OPINION JEUX DE RIO

Pour être bon, il faut être bien

Ce texte est le troisième d’une série écrite par l’athlète olympique Maxime Boilard, participant aux épreuves de canoë en 2000 à Sydney, qui veut faire partager sa perspective personnelle sur l’olympisme et la performance.

Les Jeux olympiques reflètent l’importance démesurée et souvent malsaine que nous donnons au résultat final. On ne s’intéresse pas vraiment à la personne lors de la victoire, mais plutôt au symbole de réussite qu’elle représente. Quelque chose d’unique et d’éphémère à consommer maintenant.

La conséquence est que l’athlète devient attaché au résultat comme si sa vie en dépendait. Certains sont même enchaînés. Les « dopés », eux, sont figés dedans.

Tant et aussi longtemps que l’athlète se définira par son résultat, il se piégera, pour deux raisons principales.

Premièrement, parce qu’il lui faudra toujours recommencer pour exister. Quand on y pense, dès qu’il obtient un résultat, ce dernier est déjà derrière lui. Dans le temps, sa capacité de s’améliorer va aller en diminuant, parce que meilleur il est, et plus c’est difficile d’aller chercher le prochain niveau, surtout quand ce niveau n’existe pas.

Deuxièmement, l’athlète ne contrôle pas son résultat, parce que ce dernier dépend de la performance des autres athlètes, de même que des conditions extérieures pour certains sports ou du regard des juges pour d’autres sports. Parlez-en aux athlètes danois et allemand au K1 1000 m, qui ont traîné sur plusieurs centaines de mètres des algues agissant comme un frein en finale olympique. Imaginez la souffrance de celui qui se définit par un résultat qu’il ne contrôle pas.

L’athlète contrôle son effort, son plan tactique et sa mise en œuvre. Il contrôle aussi le cheminement qui le mène jusqu’à la compétition. Sa capacité d’entrer en relation et de s’ouvrir. Son état d’esprit, sa philosophie de vie et comment il entend donner un sens à son expérience. Les résultats sont une conséquence partielle de tout cela.

Il est impératif pour la santé mentale de l’athlète de valoriser ce sur quoi il a du contrôle, sans quoi le calme olympien devient pression olympique.

ADAM VAN KOEVERDEN

a touché à quelque chose de nouveau dans son kayak à Rio. Après 20 ans dans son embarcation, il a parcouru son 1000 m le plus pur, selon lui. Adam s’était levé mardi matin pour faire une course sans possibilité de monter sur le podium, étant en finale consolation. L’image est forte : pour sa routine d’échauffement, il y est allé sans chandail, sans montre, sans cardiofréquencemètre. Il a pagayé au feeling, oubliant les chiffres et le besoin de se mesurer.

L’impact sur sa performance ? Premier en finale consolation. Son temps l’aurait placé deuxième en grande finale. Adam s’est libéré du poids qui alourdit l’existence de celui qui pense avoir besoin de gagner pour être content. Sa plus grande fierté au firmament de sa carrière ? Avoir appartenu pendant des années à une fraternité internationale de kayakistes qui s’apprécient et se donnent à fond pour aller au bout d’eux-mêmes. C’est l’amitié.

Brianne Theisen-Eaton, médaillée de bronze à l’heptathlon,parlait de sa nervosité avant les épreuves. Avec sa psychologue, elles ont développé un exercice où Brianne peut se repositionner devant ce qui vient. Ça ressemble à ça : « Je ne suis pas en train de jouer ma vie ici avec cette épreuve. J’ai autre chose dans ma vie : un mari, des études, des gens qui m’aiment, etc. » Une pensée récurrente. On fixe son bien-être sur le résultat futur. On profite moins du quotidien. On ne voit plus la beauté. La passion s’amenuise.

Bolt et De Grasse qui placotent les derniers 30 mètresde leur demi-finale. C’est le style de Bolt. Jouer permet de ne pas stresser. Ça faitdu bien, jouer aux Jeux. À deux, c’est encore mieux !

LE SENS DU SPORT

Sans recul, le monde du sport est un monde où on existe pour atteindre l’objectif, et ce dernier s’exprime en résultats. Quand l’athlète prend sa retraite, il commence à voir plus clair. Il regarde en arrière et chérit les relations, les moments où il était vrai. Il chérit ses découvertes faites grâce à un processus d’engagement total visant le dépassement de soi avec les autres.

Nous gagnerions, nous les sportifs, à nous regarder dans le miroir et nous demander si nous sommes prêts à changer la « game » pendant qu’elle se joue ou si nous préférons la changer dans nos souvenirs.

Nous éviterions bien des souffrances inutiles. Commençons par être bien, cela va nous aider à être bons. Ainsi pourrions-nous être des exemples non pas meilleurs, mais plus vrais.

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