Hockey Entrevue avec Shayne Corson

« Je m’ennuie encore beaucoup du hockey »

À plusieurs reprises au cours de l’interview, Shayne Corson évoquera le grand trou noir. Ce gouffre dans lequel l’âme plonge parfois et duquel elle ne croit plus pouvoir s’extirper.

« Des idées folles m’ont parfois traversé l’esprit, confie-t-il. Mais je parvenais à me ressaisir et à me dire que la vie valait la peine d’être vécue. Je comprends toutefois certains de mes anciens coéquipiers qui sont passés à l’acte, leurs idées noires, leur désespoir… »

L’ancien enfant terrible du Canadien, aujourd’hui âgé de 49 ans, a connu une retraite difficile, en 2004. Cet ailier de puissance, deuxième compteur du CH en 1990 avec 31 buts et 75 points, dit se sentir mieux depuis quelques années. Mais la guérison a été longue à venir.

« Mes problèmes d’anxiété et de crises de panique ont empiré vers la fin de ma carrière. J’ai raté 12 jours au camp d’entraînement des Maple Leafs à cause de mon anxiété. »

« Je me croyais dur parce que j’étais un hockeyeur, et je tentais de me battre seul. J’en étais à prendre quatre ou cinq tranquillisants par jour et je noyais ça dans l’alcool le soir. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Je pensais mourir. »

— Shayne Corson

Corson s’est finalement résolu à demander de l’aide. « J’aurais dû le faire plus tôt. On ne doit pas avoir honte d’en parler. C’est une maladie. J’ai réalisé que plus j’en parlais, mieux je me sentais. J’ai été suivi par des professionnels de la santé. On ne peut pas s’en sortir seul, sans soins. Je sais qu’encore aujourd’hui, je peux passer un coup de fil si j’en ai besoin. Nous sommes plus nombreux qu’on pense à souffrir de ça. J’ai reçu beaucoup de messages, quand j’ai dévoilé mes troubles d’anxiété. Un agent m’a même mis en relation avec un athlète professionnel qui souffrait du même trouble. Nous avons correspondu pendant quelques années. Comme moi, il avait perdu son père trop tôt. Il semble aller mieux aujourd’hui. »

La souffrance psychologique de Corson ne date pas d’hier. « J’ai toujours été anxieux. Ma mère a eu des épisodes, elle aussi. Je me rappelle avoir dû la reconduire à l’hôpital après une de ses crises de panique. J’avais seulement 15 ans. J’ignorais ce qu’elle avait. Je croyais qu’elle venait de faire une crise cardiaque. »

Corson avait 27 ans lorsque son père, Paul, dont il était très proche, a succombé à un cancer, en 1993. « Je suis rentré des funérailles et j’ai continué à jouer au hockey sans jamais laisser transpirer mes émotions. L’anxiété a décuplé après la mort de mon père. J’aurais dû attaquer le problème à sa source. Je l’ai appris par la suite lors de mes traitements. »

La fin de sa carrière a empiré les choses. « On ressent un immense sentiment de vide. Je jouais depuis mon jeune âge. Même si je me sens mieux depuis quelques années, je m’ennuie encore beaucoup du hockey. Il y a la camaraderie, bien entendu, mais aussi tout l’amour que les fans nous donnent. L’année qui a suivi ma retraite a été très dure. »

Ce premier choix, le huitième au total, du Canadien en 1984 encaisse toujours difficilement la perte d’un ancien confrère. Todd Ewen, Derek Boogaard, Wade Belak, Rick Rypien, Bob Probert et John Kordic sont tous morts prématurément de façon tragique au fil des ans. Corson lui-même s’est battu 239 fois au cours de sa carrière de 18 saisons.

