Accomplir sans gagner la confiance

Quel bilan tirez-vous du mandat du gouvernement Couillard?

Le Parti libéral du Québec entre en période électorale dans une situation qui paraît idéale en théorie. Comme gouvernement sortant, il présente une économie en pleine croissance, des finances publiques dans le vert et une idée claire de la relation du Québec avec le reste du pays. Or, la population semble hésiter à renouveler sa confiance envers les libéraux, car il est difficile de saisir quelle était la vision de ce parti pour le modèle québécois.

En termes de relations avec la fédération canadienne, le gouvernement Couillard aurait pu continuer le mutisme des 20 dernières années sur cette question dans le but d’éviter des débats qui lui sont défavorables. Or, il a eu la lucidité d’y mettre fin avec la publication de la politique Québécois, notre façon d’être Canadien. Cette initiative d’affirmation nationale n’est pas une simple défense du fédéralisme, mais la reconnaissance qu’un dialogue est nécessaire pour que les communautés et les nations formant le Canada puissent mieux vivre ensemble. Elle innove puisqu’elle propose une démarche à plusieurs, pas seulement entre le gouvernement fédéral et le Québec. Ainsi, elle met fin à la logique des deux solitudes qui ne tient pas compte de la diversité du pays et de la nécessaire réconciliation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.

Bref, le gouvernement tente de changer le statu quo de façon méthodique afin d’écarter les stéréotypes du passé qui ne collent plus à la réalité d’aujourd’hui.

Par contre, nous ne retrouvons pas une vision aussi claire lorsqu’il est question de l’avenir du modèle québécois qui constitue la principale question politique pour de nombreux citoyens.

Dans les faits, le gouvernement a favorisé la plus grande croissance des 20 dernières années du PIB québécois. Nous sommes devenus l’une des provinces avec le plus faible taux de chômage dans le pays. Grâce à cela, les finances publiques sont en meilleure santé que dans la plupart des autres provinces. Bref, un contexte qui nous indique que le modèle québécois fonctionne. Il est d’ailleurs source d’inspiration dans le reste du pays, notamment en matière de famille et d’assurance médicaments.

Malgré ce bilan positif, il est difficile de saisir quelle était la vision du PLQ pour nos services publics. En 2014, l’état des finances publiques nécessitait un certain redressement, mais le contraste entre les sacrifices demandés durant ce redressement et l’ampleur récente des investissements ainsi que des surplus budgétaires donne l’impression d’une gestion à court terme. Que cette impression soit légitime ou non, elle alimente le cynisme qui effrite la nécessaire relation de confiance entre la population et un parti politique pour mobiliser une société vers de nouveaux projets lors d’une période électorale.

L’absence d’une vision claire pour nos services publics constitue donc le principal élément manquant au bilan du gouvernement sortant. Cette vision aurait pu être pour un allègement du modèle québécois ou, à l’inverse, favoriser un filet social plus présent, deux options qui recueillent un appui dans la population. Or, il demeure difficile de classer l’action gouvernementale des quatre dernières années vu les investissements et les coupes effectués durant cette période.

Ainsi, le Parti libéral du Québec ne peut miser uniquement sur son bilan pour assurer sa réélection puisqu’il ne communique pas clairement quelle est la vision de ce parti face aux nombreux enjeux que nous devons surmonter collectivement, notamment en éducation, en santé et en environnement. Le défi pour ce parti est donc de nous articuler cette vision lors des quatre prochaines semaines.

Pour faciliter la vie des Québécois ?

Les libéraux sont passés maîtres dans l’art de la mystification. Lorsqu’il s’agit de nous gaver de couleuvres, l’arrière-boutique du magasin libéral met à disposition du locataire de passage tout un stock regorgeant des meilleures variétés, jusqu’aux plus indigestes.

« On s’occupe des vraies affaires », qu’ils disaient. « Faire avancer le Québec », tel était leur cri de ralliement. « Être Québécois, notre façon d’être Canadiens », résumaient-ils. Et maintenant, le slogan du jour : « Pour faciliter la vie des Québécois »... De quoi développer une grave allergie alimentaire !

Du point de vue de la gestion provinciale

Brandissant son bilan, M. Couillard a beau jeu de se péter les bretelles, mais force est de constater que son très provincial gouvernement aura plutôt fait la vie dure à la Nation. Pour reprendre la formule de Lucia Ferretti dans L’Action nationale, avec l’équipe libérale, les Québécois et Québécoises sont « sur l’autoroute vers la dépossession ».

En guise de hors-d’œuvre à ce grand Dîner, on nous promettait par exemple la création de 250 000 nouvelles jobs en cinq ans. De la poudre aux yeux, sachant que ce chiffre ne reflétait au fond que la croissance normale des emplois envisageable pour une telle période, laquelle n’a d’ailleurs même pas été atteinte... À juste titre, les experts de l’IRIS qualifieront de « médiocre » la performance du gouvernement Couillard à ce chapitre. D’autant que les nouveaux emplois s’avèrent beaucoup trop concentrés dans la région métropolitaine, au détriment des régions qui, au même moment, ont vu disparaître ces pôles de dynamisme socio-économique qu’étaient les CRÉ, CLD, CDEC, tables régionales de développement social, forums jeunesse régionaux... Je me souviens.

