Médicaments d'ordonnance

Les secrets de la nouvelle facture des pharmaciens

Savez-vous combien exige votre pharmacien pour vous remettre vos médicaments d’ordonnance ? Depuis six mois, cette information doit impérativement apparaître sur les factures. Regardez bien, vous pourriez y découvrir des chiffres surprenants.

premier volet d’une série de Marie-Eve Fournier

Combien vous coûte votre pharmacien ?

Certains médicaments d’ordonnance coûtent une fraction de ce que les pharmaciens exigent en honoraires, révèle la nouvelle facture détaillée que ces professionnels de la santé sont dans l’obligation de vous remettre depuis six mois. Et ce n’est pas la seule information intrigante ou semblant défier toute logique.

Dans un exercice sans prétention scientifique, La Presse a réuni près de 50 factures de médicaments d’ordonnance obtenues dans diverses chaînes de pharmacies après le 15 septembre.

Notre compilation, qui comprend surtout des médicaments peu onéreux (crèmes pour la peau, gouttes pour les yeux, antibiotiques, anti-inflammatoires, comprimés pour traiter le TDAH), nous a notamment permis de constater que le prix des médicaments d’ordonnance représente parfois moins de 15 % de la facture totale.

Par exemple, 20 comprimés d’hydromorphone (un analgésique opioïde) ne coûtent en réalité que 1,90 $ (avant les frais de distribution), même si la facture totale a grimpé à 14,65 $. Le médicament lui-même représente 12,97 % du total.

Dix comprimés d’Ativan (anxiété, sommeil) valent 0,36 $, même si la facture grimpe à 10,40 $. Le médicament représente 3 % de la note.

Même chose pour une prescription de Naproxen, un anti-inflammatoire dont le prix coûtant (avant les frais de distribution) est de 2,96 $ pour 14 comprimés. Le montant réclamé au patient a plutôt été de 15,85 $ dans une pharmacie de la Rive-Sud. La somme versée au distributeur, les honoraires du pharmacien et son profit ont donc totalisé 86 % de la note.

Autre constat : la logique est difficile à comprendre. De fait, sur une facture sur laquelle apparaissent deux médicaments, le pharmacien a exigé des honoraires de 20,15 $ pour un médicament de 102,84 $ (Pulmicort Nebuamp) et des honoraires de 22,75 $ pour un médicament de…15,23 $ (Moxiflocacin).

Pourquoi Québec a-t-il légiféré ?

Ce n’est pas nouveau que les pharmaciens réclament de tels honoraires. Sauf qu’avant le 15 septembre, les Québécois ne s’en rendaient pas vraiment compte. La facture qui leur était remise n’affichait qu’un total général, une situation unique au Canada.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, explique avoir forcé les pharmaciens à révéler leurs honoraires pour mieux faire jouer les lois de la concurrence et possiblement alléger le fardeau des payeurs d’assurances. « Ce sont les employeurs qui sont venus me dire que les assurances sont trop chères et qu’ils ne peuvent plus suivre », a-t-il précisé à La Presse au cours d’un entretien téléphonique.

Il a craint que les employeurs ne cessent d’offrir une assurance médicale collective et que des milliers de travailleurs ne se retrouvent du jour au lendemain sur l’assurance médicaments publique, ce qui aurait coûté une fortune à l’État.

« La transparence, c’était pour mettre de la pression sur les pharmaciens. »

— Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux

« Parce qu’avec le privé, le monde des affaires, il y avait des enjeux de mettre fin à des polices d’assurance, et le gouvernement aurait dû assurer tout ce monde-là, note M. Barrette. Ça aurait amené une cascade de décisions difficiles. Il aurait fallu demander une contribution des employeurs, ç’aurait été compliqué. »

Ailleurs au pays, où la transparence est de mise, les assurances collectives coûtent moins cher, constatent les firmes d’experts en avantages sociaux Aon Hewitt et Mercer.

