Éditorial Ariane Krol ALENA 

Un début de progrès

La ronde de Montréal n’a pas fait de miracles, mais elle a accompli l’essentiel : assurer la poursuite des négociations. Si l’issue ne s’annonce pas plus facile à atteindre, elle semble au moins plus envisageable.

Ça peut paraître mince, mais comparativement au climat de tension et d’incertitude qui régnait avant cette sixième ronde, c’est loin d’être négligeable. Un chapitre de conclu, plusieurs autres bien avancés : la ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland et ses deux homologues du Sud ont tous insisté sur le terme « progrès » dans leur discours de clôture, lundi. « Plus important encore, nous avons enfin commencé à discuter d’enjeux fondamentaux », a souligné le secrétaire américain au Commerce, Robert Lighthizer – lui qui, l’automne dernier, s’était montré si frustré de la « résistance au changement » de ses interlocuteurs.

Le Canada et le Mexique, de toute évidence, n’ont pas le monopole de la résistance au changement. Même si, dans le secteur de l’automobile, c’est seulement un changement de perspective, et non un recul, qui est demandé aux Américains, l’émissaire du président Trump a freiné sec.

Le Canada, on l’a entendu, propose que le calcul du contenu nord-américain d’un véhicule tienne compte de nouveaux éléments, comme les logiciels et les brevets, en plus des pièces. « C’est le contraire de ce que nous essayons de faire », a décrété le secrétaire Lighthizer en affirmant que le contenu régional et l’emploi pourraient s’en trouver réduits dans les trois pays.

Que ça lui plaise ou non, il n’en a sans doute pas fini avec ce scénario. D’abord parce qu’il est incontournable. On ne peut pas prétendre moderniser l’ALENA et encadrer les véhicules comme on les concevait en 1994, sans tenir compte du fait qu’ils seront de plus en plus propulsés à l’électricité et assistés de fonctions électroniques, et qu’il y aura là beaucoup d’emplois de qualité à protéger. Ensuite parce que l’idée plaît au secteur. Le grand patron de Fiat Chrysler, Sergio Marchionne, et plusieurs associations américaines de l’automobile ont salué l’initiative canadienne. 

« Les négociateurs du département américain du Commerce devraient passer autant de temps avec leur industrie que les Canadiens avec la leur. Je pense qu’ils arriveraient à des conclusions similaires au Canada et au Mexique. »

— Flavio Volpe, président de l’Association canadienne des manufacturiers de pièces automobiles, en point de presse

La ministre Freeland le reconnaît, l’automobile pourrait bien être l’enjeu le plus important et le plus difficile. Et même si on parvient à clore ce chapitre, plusieurs autres bloquent derrière. À commencer par les mécanismes de règlement des différends, dont les États-Unis voudraient se débarrasser et auxquels le Canada tient mordicus, avec raison. Comme nous le faisait récemment remarquer en entrevue Derek Burney, qui a participé aux négociations du premier Accord de libre-échange canado-américain (ALE) et à celles de l’ALENA : « Quand c’est la loi de la jungle, ce sont le lion et les éléphants qui l’emportent, ce qui est un peu inquiétant pour les types qui sont dans les arbres, comme le Canada, alors nous préférons les règles de droit appliquées correctement. » À entendre les commentaires excédés de Robert Lighthizer sur le récent recours du Canada devant l’Organisation mondiale du commerce, c’est une question qui risque de traîner jusqu’à minuit moins une, comme lors de la négociation de l’ALE.

Plus de 24 ans après son entrée en vigueur, l’ALENA mérite certainement d’être modernisé et amélioré, mais il est également devenu indispensable à un grand nombre d’employeurs américains. Leurs activités dépendent de cette structure, et ils n’ont aucune envie de la voir disparaître sur un coup de tête ou un coup de gueule. Et ils sont de plus en plus nombreux à passer le message à Washington. Pour l’instant, c’est ce qui a le plus de chances de faire pencher la balance du bon côté.

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