GRANDE ENTREVUE  KATHERINE LEVAC

La fille de Hawkesbury

Son prénom, c’est Katherine, mais tous ceux qui la connaissent la surnomment Kat. Quant à ceux qui ne la connaissent pas, mais qui l’ont vue à SNL Québec ou au gala Les Olivier, où elle a remporté le prix de la découverte de l’année en humour, ils pensent tous qu’elle s’appelle Paidge Beaulieu ou plutôt qu’elle EST Paidge Beaulieu. Autant dire qu’ils se trompent royalement. Oh yes ! C’est du moins ce que j’ai déduit en voyant la réaction un brin hérissée de Kat Levac à ce sujet. 

« Paidge, dit-elle, je l’ai fait une couple de fois à SNL Québec. C’est un personnage que j’ai créé à l’École de l’humour parce qu’il fallait créer un personnage. Mais elle ne m’accompagne pas dans la vie et encore moins sur scène. Désolée, guys, mais je ne suis pas Paidge Beaulieu. »

J’avoue que ce n’est pas tout à fait la réponse que j’anticipais dans le café de la rue Roy, à un jet de pierre des Productions Avanti qui ont pris Kat Levac sous leur aile.

L’humoriste m’attendait sagement à la table le long de la fenêtre avec cet air imperturbable qui a fait sa marque. Les Américains appellent ce type d’expression – très prisée par les stand-up comics – le deadpan. Katherine Levac en fait une version parfaite sur scène, laissant toujours flotter un silence ou un blanc qui a l’air innocent, mais qui annonce un punch en forme de coup de masse.

À 26 ans (27 en juillet), à peine deux ans après avoir obtenu son diplôme de l’École nationale de l’humour, Kat Levac n’est peut-être pas encore connue dans tous les restaurants Cora de la province, mais elle se retrouve néanmoins dans la même écurie que Jean-François Mercier et Cathy Gauthier. 

Et surtout, elle ne cesse de travailler : au Nouveau show de Radio Canada où elle fera équipe avec ses amis de SNL Québec, à Like-moi, la série sur la génération millénaire de Marc Brunet à Télé-Québec cet hiver, comme chroniqueuse à PaparaGilles, à la téléréalité Les cinq prochains, en ondes sur ARTV et qui fera l’objet d’une tournée de spectacles à l’automne, et parfois, quand elle a le temps, en première partie de Jean-François Mercier. Pas mal pour une Franco-Ontarienne qui a grandi dans une ferme entre les vaches et les poulets.

À cause de son accent et de son air légèrement décalé, on croit à tort que cette charmante rousse à l’abondante crinière vient du fin fond de l’Ontario, quelque part au nord de Sudbury. Mais la vérité, c’est que Kat Levac a grandi à Saint-Bernardin, à une heure vingt de Montréal et à dix minutes de Hawkesbury. 

IDENTITÉ FRANCOPHONE

Dans les faits, c’est une fille d’Ottawa comme dans I Lost My Baby de Jean Leloup. C’est aussi une francophone pur jus élevée avec ses deux frères et sa sœur dans la religion de la fierté francophone. Son père Alain Levac et sa mère Nancy Berniquez ont tout fait pour que le français soit la langue maternelle de leurs rejetons, quitte à les priver de Barney, le dinosaure mauve de PBS, pour mieux les nourrir au petit lait de Passe-Partout.

À l’école secondaire de Hawkesbury, il était interdit de parler anglais dans les cours, les couloirs ou pendant la récré. Interdit aussi de se trémousser sur la musique anglo-saxonne lors des danses. Cette orthodoxie linguistique faisait rager Kat Levac. « C’est plate à mort de danser sur du Damien Robitaille ou du Luce Dufault quand t’as juste le goût d’entendre du Rihanna ou du Beyoncé. Non seulement c’était plate, mais je ne comprenais pas pourquoi on cherchait à nous étouffer avec le français. C’est comme si les gens ne faisaient pas la part des choses. »

Ce que Kat ne comprenait pas, c’est que les autorités la prennent pour une espèce menacée alors que dans les faits, l’identité francophone de la fille d’Alain Levac était plus solide que le roc.