Même service, deux fois le prix

En plus de faire bondir les factures de façon parfois importante, les honoraires professionnels peuvent varier du simple au double d’une pharmacie à l’autre, a-t-on constaté. Dans le cas de la version générique du populaire Finasteride, qui permet notamment d’éviter la perte de cheveux, une pharmacie a réclamé 20,81 $, tandis qu’une enseigne concurrente a facturé 43,30 $ à un autre patient.

Il importe de comprendre qu’en sus du prix du médicament (identique partout), le pharmacien doit verser 6,5 % du prix coûtant de la molécule au distributeur et que la nouvelle case « honoraires professionnels » inclut à la fois les honoraires du pharmacien, un montant pour l’exploitation de la pharmacie (loyer, salaires, taxes) et un profit.

Évidemment, les pharmacies ont des coûts fixes très variables selon leur taille, l’étendue de leur offre de services et leur situation géographique, notamment.

« Le niveau de rentabilité n’est pas si élevé »

Selon Jean Bourcier, vice-président exécutif et directeur général de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), les honoraires des pharmaciens sont loin d’être exagérés. « Le nombre de pharmacies au Québec n’a pas bougé depuis 2016 », ce qui démontre, plaide-t-il, que le niveau de rentabilité n’est pas si élevé. Il y en avait 1890 il y a deux ans et il en a encore 1890. « C’est du jamais vu dans l’histoire. Ça veut dire qu’il y a des fermetures. Les réformes ont travaillé la rentabilité. »

Il affirme en outre que « 15 % des pharmacies ne font pas d’argent et que 15 % font [seulement] leurs frais ». Ce sont des entrepreneurs comme les autres, « qui cherchent la rentabilité, qui ont besoin d’argent pour innover, rénover, payer les employés ».

Grosso modo, les honoraires de notre compilation de près de 50 factures pour des médicaments peu onéreux varient de 12 à 20 $, avec des exceptions beaucoup plus basses (5,03 $ dans le cas de l’acétaminophène) et beaucoup plus hautes (27,44 $ pour du Concerta, 43,30 $ pour le Finasteride).

Notre moyenne est d’environ 18 $. Selon l’AQPP, cette moyenne est conforme à la réalité.

« Il y a urgence de réformer le régime »

L’Union des consommateurs, qui a fait un exercice comparable au nôtre, a-t-on appris jeudi dernier, juge la situation « inacceptable » et affirme que ses constats « renforcent l’urgence de réformer au plus vite notre régime d’assurance médicaments ».

« Comprenons bien que ces honoraires élevés se refléteront ultimement dans les primes d’assurance privée payées par les consommateurs. Ce faisant, ce sont les assurés des régimes privés qui subventionnent en quelque sorte les honoraires des assurés du régime public. Il s’agit là d’une forme de taxation inéquitable », conclut Élizabeth Gibeau, analyste santé de l’organisation, en encourageant les Québécois mécontents à porter plainte à l’Ordre des pharmaciens du Québec.

* Les médicaments qui ne sont pas couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ne sont pas assujettis à la Loi sur l’assurance médicaments et, par conséquent, les honoraires de pharmaciens ne sont pas précisés sur la facture, même si le médicament est couvert par votre assurance privée.

Des constats, et après ?

« Depuis le 15 septembre, les patients voient les honoraires, mais on ne leur a pas expliqué quoi faire avec l’information ! », déplore Marc Desgagné, professeur à la faculté de pharmacie de l’Université Laval.

L’universitaire ne s’intéresse pas seulement au prix des médicaments parce qu’il est pharmacien. En fait, quand nous lui parlons de la nouvelle facture détaillée, il répond plutôt en portant son chapeau de président du Comité du SPUL sur les assurances collectives, le SPUL étant le syndicat des professeurs.

Ce comité, qui regroupe notamment un actuaire, un pharmacien et un expert des systèmes d’information organisationnels, s’intéresse de très près au prix des médicaments. Car c’est lui qui négocie et signe les contrats d’assurance des professeurs (à titre de preneur) et il fait tout en son pouvoir pour réduire au maximum les hausses de prime. Il milite depuis des années en faveur de la transparence sur les factures des pharmaciens.

