LORI LANSENS

L’écriture comme une ascension

Les égarés
Lori Lansens
Traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Alto
446 pages

Il aura fallu cinq ans à Lori Lansens pour arriver au sommet de cette montagne métaphorique (mais pas tant que ça) qu’a été l’écriture du roman Les égarés. « C’est la faute de la Californie », assure l’auteure de l’inoubliable Les filles, native de l’Ontario, mais installée dans les montagnes de Santa Monica depuis presque 11 ans, en compagnie de son mari, le réalisateur Milan Cheylov, et de leurs deux enfants.

On « entend » la romancière sourire au bout du fil. Mais quiconque connaît la région sait qu’elle n’exagère pas quand elle assure avoir passé, ces dernières années, en moyenne six heures par jour dans son automobile : « Notre maison est dans un coin reculé, très loin de l’école des enfants et de leurs activités. Entre la circulation et la distance, avec les horaires tronqués que cela exigeait, je ne pouvais pas écrire plus de deux heures d’affilée. Mais après avoir failli baisser les bras, je me suis servie de cela. Le livre est devenu une métaphore des défis de ma vie d’écrivain. » Elle rit. N’en pense pas moins.

Les égarés, donc. Qui se résume en quelques mots : cinq jours, quatre randonneurs, trois survivants. Mais qui se lit et se vit en autant de pages et de phrases que Lori Lansens a bien voulu y mettre. Ce roman touche au viscéral. Cette histoire de survie surprend à chaque tournant. Lève, ici, le voile sur un fait, sur un secret. Assomme, là, par un revirement, une décision. Prend, vraiment, aux tripes.

Il est, pour tout cela, de ces récits qu’il faut aborder le plus vierge possible. Disons simplement qu’on y rencontre Wolf. C’est le jour de ses 18 ans. Il entreprend l’ascension de la montagne qui surplombe Palm Springs avec l’intention de ne pas en revenir. Il va, une fois au sommet, se jeter dans le vide. On comprendra pourquoi en temps et lieu.

Se perdre

En chemin, il rencontre trois femmes. Nola, qui s’y rend chaque année en compagnie de son mari, mais qui, cette fois, est seule, car son aimé vient de mourir. Bridget, qui s’entraîne pour un triathlon. Vonn, qui a l’adolescence boudeuse.

Une erreur menant à l’autre, ils se perdent. Ils devront affronter la faim, le froid, la soif. Devront aussi affronter les raisons qui les ont conduits là. Devront faire face à eux-mêmes.

Comme cela se produit souvent chez les écrivains, Lori Lansens s’est abreuvée à même sa vie – qu’elle a transformée, modelée à la fiction – pour construire cette histoire. « Pour moi, tout commence toujours par les personnages. Or, quand je me suis mise à réfléchir à un nouveau roman, il y avait, dans ma communauté, une vague de suicides chez les adolescents. L’un d’entre eux avait été notre voisin et je ne pouvais m’arrêter de penser à ces enfants brisés, à ce qui les pousse vers un désespoir total qui les mène à commettre cet acte sans retour. J’avais alors Wolf en tête, en moi. Et je me disais qu’en le rendant responsable d’autres vies, je parviendrais à le faire changer d’idée. »

La situation et les gens étaient placés. Mais où planter le récit ? Là encore, Lori Lansens a su, assez rapidement. Il y avait cette montagne gravie avec son mari, des mois sinon des années plus tôt, ce mont San Jacinto qui surplombe Palm Springs. « J’ai toujours su que j’écrirais un jour sur cet endroit », commence-t-elle avant de raconter comment, subjugués par la beauté des lieux, ils étaient sortis du sentier pour prendre une photo, s’étaient éloignés de quelques pas pour avoir une meilleure vue. Et s’étaient perdus.

Se retrouver

Pas longtemps, mais assez pour que l’impact soit inoubliable pour la romancière. « Ce qui est incroyable, c’est que vous êtes là, sur la montagne, et que la ville est à vos pieds. Il est facile de se dire qu’il n’y a qu’à se diriger vers elle pour retrouver son chemin. Or c’est faux. Il y a des canyons, des ravins et plein d’autres obstacles. Et la météo peut y changer tellement vite ! » Autant d’éléments à exploiter.

Elle avait donc Wolf. Elle avait la montagne, qu’elle a rebaptisée et mise à sa main après être retournée, encore et encore, sur la vraie, en compagnie d’un membre de la Riverside Mountain Rescue Unit qui lui a servi de guide. Et de premier lecteur. « Même si je me suis gardé un certain jeu, un genre de licence créative », rigole-t-elle.

Après tout, la montagne était au service de sa fiction. Une fiction dont elle connaissait les grandes lignes, des personnages dont elle savait les secrets. Son défi était ailleurs. « Comment disséminer l’information que je connais ? À quel moment est-ce que ce serait le plus efficace pour l’histoire, pour les personnages… et pour le lecteur ? », fait celle qui sait créer le suspense là où on ne l’attend pas, et se glisser dans la peau de gens brisés auxquels elle insuffle espoir et beauté.

« Je veux être comme un maître marionnettiste et les guérir. Je trouve de l’espoir dans cela. » Elle en trouve pour elle. Elle en donne à ses personnages, mais aussi à ses lecteurs. De l’espoir et de la beauté. Il y a tout cela dans ses Égarés.

EXTRAIT 

« C’est une histoire qui ne convient pas à un enfant, mais justement, tu n’es plus un enfant. Aujourd’hui, tu es plus vieux que je l’étais lorsque je me suis égaré dans la montagne sauvage.

Cinq jours là-haut, sans nourriture, sans eau et sans abri. Cette partie de l’histoire, tu la connais, comme tu sais que j’étais en compagnie de trois inconnues et que nous n’en sommes pas tous sortis vivants. Les évènements survenus dans cette montagne ont changé ma vie, Danny. Le récit que je m’apprête à te faire va changer la tienne. »

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