Quant au bas taux de chômage, on ne saurait non plus y voir un exploit libéral. Il s’explique essentiellement par le départ à la retraite des baby-boomers, phénomène qui limite lourdement l’accroissement de la population active.

Par ailleurs, il est pour le moins paradoxal que l’actuel contexte de plein-emploi n’ait pas mené pour autant à une augmentation notable des salaires. Selon l’Institut du Québec, ceux-ci ont même légèrement décru entre 2016 et 2017.

Champions du déficit zéro à tout crin, les libéraux n’auront pas su traduire leur soi-disant réussite en matière « d’assainissement des finances publiques » (sic) en véritable réussite économique. Le nihilisme comptable du PLQ n’aura été un gage d’enrichissement pour personne, sauf peut-être les confrères médecins du docteur Barrette.

Mis à part les assauts inacceptables contre le tissu social et nos services publics, notamment en santé et en éducation, plusieurs indicateurs n’affichent rien de réjouissant, comme la progression du PIB réel, nettement en retard sur l’Ontario ; l’évolution des exportations, qui déclinent en dépit d’un taux de change pourtant favorable ; les chiffres relatifs aux investissements privés, en baisse de 13 % entre 2013 et 2017 malgré les attentes suscitées par le Plan Nord, la stratégie maritime et les mesures concernant l’aluminium et les forêts ; le niveau de vie et le salaire disponible, domaine où le Québec occupe le dernier rang au Canada.

Pendant ce temps, on assistait béats à l’exode de trop nombreux fleurons québécois, sous le regard à peu près indifférent sinon jovial de la ministre de l’Économie, Dominique Anglade. Et je ne parle pas de la gestion catastrophique du dossier Bombardier.

Au final, les sous ménagés sur le dos du monde dans l’espoir de réduire le service de la dette, les quelques allègements fiscaux accordés aux PME et aux familles et autres bonbons saupoudrés à la veille des élections, comme pour se faire pardonner, ne suffiront pas pour compenser les préjudices causés tant à notre social-démocratie qu’à notre prospérité.

Du point de vue national

Plus inquiétant encore est le rapetissement du Québec dans le cadre canadien. Tous ces piètres résultats ne sont pas étrangers, d’une part, à l’étiolement progressif de la présence québécoise sur la scène internationale où Ottawa occupe presque toute la place et, d’autre part, aux politiques canadiennes toujours plus centralisatrices et tournées vers le pôle économique torontois.

Plus que jamais, au bureau de Justin Trudeau, la priorité est accordée aux intérêts des provinces anglophones, comme en témoignent de manière spectaculaire le déclassement cavalier du Chantier Davie et les négociations entourant l’ALENA.

Traitant avec mépris l’idée d’indépendance nationale, plus mou que mou dans son positionnement constitutionnel comme l’atteste l’insignifiance du document dévoilé par le ministre Fournier en juin 2017, le gouvernement Couillard s’est tiré dans le pied à plus d’une reprise, et c’est toute la Nation qui en subit les contrecoups.

Comment s’étonner, dans ce contexte, de la faiblesse du rapport de force du Québec vis-à-vis du fédéral, ne serait-ce que dans le dossier des transferts en santé ?

Sans compter l’affaire de la loi 99, qui met en cause rien de moins que les droits fondamentaux du peuple québécois, où tant la procureure générale que le ministre des Relations canadiennes n’ont pas impressionné, pour le dire ainsi.

Les concessions stratégiques du Québec en faveur de la pétrocratie canadienne, y compris même à l’égard du territoire et des ressources, comme en témoigne l’entente avec Ottawa sur la gestion du pétrole dans le golfe du Saint-Laurent, sont symptomatiques de l’intégration de plus en plus profonde de notre économie aux visées de Wall Street. Cela n’augure rien de bon à l’ère de la révolution énergétique, où le Québec aurait son mot à dire.

Le même phénomène d’inféodation s’observe à l’égard de la culture et de la recherche au Québec, où le gouvernement fédéral prend de l’expansion.

Quant au statut de la langue française, dont la vitalité ne cesse de s’effriter, les libéraux ont été fidèles à leur politique traditionnelle ; celle du renoncement. Que dire du fiasco libéral en matière de francisation des immigrants, documenté par la Vérificatrice générale ? Que dire du refus éhonté de la part du gouvernement Couillard de mettre en vigueur l’article 1 de la loi 104, en totale violation de la décision unanime prise par l’Assemblée nationale il y a 16 ans visant à faire enfin du français la véritable langue officielle de l’administration publique ? Que dire du surfinancement des institutions d’enseignement supérieur anglophones, des politiques de façade de l’ex-ministre Fortin eu égard à la langue du commerce et de l’affichage, du laisser-faire en matière de langue du travail, des compressions affectant les organismes créés par la loi 101 ?

Il est plus que temps que nous cessions d’avaler des couleuvres, à commencer par toutes celles qui empoisonnent notre vie nationale jusque dans ses substrats. Comme antidote à ces calamités ordinaires, intimement liées à notre condition provinciale, rien ne vaut l’extraordinaire du combat pour la liberté politique. Le « changement » ne suffira pas.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.