Opinion : Éducation

Contrer la fracture numérique

L’accessibilité aux nouvelles technologies n'est pas la même pour tous en contexte scolaire

En cette période de la rentrée scolaire, les grands médias devraient revenir sur le sujet comme ils le font depuis quelques années déjà : pour ou contre le téléphone cellulaire à l’école ? Cette question donne lieu la plupart du temps à des débats animés où s’opposent des visions contraires sur la pertinence de cet outil de communication pour l’éducation. En posant le problème de manière aussi simpliste, « devrait-on interdire le cellulaire à l’école ? », ces débats omettent d’aborder les dimensions pragmatiques de la question, comme celle de l’accessibilité aux nouvelles technologies numériques en contexte scolaire.

Presque 20 ans après la dernière réforme éducative qui se proposait de préparer la jeunesse « aux défis du XXIe siècle », il est légitime de se poser la question sur les avancées du numérique dans nos écoles depuis le début du millénaire. Est-ce que les concepts de réseau et de société de l’information ont impacté le curriculum ? Est-ce que les écoles offrent à leurs élèves des occasions d’explorer, de questionner et de mettre à profit leur compétence en utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) ? Poser ces questions, c’est constater les importantes inégalités qui se sont installées entre les différents milieux scolaires montréalais quant à l’accessibilité aux ressources du numérique.

En effet, un rapport du Conseil supérieur de l’éducation affirmait en 2016 que tous les élèves de la province n’ont pas les mêmes chances de réussite scolaire et que le meilleur indicateur de la réussite demeure souvent la provenance et le statut socioéconomique de l’élève. À Montréal et en région, ce sont les élèves les plus favorisés qui ont accès aux établissements scolaires publics et privés bénéficiant de meilleurs moyens et ressources.

La fracture sociale s’est donc transposée dans le numérique ; ce sont les élèves les mieux nantis qui ont accès aux établissements scolaires offrant le plus d’occasions d’utilisation des TIC.

Ces faits nous éclairent sur les positions qui s’opposent dans le débat sur la pertinence du téléphone portable à l’école. Les voix qui s’élèvent contre le téléphone intelligent à l’école proviennent souvent des milieux œuvrant avec des jeunes moins favorisés et où les ressources manquent pour son intégration efficace, tandis que ceux qui en font les louanges sont ceux qui évoluent dans des milieux où les ressources sont à portée de main et où les jeunes sont plus favorisés.

Médias sociaux mobiles et réussite scolaire

En 2012, s’est entamée au département d’enseignement des arts de l’Université Concordia une vaste étude qualitative sur le potentiel des médias sociaux mobiles à participer au renforcement de la motivation et de la réussite scolaire des jeunes du secondaire. Dirigée par mon directeur de recherche, le professeur Juan Carlos Castro, cette recherche design en éducation nous a amenés à collaborer avec des enseignants de terrain de différents établissements d’enseignement privés et publics.

En développant en collaboration des innovations pédagogiques spécifiquement adaptées aux besoins et aux enjeux de ces milieux, nous avons découvert que les technologies ne représentent pas une fin en elles-mêmes. 

Elles représentent plutôt un moyen pour les jeunes et les enseignants d’acquérir un sentiment d’autonomie, de confiance et donc de contrôle, par rapport à leur parcours personnel, social et éducatif.

En implantant une recherche design où les jeunes sont impliqués dans la réflexion sur le potentiel et la pertinence des innovations pédagogiques employant les médias sociaux mobiles, nous leur donnons des occasions de prendre du recul sur leur utilisation personnelle du numérique. Pour emprunter les termes employés par certains participants en entrevue de recherche, prendre part à de tels travaux « nous permet de développer une approche plus professionnelle des médias numériques ». De tels propos illustrent l’importance pour les milieux scolaires d’être en mesure de concevoir des situations d’analyse de la nature et de la portée des nouveaux systèmes de communication pour leurs élèves.

Lorsque les jeunes n’ont que peu d’occasions de manipuler les technologies à l’école, ce qu’ils manquent vraiment, ce n’est pas l’acquisition de savoirs techniques sur l’utilisation de ces outils, ce sont des opportunités de penser à travers les technologies, de saisir leur impact sur leur développement socioprofessionnel. De tels résultats mettent au défi tout l’argumentaire des « natifs numériques » et mettent en lumière les besoins de ceux que nous devrions plutôt nommer les naïfs du numérique. Les jeunes qui réalisent les apprentissages les plus significatifs par rapport aux nouvelles technologies sont ceux qui ont le plus d’occasions de réflexion et de pratique dans leur école. La recherche design en éducation représente un moyen efficace pour contrer les inégalités de la fracture numérique des milieux scolaires.

Se demander si les téléphones mobiles devraient être interdits ou non en classe est une interrogation non pertinente. Nous devrions plutôt nous demander quelles sont les conditions qui permettent à certains milieux d’offrir à leurs élèves des occasions d’apprentissage au sujet des TIC et, surtout, quelles sont les approches qui profitent au succès des jeunes. L’emploi des périphériques informatiques mobiles à l’école est incontournable et nécessaire. Tous les élèves devraient avoir la chance de s’approprier ces outils de manière constructive dans un environnement supervisé par des professionnels de l’éducation afin de prendre une distance critique face aux potentiels et aux risques qu’ils présentent pour leurs chances futures de réussite scolaire, sociale et professionnelle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.