samedi après-midi. Elle avait 74 ans.

Après une carrière de plus de 60 ans, marquée par d’innombrables succès sur disques comme sur scène, mais aussi par la maladie et des drames personnels, la chanteuse a succombé à 74 ans à une grave pneumonie qui n’est pas liée à la COVID-19.

La chanteuse est montée sur scène pour la première à l’âge de 5 ans (voir onglet suivant). De country à musique populaire, elle a commencé sa carrière solo dans les années 1960. Le Québec se souviendra d’elle pour de nombreux succès, dont le plus grand – Un amour qui ne veut pas mourir – a été vendu à 400 000 exemplaires.

Espérer jusqu’à la fin

« Elle a été hospitalisée début décembre parce qu’elle ne se sentait pas bien », a expliqué Narimane Doumandji, présidente de Communications Narimane, qui travaillait avec Renée Martel depuis 2007. « Ils ont découvert qu’elle avait une pneumonie grave, rien à voir avec la COVID-19. [Vendredi], elle a commencé à avoir de la difficulté à respirer. »

Renée Martel a rendu son dernier souffle à l’hôpital Honoré-Mercier, à Saint-Hyacinthe, samedi. Elle était entourée notamment de ses deux enfants, Dominique et Laurence. « J’ai eu cette chance de vivre 15 ans avec Renée, jusqu’à la toute fin », a témoigné Martin Leclerc, son producteur. Il était aussi présent à ses côtés samedi matin à l’hôpital.

En raison d’une santé chancelante, les dernières années de la chanteuse auront été à l’image de sa vie mouvementée. Renée Martel a toutefois fait preuve de résilience en sortant de nouveaux albums et en continuant à chanter.

« Pour moi, Renée reste un monument au Québec, tant sur le plan musical que sur le plan social. Elle est de la même trempe que les Maurice Richard, René Lévesque et Michel Louvain. Elle va rester dans nos mémoires au fil des ans et des décennies. »

— Martin Leclerc, producteur de Renée Martel

« C’est une triste nouvelle, c’est une femme qui avait une carrière extraordinaire », a aussi dit le chanteur Joël Denis, en entrevue avec La Presse. « C’est l’équivalent de Louvain chez les femmes, la plus aimée par un large public. C’est une grande perte pour la communauté artistique », s’est-il désolé.

Artiste simple et intègre

La mort de Renée Martel, icône de la musique québécoise, a été un choc pour son entourage. « Ce n’était pas attendu du tout, pas du tout, explique Mme Doumandji. Cette semaine, c’était encore : “Je suis stable, je vais remonter la pente.” Elle avait hâte à Noël… »

« Renée, c’est une personne qui était intègre, simple, qui était près du monde, a témoigné Martin Leclerc. Elle avait une générosité et une fidélité avec les gens qu’elle côtoyait dans son métier. »

Renée Martel avait prévu une tournée de spectacles au printemps en compagnie du chanteur Paul Daraîche. Leur album commun intitulé Contre vents et marées était paru en octobre dernier. La dernière chanson, Nés le même jour, faisait référence au fait que les deux artistes avaient la même date de naissance, soit le 26 juin 1947. « Ce sont des frère et sœur cosmiques, comme ils s’appelaient mutuellement, affirme Mme Doumandji. C’est complètement irréel. »

Samedi, Paul Daraîche, en compagnie de cinq autres artistes connus, notamment Laurence Jalbert et Luce Dufault, présentait le spectacle Noël, une tradition en chanson, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Malgré la mort de Renée Martel, il a été décidé que le spectacle irait de l’avant. « Les artistes veulent à leur façon lui rendre hommage, donc ils vont le faire, a affirmé Mme Doumandji. […] Mais tout le monde est anéanti, personne ne s’attendait à ça. »

« La scène, c’était sa vie. Son remède pour la sauver et la guérir de ce qu’elle avait. Mais le corps a été plus fort que son esprit », se désole Martin Leclerc.

Pluie d’hommages

Le Québec a rapidement souhaité rendre hommage à celle qui a marqué plus de 60 ans de musique dans la province.

« Elle a marqué plusieurs générations. Je pense que tout le monde a eu un album ou un disque de Renée Martel à la maison. »

— Martin Leclerc

En effet, les messages de respect et de condoléances ont défilé sur les réseaux sociaux dès l’annonce de la mort de la chanteuse. « Mes condoléances aux proches d’une grande vedette de notre jeunesse. J’ai un amour qui ne veut pas mourir… », a écrit le premier ministre du Québec, François Legault, sur Twitter.