« On soumet notre corps à beaucoup de coups. On a pu observer l’état du cerveau des joueurs qui sont morts. C’est inquiétant. Ils étaient des pacificateurs, appelons les choses par leur nom. Ils faisaient le boulot le plus dur dans la LNH. Psychologiquement, c’est dur d’avoir à se battre match après match et de recevoir tous ces coups à la tête. J’en ai reçu, moi aussi. Mais on vivait notre rêve et si c’était à refaire, je le referais. »

Corson avait du talent et ne manquait pas de courage et de robustesse, mais il n’a pas toujours fait les manchettes pour les bonnes raisons. Il y a eu « l’affaire du lampadaire », en avril 1988, lorsque Chris Chelios, Petr Svoboda et Corson ont violé un couvre-feu en pleines séries éliminatoires, avant d’emboutir un lampadaire en auto au petit matin. En 1992, Corson est impliqué dans une bagarre au Zoo Bar du boulevard Saint-Laurent. Furieux, son entraîneur Pat Burns lancera aux journalistes son fameux « Qu’y mange d’la marde ! ». L’année précédente, il avait été impliqué dans une bagarre à sa sortie d’un bar de Winnipeg, le Marble Club.

« Je me suis mis les pieds dans les plats. Si j’avais pu réaliser à l’époque à quel point les carrières sont courtes. Je venais d’une petite ville, je me retrouvais dans une grande ville, une ville où les tentations sont grandes. J’étais jeune et j’avais de l’argent plein les poches, plus que j’aurais pu rêver d’en avoir. Il y a des fois où je me suis mis dans l’embarras parce que je défendais un coéquipier dans le pétrin, mais j’aurais pu agir plus intelligemment. Faire la fête, mais avec modération. »

Pat Burns a été embauché par Serge Savard en 1988, notamment pour discipliner ses jeunes fêtards. Le Canadien a atteint la finale de la Coupe Stanley cette année-là, mais les Flames de Calgary ont brisé le rêve de Corson, qui allait être échangé quelques années plus tard à Edmonton contre Vincent Damphousse sans jamais gagner la Coupe. Il considère toujours Burns comme son second père.

« Il m’a souvent botté le derrière, et dans un langage parfois cru, mais je le méritais. Il savait aussi me donner une tape d’encouragement quand je le méritais. Il voulait tirer le maximum de moi. J’aurais foncé dans un mur de béton pour lui. Il était passionné et intense. J’adorais jouer pour lui. »

— Shayne Corson

L’ancien coach du Canadien s’est même donné la peine d’écrire au père mourant de Corson. « C’était une longue lettre. Je ne l’oublierai jamais. C’est l’une des choses les plus magnifiques qu’on ait jamais faites pour ma famille. Je ne l’ai jamais oublié et on en parle encore dans ma famille. Paix à son âme. »

Corson a envoyé un message à son ancien entraîneur lorsque celui-ci a à son tour été frappé par la maladie. « Je l’ai aussi appelé. Je voulais lui dire à quel point je lui étais reconnaissant de tout ce qu’il avait fait pour moi. Mon plus grand regret, encore à ce jour, est de ne pas lui avoir rendu visite à la fin de sa vie. J’en ai été incapable. Pat a toujours été fort et en contrôle. J’avais peur de le voir diminué comme j’avais vu mon père diminué. Mais j’aurais dû surmonter ma peur de la maladie et des hôpitaux. Au moins, j’ai pu lui parler. Comme j’ai eu la chance de parler à mon père à la toute fin. J’étais sur la glace à Edmonton quand on m’a rappelé au vestiaire. Mon père était au bout du fil. Je lui ai dit que je l’aimais et il m’a dit qu’il m’aimait lui aussi. Il est mort 15 minutes plus tard… »

Même s’il est éloigné du hockey, Corson, 693 points en 1156 matchs dans la LNH, ne manque pas d’activités. Il gère son restaurant à Toronto, le Tappo Wine and Bar, tente de lancer un projet immobilier à Barrie, sa ville natale, avec son ancien coéquipier et beau-frère Darcy Tucker et multiplie les œuvres caritatives. « J’essaie de m’impliquer le plus possible dans diverses causes. Le cancer est évidemment au cœur de celles-ci, mais la maladie mentale également. Il faut rester occupé. Ces bonnes œuvres nous permettent aussi de revoir d’anciens coéquipiers. J’ai hâte de pouvoir jouer à nouveau, quand ma hanche sera reconstruite. »

Corson ne détesterait pas non plus retrouver le monde du hockey. « Contribuer à bâtir un club gagnant, peu importe le rôle, ce serait intéressant. Je m’en sens capable, maintenant que je suis en santé et guéri de mes crises d’anxiété. Je devrais probablement commencer au bas de l’échelle, mais je serais prêt à le faire. »

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