« Je suis d’abord francophone et j’y tiens. Même si je parle anglais couramment, que je pense en anglais et que je parsème mes phrases de mots anglais comme guys ou nice, ma langue, c’est le français et il n’y a aucun danger que je la perde. » — Katherine Levac

Franco jusqu’au bout de sa crinière rousse, Kat Levac s’est inscrite en littérature française à l’Université d’Ottawa où elle a terminé un bac en pensant peut-être devenir professeure.

« L’éducation, c’était et ça reste pour moi une des choses les plus importantes au monde », plaide celle qui est arrivée à l’humour par l’impro, et à l’École de l’humour grâce à Éric Trottier, un humoriste d’Ottawa qui venait de s’y inscrire. Au départ je voulais y étudier en tant qu’auteure, mais finalement j’y suis allée comme interprète. Mes parents étaient d’accord. C’est eux autres qui ont payé. Je les ai un peu aidés en travaillant au Musée de l’agriculture. Ici au Québec, les gens trouvent que c’est cher, 7000 $ par année, pour étudier l’humour, mais pour une Franco-Ontarienne, c’est une aubaine. Non seulement ça coûte moins cher que chez nous, mais en plus, on n’a pas de livres ni de fournitures à payer ! »

UNE DRÔLERIE CALCULÉE

Le premier jour qu’elle s’est assise sur les bancs de l’École nationale de l’humour, Kat Levac était sérieuse comme un pape et à cheval sur les principes. Elle attendait avec impatience un programme bien rempli et un protocole scolaire des plus sévères. « Quand j’ai vu qu’il y avait des jokes dans le plan de cours, ça m’a choquée. Les gens pensent que je suis une fille drôle dans la vie, mais en fait je ne suis pas drôle du tout et quand je le suis, c’est que j’ai organisé ma pensée pour être drôle. »

Que Kat Levac ne soit pas drôle dans la vie, j’en doute. Mais je comprends dans ses propos que son humour est construit et travaillé bien qu’il semble naturel et sans effort. Souvent, on a l’impression que Kat Levac n’a qu’à ouvrir la bouche avec son accent et son air faussement innocent pour être drôle. Mais c’est une drôlerie calculée qu’elle cultive. Elle concède que son bagage de Franco-Ontarienne lui donne une originalité qui est en partie responsable de son succès.

« En show, je ne parle pas de l’Ontario, mais on s’entend que l’Ontario, c’est la toile de fond de mon humour. Ça ne peut pas être Laval, j’y suis jamais allée. Je me souviens d’un show de Gad Elmaleh au Centre Bell. C’était comme un gros party, mais où j’étais pas invitée. C’était trop latin. Moi, mon humour est anglo-saxon. C’est sec et cinglant. J’aime être sur scène et entendre le tac tac tac de chaque blague comme si j’achevais le public avec un petit marteau. C’est tellement nice comme feeling ! »

La plupart des humoristes font ce métier par besoin ou par manque d’amour. Pas Kat Levac.

« Moi, c’est pour le contrôle, dit-elle en se pourléchant les babines de plaisir. Sur scène, tu contrôles absolument tout et c’est ça qui me plaît. J’ai jamais eu un besoin maladif d’attention. J’ai une enfance privilégiée, mais j’avoue que je n’avais pas le contact facile avec les autres. Il en reste encore quelque chose aujourd’hui. Dans la vie, ça me stresse de parler aux autres alors que sur scène, ça se fait tout seul. »

Une heure vient de s’écouler. Kat Levac s’est réchauffée. Sa gêne du début s’est évaporée. Elle parle maintenant avec une effusion haletante. Je lui demande où elle se voit dans 10 ans. Elle se voit sur scène évidemment avec un premier one woman show derrière la cravate et au moins un enfant en chantier. Mais son grand rêve est plus prosaïque : elle espère que dans 10 ans, elle sera connue dans tous les restaurants Cora de la province. En plein le genre de rêve que pourrait caresser Paidge Beaulieu. Si elle existait…

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