Théâtre  Table Rase

Repartir à zéro à 20 ans

Six filles se réunissent autour d’une table. L’alcool coule à flots. Les sujets de discussion, tous plus crus les uns que les autres, aussi. Mais attention, elles ne sont pas ici pour provoquer. Mais pour signer un pacte d’amitié. Pas n’importe lequel…

Table rase, qui prend l’affiche la semaine prochaine à l’Espace Libre, a été écrite par six jeunes femmes tout droit sorties du Conservatoire, avec l’aide de Brigitte Poupart, qui assure aussi la mise en scène de la pièce, à la fois drôle, tragique, provocante et dérangeante.

D’entrée de jeu, les jeunes femmes parlent de tout et de rien, dans le désordre et sans pudeur. Tous les sujets y passent : la sodomie, le gluten, l’anorexie, la labioplastie, la fellation, avec ou sans condom. Entre une cigarette et une pointe de pizza, elles discutent de masturbation, d’orgasme et de mauvais cunni.

Ce qui donne, vous l’aurez deviné, lieu à des répliques savoureuses (« le sans-gluten, c’est pour les anorexiques qui veulent pas manger de pain », « t’es sûre que t’aimes pas ça la sodomie, parce que t’es pas mal anale »).

UN PACTE

Mais le cœur du propos n’est pas là. Car les amies se sont en fait réunies dans un but très précis : signer un pacte d’amitié. Pas n’importe lequel : elles s’engagent, ici, là, maintenant, à effacer leur passé, pour repartir à zéro. Pourquoi ? Nous ne vous vendrons pas ici le punch (car punch il y a, évidemment), mais disons simplement par amitié, solidarité, mais aussi, beaucoup, parce qu’aucune d’entre elles n’est vraiment bien dans son présent.

« C’est triste de réaliser à notre âge qu’on n’est pas heureuse… » 

— Réplique tirée de la pièce Table rase

Au-delà du cul (puisqu’il en est ici beaucoup question), elles ne comptent plus les désillusions : l’amour (« L’amour, l’amour, c’est pas une raison pour se faire mal ! »), la fidélité (« tout le monde trompe tout le monde »), mais aussi l’absence de projet de société (« y a pas d’ensemble, y a pas de projets collectifs, y a plus d’histoires »). Elles pleurent les inégalités sociales, le sort des femmes amérindiennes, la crise planétaire.

Tour à tour, elles énoncent comment elles ont choisi de faire « table rase » de leur passé : l’une a cédé son bail et placé son père, l’autre a laissé son chum, la dernière a fait son testament.

IMPUISSANCE ?

Brigitte Poupart a été sidérée par le sentiment d’impuissance « terrible » qui se dégage du propos de ces jeunes femmes.

« Cette génération est prise devant des acquis qui leur semblent irréversibles des générations qui les ont précédées : l’environnement, la politique, la spiritualité. Eux, ils arrivent après. Et je me suis rendu compte qu’ils ont un sentiment d’impuissance terrible. D’où le lâcher-prise. »

Selon la metteure en scène, tout n’est toutefois pas perdu. Oui, elle voit une note d’espoir. Où donc ? « L’enjeu de cette génération-là est écologique, répond-elle. Ils sont nés avec le recyclage, les Communauto. Pour moi, l’espoir, il est là ! Ils doivent montrer leur loyauté, leur amitié, leur solidarité. D’autant plus qu’ils se sont tellement fait dire par la classe politique qu’ils n’étaient pas solidaires. »

SOLIDAIRES

Et comme de fait, le pacte d’amitié signé par les six filles est un témoignage ultime de solidarité. Même si elles ne croient plus en la fidélité amoureuse, leur fidélité entre filles, elle, est plus forte que jamais.

« Ce qui les fait triper, c’est le moment présent, Instagram... Ils cherchent l’humanité, c’est très différent de ma génération, qu’on disait déprimée, sacrifiée… [la génération X] », explique Brigitte Poupart. 

L’une d’entre elles fait d’ailleurs très justement remarquer : « Nous, on est fidèles, ça autour de la table, c’est de la grosse fidélité… »

Bref, oui, conclut la metteure en scène, « il y a de l’espoir. Parce qu’elles se réinventent des rituels… »

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