« Mes amis travaillent 10 fois moins que moi dans leurs devoirs pour avoir de bons résultats. Alors que moi, je travaille, j’étudie, je fais tout ce qu’on me demande. Ça doit être… mon intelligence. »
Ces mots sont ceux d’une adolescente de deuxième secondaire qui a consulté Marie-Claude Guay, professeure au département de psychologie de l’UQAM et neuropsychologue au centre de psychologie MC Guay. La jeune fille – qui fonctionnait très bien à l’école primaire – avait désormais de la difficulté à se concentrer à l’école.
Ça n’avait rien à voir, mais absolument rien à voir, avec son intelligence, se souvient M Guay. Au contraire, même.
« C’est une petite fille hyper intelligente, qui avait réussi, justement à cause de son intelligence, à compenser tout son primaire », dit M Guay.
L’adolescente a passé les questionnaires comportementaux dont on se sert pour diagnostiquer le trouble de déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), mais ne satisfaisait pas les critères cliniques. Pourtant, Marie-Claude Guay repérait très bien chez elle les comportements d’inattention et d’impulsivité. La jeune fille avait les mêmes déficits des fonctions cognitives et exécutives, les mêmes déficits du lobe frontal.
Cette fille aurait très bien pu passer sous le radar. Et ne jamais être traitée.
« Et c’est ça, le problème, avec les filles », ajoute Marie-Claude Gagné, pour qui il est « clair » que le TDAH est sous-diagnostiqué chez les filles.
Un problème qui aurait des conséquences bien réelles, indique le D Doron Almagor, psychiatre et président de CADDRA (Canadian ADHD Resource Alliance).
Contrairement à la croyance populaire, dit-il, les filles qui ont un TDAH s’en sortiraient moins bien que les garçons en vieillissant. Le D Almagor cite en exemple une étude longitudinale danoise parue dans en mai, qui a conclu que les filles présentant le trouble avaient un taux de mortalité plus élevé que les garçons. En 2014, ces mêmes chercheurs avaient conclu que les filles courraient un risque accru d’abus de substances et d’alcool.
« Et l’on pense que c’est parce qu’elles ne sont pas diagnostiquées ni traitées aussi rapidement que les hommes », dit le D Almagor.
La question préoccupe la neuropsychologue Marie-Claude Guay depuis plusieurs années. Elle supervise actuellement une étudiante au doctorat qui écrit son projet de recherche pour mieux comprendre le TDAH chez les filles, un sujet à peine abordé dans la littérature (l’intérêt scientifique date environ de 2008, indique M Guay).
« La fille qui a un TDAH, honnêtement, pendant des années, on s’en est foutu complètement. »
— Marie-Claude Guay, professeure de psychologie
Pendant 20 ans, dit-elle, les études sur le TDAH ont porté sur les garçons. Même que, dans plusieurs études, note M Guay, le simple fait d’être une fille constituait un critère d’exclusion des échantillons de recherche. Résultat : les questionnaires pour diagnostiquer le TDAH ont été conçus en fonction des symptômes observés… chez les garçons.
Tous s’entendent sur la raison : les filles ont en général moins la bougeotte que les garçons. Elles ont aussi moins tendance à être opposantes. Bref, elles dérangent moins.
« Les garçons avec un TDAH ont souvent des symptômes très évidents : ils sont hyperactifs, agressifs, destructeurs en classe, illustre le D Doron Almagor. Alors le professeur dit aux parents : amenez-le voir le médecin, ce qui enclenche le processus. Mais la fille avec un TDAH se situe plus souvent du côté de l’inattention et n’a peut-être pas de symptômes hyperactifs. À cause de cela, elles peuvent ne jamais être identifiées avec un TDAH, ni même avec un quelconque trouble. »
« Que ce soit des filles ou des garçons, ceux qui ont des symptômes moins visibles, qui ont des symptômes d’inattention, sont plus difficiles à attraper », explique la D Annick Vincent, médecin-psychiatre.
Des filles qui présentent un TDAH (tout comme des garçons, d’ailleurs) vont réussir à bien s'adapter et bien vivre tout au long de leur vie. Quand la personne fonctionne bien, note Marie-Claude Guay, il n’y a pas lieu de consulter.
« Mais quand ça commence à aller mal, quand on commence à voir des difficultés d’adaptation, des échecs scolaires, quand ça commence à miner son estime d’elle-même, c’est important de consulter », conclut-elle.
Il n’est pas rare qu’une femme reçoive un diagnostic de TDAH à l’âge adulte seulement. L’arrivée des enfants – et la dure conciliation travail-famille – est une étape charnière. « C’est souvent là qu’on voit des gens qui ont un TDAH, mais qui arrivaient à compenser avant, venir cogner à nos portes en disant : j’ai besoin d’aide », constate la D Annick Vincent.
« Les adultes qui ont un diagnostic de TDAH, leur problématique, c’est le côté organisationnel, le côté gestion, la paperasse, poursuit la D Vincent. Et, souvent, sur une base culturelle, le rôle de la femme, c’est le côté organisationnel. Si, dans ton rôle de parent, tu es celui sur lequel repose l’organisation familiale, c’est là que tes symptômes de TDAH deviennent plus invalidants. » Les adultes atteints d’un TDAH peuvent développer des symptômes d’épuisement, d’anxiété, de dépression, même. Le syndrome de l’imposteur est fréquent chez eux.