Carnet d’endorphines

Sept raisons de se garrocher à corps perdu dans les défis

Les engelures, les pieds en sang, les ongles qui tombent, la peau des mains qui fend, les coups de soleil en technicolor, les muscles claqués, le sourire craquelé par le vent – polaire ou désertique –, les face-à-face avec les barbottes moustachues (ou les requins, ou les coyotes, insérez votre film d’épouvante préféré), les runnings qu’on n’ose même pas enlever de peur que la peau décolle en même temps (ah ! vous étiez en train de déjeuner, désolée, au moins je vous épargne la photo) !

Au bout de tout ça, il se trouve toujours un non-initié qui nous fait une face d’interloqué en osant la question qui tue : « Pourquoi ? »

Je vous l’accorde, c’est une question valable.

Qu’on se pose soi-même chaque fois qu’on croise un banc de barbottes brunes, gluantes et moustachues, qui refusent de céder le passage dans une traversée de lac (vous l’aurez deviné, la barbotte entêtée est ma bête noire). Cela dit, la lancinante question du « pourquoi » revient aussi autour du 32e kilomètre d’un marathon, devant un sentier escarpé où le vertige te pogne au ventre ou face au blizzard polaire en haut d’un sommet des Chic-Chocs, qui te fait soudain regretter de ne pas avoir pensé au parachute.

Veux-tu ben me dire pourquoi je fais ça déjà ?!

Et puis, on prend une gorgée de bouillon, on grignote une datte durcie par le froid, un camarade lance une blague qui vole très bas mais qui nous fait rire très fort, et la mémoire nous revient…

On fait ça parce que :

1. C’est épique. Dans un monde qui pousse fort pour nous normaliser et nous pressuriser à entrer dans des « petites » boîtes où nous aurons droit à des « petits plaisirs » et à des « petits bonheurs », ça fait un bien fou de découvrir l’extra large, et le tour d’horizon en 360, à perte de vue. Redresse la tête, moussaillon, la vie, c’est plus qu’un cubicule et des factures à payer.

2. Le défi est une fête, et la préparation est aussi excitante que l’aventure elle-même. Pendant des mois, on s’entraîne, on fait connaissance avec nos failles, nos forces, notre équipement, nos trucs pour déjouer la flemme ou le coup de fatigue. On croit qu’on se muscle le corps, mais non, oh ! non, pas que ! On se muscle aussi la ténacité, le courage, l’humour. Toutes choses qui nous servent dans d’autres domaines de nos vies d’ailleurs…

3. On se cultive ! Les mœurs amoureuses de l’orignal, le patrimoine historique de la ville dont on ira courir les rues, l’apprentissage de mots-clés dans une langue étrangère (baño, bathroom, cè suŏ), le sport est une fantastique occasion de découvertes tous azimuts.

4. L’émerveillement. La beauté des paysages, certes, mais aussi une beauté qui existait en nous et qui n’avait jamais eu l’occasion de se manifester… On ne se croyait pas capable d’accomplir ce défi de fou, on l’est, c’est magnifique.

5. La modestie devant la force de la nature. On pourrait « l’ostiner » jusqu’à la fin des temps, c’est toujours elle qui aura raison, et toujours nous qui devrons nous incliner. La sous-estimer, c’est risquer sa vie. Alors tu dis « ok, boss », pis tu fais à sa manière.

6. L’abandon… Dans l’effort, t’abandonnes tout : ton orgueil, ton masque de fille qui « sait où elle s’en va » (indice, t’as aucune idée à quel point tu le sais pas où tu t’en vas et où ça va ben te mener), tes défenses et ton incapacité à demander de l’aide. Allô, je m’appelle Gen et j’ai besoin d’un coup de main. Miracle, une main amicale sort la cire de la bonne couleur et prononce cette phrase magique : « Viens que je te farte. »

7. Les rencontres merveilleuses. On ne dira jamais assez à quel point les liens du sport sont tissés serré. Est-ce la file d’attente faite ensemble pour accéder aux toilettes chimiques ? Le chocolat échangé contre les bretzels ? Le fait de voir les masques sociaux tomber un à un devant l’effort et de se rendre compte que les gens sont à leur plus beau ainsi ? Les fous rires, l’entraide, la camaraderie ? Je pourrais continuer pendant mille ans sur tous ces gens qui m’ont accordé le privilège de me montrer de quel bois extraordinaire ils étaient faits… Ce sont des amis pour la vie.

Au bout de la route, et bien au-delà des médailles, des podiums et des photos, il y a la certitude d’avoir eu accès à plus grand que soi.

Et la vie en extra large, ça fait un bien fou.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.