« Véritable reine du country, Renée Martel a marqué le Québec avec ses chansons », a quant à elle indiqué sur Twitter la mairesse de Montréal, Valérie Plante. « Son départ est une grande perte. Mes pensées accompagnent sa famille et ses proches. »

« Adieu Renée Martel… Hier encore, je recevais via [Facebook] ses bons vœux pour mon anniversaire, a aussi gazouillé l’artiste Danièle Lorain. Je lui avais répondu de prendre bien soin d’elle. Il faut croire que Dieu s’en est chargé… Condoléances à tous ceux qui l’aimaient. »

— Avec la collaboration d’André Duchesne, La Presse

Une carrière remarquable

La voix de Renée Martel a accompagné des générations de Québécois. Alors que la province rend hommage à cette icône de la musique québécoise, retour sur une carrière de plus de 60 ans.

Fille de deux chanteurs country, Marcel Martel et Noëlla Therrien, Renée Martel est née à Drummondville le 26 juin 1947. Durant toute son enfance et son adolescence, elle accompagne ses parents sur scène.

Elle a 5 ans, le 12 août 1952, lorsqu’elle monte pour la première fois sur les planches, au théâtre Royal de Drummondville. Dans la foulée, elle participe à d’innombrables tournées ainsi qu’à l’émission de radio qu’anime son père à la station CHLT de Sherbrooke.

Plus elle approche de l’âge adulte, plus elle se détache de la carrière de ses parents pour mener sa propre barque. Nous sommes alors au début des années 1960. Du country, elle migre vers la pop. Très vite, elle fait des apparitions à la télévision, notamment à l’émission Jeunesse d’aujourd’hui.

Un premier 45 tours, C’est toi mon idole, sort en 1964. En 1967, elle remporte son premier grand succès avec la chanson Liverpool. Suivront Je vais à Londres, Viens changer ma vie et plusieurs autres.

Son ascension est météorique, au point qu’elle est la Révélation féminine de l’année au Gala des artistes de 1968.

Comme bien d’autres artistes, Renée Martel reprend des succès américains pour les adapter en français. Mais elle ne se contente pas de traduire les paroles. Elle réécrit souvent les chansons.

« J’écrivais les adaptations en français, mais je ne voulais pas de versions intégrales, au sens où je voulais un texte à moi, qui n’avait souvent rien à voir avec celui de la version originale », dira-t-elle à notre collègue Marc-André Lussier dans une entrevue publiée le 1er novembre 2018.

Après les 45 tours arrivent les premiers 33 tours, dont un album enregistré en 1971 avec Michel Pagliaro. C’est d’ailleurs la voix de ce dernier qui annonce un départ aérien vers la capitale britannique dans la chanson Je vais à Londres.

Le parcours vers ces premiers succès artistiques n’est cependant pas dénué d’embûches. À 18 ans, la chanteuse est violée par un présentateur de spectacles, écrira-t-elle dans son autobiographie rédigée à quatre mains avec son fils Dominique Chapados Ma vie, je t’aime, sortie en 2002.

En couple avec le chanteur Jean Malo, elle vit aussi une rupture difficile en 1971. Sa rencontre avec Jean-Guy Chapados, bassiste et ex-membre, durant quelques mois, du groupe Les Baronets, marque un nouveau tournant. De 1971 à 1976, Martel et Chapados forment un couple duquel naîtra un fils, Dominique, en 1974.

Durant cette période, Renée Martel sortira le plus grand succès de sa carrière, Un amour qui ne veut pas mourir, traduction de Never Ending Song of Love du groupe Delaney & Bonnie & Friends.

Le tube, qui marque un retour assumé au country, sera vendu à 400 000 exemplaires. À partir de ce moment, la carrière de Renée Martel est indissociable de cette chanson.

Au cours de toute la décennie, elle enchaîne les 45 tours, les albums, les spectacles, dont une première fois à la Place des Arts. Elle fait aussi une incursion dans le monde de l’animation alors qu’elle coanime l’émission Patrick et Renée avec Patrick Norman. Tous deux collaboreront maintes fois au fil des années.

Deux arrêts

La décennie 1980 marquera un premier arrêt dans la carrière de la chanteuse, plus précisément en 1986, alors que, récemment mariée à Georges Lebel, père de sa fille Laurence, elle s’installe au Maroc pour quelques années.

Mais avant cela, elle n’a pas chômé. Elle sort quatre 33 tours, participe à la tournée La grande rétro avec d’autres artistes québécois, publie un ouvrage, Renaissance, récit bouleversant dans lequel elle raconte sa lutte contre l’alcoolisme, remporte deux prix Félix pour le meilleur album country au gala de l’ADISQ, etc.

Elle reprend le collier quelques années plus tard. En 1992 sort l’album Authentique fait de chansons inédites. Puis, de 1993 à 1996, elle anime l’émission Country centre-ville à Radio-Canada. Celle-ci remporte un grand succès en matière de cotes d’écoute.

