Climat

Des émissions de carbone sans précédent depuis l’extinction des dinosaures

Les climatologues croyaient pouvoir comparer l’ère contemporaine avec une époque, il y a 56 millions d’années, qui a vu la température augmenter brutalement de 5 degrés Celsius après un dégagement encore inexpliqué de carbone dans l’atmosphère. Mais il va falloir remonter encore plus loin : selon une recherche publiée hier dans la revue Nature Geoscience, le taux de carbone dans l’atmosphère augmente 10 fois plus vite actuellement que pendant cet événement géologique qui a provoqué le « maximum thermique paléocène-éocène ».

UN POINT DE RÉFÉRENCE

Cet événement est connu sous l’acronyme angles PETM. Le taux de carbone dans l’atmosphère a probablement dépassé les 1000 parties par million (contre 400 aujourd’hui). Rien de comparable ne s’était produit dans les 10 millions d’années précédentes, depuis en fait l’extinction des dinosaures. Et rien depuis non plus, du moins jusqu’à l’ère industrielle. Le PETM a été suivi par un réchauffement rapide et une modification radicale de la répartition de la vie sur Terre. « Pour nous géologues, c’est la plus grosse crise climatique qui a été enregistrée dans la série sédimentaire, affirme Daniele Pinti, professeur à l’UQAM et directeur du centre de recherche Geotop. C’est le point de référence des 100 millions dernières années. »

CAUSE MYSTÉRIEUSE, MÊME CARBONE

Ce que la Terre a vécu il y a 56 millions d’années, on se l’explique mal aujourd’hui. Peut-être qu’il y a eu un relâchement massif de méthane gelé sous l’océan. Peut-être qu’une grande quantité de carbone marin a été transférée à l’atmosphère, mais on ignore comment. Ou encore, il y a eu une activité volcanique intense. En revanche, on a une bonne idée des quantités de carbone en cause. Et cela ressemble beaucoup à l’époque actuelle. Le chiffre est un peu plus élevé que les 2000 milliards de tonnes de carbone contenues dans les réserves de charbon, pétrole et gaz déjà exploitées ou exploitables commercialement. Et il est inférieur à celui des réserves actuellement hors d’atteinte, que l’on estime à 6000 milliards de tonnes (entre 3000 et 13 500).

FAIRE PARLER LES SÉDIMENTS

On ignorait jusqu’à maintenant la vitesse à laquelle ce carbone a été émis il y a 56 millions d’années. L’équipe formée de l’océanographe Richard Zeebe, de l’Université d’Hawaii à Manoa, et de deux collègues pense avoir résolu l’énigme. Elle a étudié d’anciens sédiments marins prélevés près de Millville, au New Jersey, afin de mesurer la variation d’isotopes d’oxygène et de carbone. L’oxygène permet de suivre l’évolution de la température et le carbone, celui des rejets à l’atmosphère. Ces sédiments très fins atteignent une grande précision, soit des intervalles de 40 ans. Si le carbone avait été relâché d’un seul coup, on aurait observé un délai entre les deux signaux (oxygène et carbone). Et ce n’est pas le cas. « Il n’y a pas découplage entre les deux séries temporelles, ce qui montre que le carbone a été relâché progressivement », dit Daniele Pinti, de l’UQAM.

DIX FOIS PLUS RAPIDE

Les scientifiques ont conclu qu’en moyenne, les émissions de carbone annuelles ont été d’un peu plus de 1 milliard de tonnes de carbone, pendant 4000 ans. Le taux de rejets actuel est 10 fois plus élevé : il frôle les 10 milliards de tonnes annuellement, simplement pour les hydrocarbures (charbon, pétrole et gaz). Sans compter les émissions attribuables à la déforestation et à l’agriculture. Les auteurs de la recherche concluent donc que, « selon les données actuellement disponibles, le taux actuel de dégagement anthropogénique de carbone est sans précédent depuis 66 millions d’années ». « Ça veut dire que si on continue comme ça, on peut vite arriver à cette même quantité de carbone que celle relâchée pendant 4000 ans », dit M. Pinti.

UNE NOUVELLE EXTINCTION ?

La principale conséquence de cette découverte, c’est qu’on n’a aucun équivalent dans l’histoire géologique de l’expérience qui est menée actuellement par l’humanité avec ses rejets massifs de carbone dans l’atmosphère. Il y a 56 millions d’années, certaines espèces vivantes avaient pu s’adapter ou se déplacer. Les mammifères, qui venaient d’hériter de la planète après l’extinction des dinosaures, avaient pu bien tirer leur épingle du jeu. Cette fois, on ne sait pas comment la vie sur Terre va réagir. On prévoit que le changement sera plus rapide. Les chercheurs avancent une prédiction : « le taux d’extinction futur sera probablement plus grand que celui relativement limité observé au moment du PETM. » À ce sujet, observe M. Pinti, les faits sont déjà clairs : « La planète est déjà en train de vivre sa sixième période d’extinction. »

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