Prendre conscience

C’est dans cette optique qu’il transmettra prochainement aux assurés « une douzaine de messages » concernant la facture détaillée. L’idée est de provoquer le réflexe naturel chez les membres de la lire attentivement. La première étape, dit le professeur Desgagné, est de prendre conscience des honoraires des pharmaciens. Viendra ensuite le temps d’agir.

Le message sera livré alors que le coût d’acquisition des génériques s’apprête à diminuer pour les pharmaciens grâce à un nouvel accord récemment signé par les gouvernements provinciaux et l’industrie des médicaments génériques.

« On va leur dire de bien regarder leurs factures d’avant et après le 3 avril pour s’assurer que les honoraires n’ont pas été augmentés d’un montant équivalant à la baisse du coûtant. Car depuis 2015, c’est ce qui a été observé », rapporte M. Desgagné, qui a analysé les 300 000 factures dans sa banque de données.

Aussi, quand on achète pour deux ou trois mois de médicaments, le SPUL ne croit pas que le pharmacien devrait doubler ou tripler ses honoraires car il effectue le travail une seule fois. Mais M. Desgagné convient que c’est bien difficile pour un individu de négocier avec son pharmacien et qu’il faudra donc « une prise de conscience et des actions collectives ».

Comment les honoraires sont-ils calculés ?

À première vue, il est assez difficile de comprendre la logique derrière les honoraires des pharmaciens. Les prix varient-ils en fonction du prix du médicament, de sa complexité, du temps nécessaire au suivi, du nombre de comprimés, du nom du commerce qui les vend ?

Un pharmacien a accepté de nous expliquer comment il détermine ses prix, à condition de ne pas être nommé. Le dossier étant litigieux au sein de l’industrie, il ne veut pas être la cible de ses confrères.

Le professionnel explique qu’il existe au Québec une poignée de logiciels permettant de fixer les prix de vente. Celui qu’il utilise comporte deux cases qu’il peut modifier à sa guise : l’une appelée « honoraires », une autre appelée « marge de profit ».

« Il y a des médicaments qui coûtent 1 ¢ ou 3 ¢. Pour un mois, si ça fait 42 ¢ et que je me prends seulement une marge de 20 %, je ne ferai pas d’argent. Tandis que sur une prescription à 3000 $, une marge de 20 % me rapporterait 600 $ alors qu’il y a peu ou même pas de suivi à faire avec le patient. Ça n’aurait pas de sens. »

Bref, réclamer le même pourcentage de profit à tout le monde n’est pas une solution. Mais puisqu’il existe des milliers de médicaments, « changer les honoraires et la marge pour chaque molécule prendrait un temps fou ! ». Le pharmacien a donc procédé à des regroupements : gouttes pour les yeux, médicaments biologiques très coûteux, antibiotiques liquides, comprimés dont le prix est très bas, etc.

Pour avoir des prix concurrentiels tout en faisant un profit, il estime que cette façon de faire est la plus efficace et la plus logique. « Il y a moyen de grouper et de bien regrouper », plaide-t-il, pour facturer des honoraires justes et raisonnables. Le pharmacien a aussi appliqué des marges particulières sur des molécules (médicaments) qui exigent plusieurs suivis téléphoniques avec le médecin ou le patient puisqu’il ne peut pas facturer un assuré au privé pour ce travail.

« C’est dur d’être en bas de 12 $ »

Un pharmacien coûte 70 $ de l’heure à son employeur (la pharmacie). Et en moyenne, un pharmacien peut préparer 12 ordonnances par heure à raison de 5 minutes chacune, relate Jean Bourcier, vice-président exécutif et directeur général de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP).

Juste en salaire, une ordonnance coûterait donc 8 $ à préparer. « Il n’y a pas une ordonnance qui devrait coûter en bas de 8 $, martèle-t-il, car 8 $, ça couvre juste le salaire du pharmacien. Donc, c’est dur d’être en bas de 12 $. » Ensuite, les coûts d’exploitation et la marge de profit voulue entrent en jeu.

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