En 1999, tout s’arrête abruptement. Après avoir pleuré la mort de son père, Marcel, le 13 avril, la chanteuse annonce au début de juin qu’elle met un terme à sa carrière. Des problèmes récurrents aux bronches lui font cracher du sang. Elle subit une embolisation pulmonaire pour freiner la maladie et se retire dans ses terres dans la région de Knowlton, dans les Cantons-de-l’Est.

Cette annonce coïncide avec le lancement de l’album À mon père, fait de 12 chansons tirées du répertoire du paternel avec qui Renée a eu des relations difficiles par le passé. Ce nouveau disque récoltera aussi le Félix de l’album country de l’année quelques mois plus tard.

Elle essaie néanmoins de continuer ses activités de façon sporadique. En 2000, elle joue son propre personnage dans la minisérie Willie de Jean Beaudin, racontant la vie de Willie Lamothe. En 2002, elle lance l’autobiographie écrite avec son fils et une compilation. Mais en juin, la maladie la rattrape de nouveau et elle est forcée de tout arrêter.

Ces années sont aussi marquées par un grave accident de ski et une tentative de suicide.

Le retour

Mais la reine du country n’a pas chanté sa dernière note. Après quelques années de repos, la maladie pulmonaire régresse. La paix intérieure revient. Renée Martel reprend ses activités, sans pour autant s’imposer un rythme de travail infernal.

Fin avril 2006, elle lance l’album Un amour qui ne veut pas mourir, où elle revisite plusieurs de ses succès. L’album aurait dû être lancé plus tôt dans l’année, mais un grave accident d’automobile où elle est blessée retarde sa sortie.

« Curieusement, c’est peut-être cet accident qui a provoqué des réactions positives et qui m’a donné l’énergie pour tout recommencer, dit-elle au journaliste Jean Beaunoyer de La Presse. J’ai encore 15 années de qualité à vivre et j’entends en profiter, m’amuser sur scène et faire ce que je fais de mieux dans la vie : chanter. Je n’ai plus de problèmes respiratoires, je n’ai plus besoin de pompe et je me sens de mieux en mieux. »

Le 5 mai 2007, après de nombreuses années loin des planches, elle remonte sur scène, au Vieux Clocher de Magog. La salle est pleine et se lève à son entrée.

« J’étais certaine que ce soir-là, il y aurait trois chats et un petit chien dans la salle, confie-t-elle à la journaliste Linda Corbo du Nouvelliste de Trois-Rivières dans une entrevue publiée le 6 septembre 2008. Quand je suis montée sur scène, les gens étaient debout, ils me criaient : “On t’aime !” Je suis devenue tellement émotive. »

Suivront d’autres albums, dont L’héritage (2008), Une femme libre (2012), La fille de son père (2014) ainsi que plusieurs collaborations avec Maxime Landry, Les Trois Accords, Gilles Vigneault et plusieurs autres.

Arrive enfin la sortie, le 2 novembre 2018, de l’album L’arrière-saison, enregistré à Nashville et Montréal sous la direction de Carl Marsh. Celui-ci est composé de chansons originales écrites par ses pairs.

« Je n’étais pas vraiment inspirée en tant qu’auteure et j’avais quand même envie de création, confie à La Presse la chanteuse qui a souvent écrit ses pièces. Je sais que la mode est aux reprises, mais je ne veux pas embarquer dans ce train-là parce qu’il y en a trop. »

Encore ici, ces années sont émaillées de hauts et de bas. Ainsi, en 2008, la chanteuse vit un autre drame, le suicide de son amoureux. En 2012, elle doit recevoir des traitements préventifs de chimiothérapie en raison d’un dérèglement au foie. Sa mère, Noëlla Therrien, s’éteint le 28 mars 2015.

Par ailleurs, les hommages se multiplient. Deux Félix (album country de l’année et spectacle de l’année – interprète pour son album L’héritage) en 2009, prix Lucille-Dumont de la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec en 2010, Félix hommage en 2012, émission d’un timbre à son effigie et publication d’une biographie de Danielle Laurin en 2014, prix Excellence de la SOCAN en 2018.

Sa chanson Viens changer ma vie se retrouve dans la bande-son du film Les amours imaginaires de Xavier Dolan. Idem pour Liverpool dans le film… Liverpool de Manon Briand.

Dans la traversée de ces décennies, l’amour du public a été permanent. Tout comme l’amour inconditionnel de Renée Martel pour son propre répertoire. À La Presse en novembre 2018, elle disait : « J’ai choisi toutes les chansons que j’ai enregistrées dans ma carrière et je les aime toutes, sans exception. Je les chante toujours comme si c’était la première fois. »

— Avec la collaboration de Lila Dussault, La Presse

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