Chronique

Renée et nous

Avez-vous vu les photos de Renée Zellweger qui ont été publiées hier un peu partout ?

L’actrice était à un événement organisé par le magazine Elle, les Women in Hollywood Awards, lundi soir à Los Angeles, et elle s’est ainsi retrouvée sur un tapis rouge, photographiée sous tous les angles.

Les images de celle qu’on a tous adorée dans Jerry Maguire ou Cold Mountain ont fait le tour de la planète.

Portait-elle un t-shirt avec un slogan haineux ? Une robe trop avant-gardiste ? A-t-elle eu une « wardrobe malfunction » ou est-elle arrivée avec le mari d’une autre ?

Pas du tout.

Elle ne se ressemblait plus.

On aurait dit une autre personne.

Exit celle qui a donné un visage cinématographique à l’héroïne des romans Bridget Jones.

À la place, il y avait quelqu’un d’inconnu.

Quelqu’un de beaucoup moins spécial, typé, que la Renée d’avant avec ses grosses joues rondes comme des pommes, sa bouche en cœur et ses tout petits yeux bleus perçants. À la place, il y avait un personnage différent, avec des pommettes différentes, des sourcils différents, une peau différente.

Difficile de dire si le résultat de cette transformation est carrément malheureux, car les photos ne sont pas très flatteuses. L’éclairage ne va pas du tout, trop dur. Et on voit que les photos publiées ont été choisies pour marquer la transformation de ce si joli visage de femme plutôt que pour essayer de nous aider à retrouver le regard perdu.

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Je n’ai rien contre le Botox, la liposuccion, le remplissage et autres prothèses mammaires ou liftings.

Si un petit changement ici ou là transforme la confiance en soi de quelqu’un autrement profondément malheureux, pourquoi y être opposé par principe ?

Décourage-t-on les gens de porter des broches, de se faire blanchir les dents ou de remplacer une incisive abîmée noircissant un sourire ?

On intervient depuis toujours sur notre apparence, de façon plus ou moins permanente, et cela se fait partout. Toutes les tribus aux coutumes ancestrales d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou d’Océanie sont là pour nous le rappeler avec leurs scarifications et autres perçages. Le concept n’a rien de nouveau. Seuls les outils le sont.

Mais dans notre culture, on essaie généralement d’être discret, hyper subtil, juste assez interventionniste pour qu’un rajeunissement se sente, sans qu’on puisse le montrer du doigt.

Si bien que là où on décroche à peu près tous, c’est quand il y a non pas intervention mais exagération. Et qu’on perd le contact avec la personne de départ.

On se choque quand on s’y perd. Quand on ne se ressemble plus.

Et c’est ce qui semble s’être passé avec l’actrice que j’avais adorée dans A Price Above Rubies et One True Thing. Sans oublier les Bridget Jones.

Mais pourquoi donc Zellweger a-t-elle fait cela ?

A-t-elle embauché le mauvais plasticien ?

Est-elle trop obsédée par son propre vieillissement, alors qu’elle n’a que 44 ans ?

A-t-elle été poussée inconsciemment par la machine hollywoodienne à plonger dans de tels excès, parce que dans le monde du cinéma, il n’y a pas d’autres options que celle de toujours avoir l’air jeune et lisse ? N’est-elle pas absente des écrans depuis quatre ans ?

Ou est-ce notre regard à nous, le public, qui l’a inquiétée ?

Comme l’écrivait hier sur le site de Buzzfeed la commentatrice Ann Helen Petersen, qui a fait son doctorat sur les médias américains et est devenue spécialiste de la culture de la célébrité, il n’y a pas beaucoup de voies possibles pour les actrices qui franchissent le mur de la quarantaine.

On ne célèbre jamais la complexité de leur personnalité telle qu’elle s’est incarnée à travers les âges. « On ne dit jamais : “Regardez leur carrière variée et complexe !” », a écrit Mme Petersen.

On dit plutôt : « Regardez comment une telle n’a pas l’air de vieillir. » On s’exclame devant leur capacité à être figées dans le temps.

Et quand ça marche plus ou moins, comme c’est le cas cette fois-ci, eh bien on rit d’elles parce que leur chirurgie plastique a totalement dérapé.

***

Comme public, sommes-nous capables d’appuyer les femmes (et les hommes aussi d’ailleurs) qui ont peur de vieillir, qui ont peur de notre regard sur leur vieillissement ? Sommes-nous vraiment capables de nous retenir totalement de les juger ?

On pourrait poser la même question au sujet du poids, d’ailleurs.

Comme le suggère la prochaine campagne du groupe Équilibre, qui fait la promotion de la diversité corporelle, peut-on se retenir de faire des commentaires sur le poids des gens qui nous entourent, proches ou moins proches ?

Sommes-nous vraiment capables, par exemple, de ne pas blâmer les gens qui prennent du poids ? Sommes-nous capables de nous interroger sur la souffrance possiblement attachée à une silhouette ou une autre – qu’elle soit très maigre ou amplement ronde –, à un visage exagérément reconstruit, plutôt que de simplement juger les apparences ?

Tant qu’on ne sera pas capables de répondre oui, nos vedettes feront des folies et des folles d’elles.

Et ce sera peut-être un peu de notre faute aussi.

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