LANGUES

L’anglais très attrayant pour les allophones

Lorsqu’ils ont le choix entre le français et l’anglais, dans quelle langue les Montréalais préfèrent-ils se faire servir ?

Pour les deux tiers d’entre eux, c’est le français, même si cette langue est la langue maternelle de moins de la moitié de la population. Une bonne nouvelle… assombrie par le fait que l’anglais, compte tenu de son poids démographique, exerce une force d’attraction deux fois plus forte que le français auprès des allophones.

C’est le constat qui se dégage de données inédites obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information auprès de deux agences gouvernementales, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et Revenu Québec. Ces deux entités ont comptabilisé, à notre demande, la proportion des citoyens qui choisissent de communiquer avec elles dans l’une ou l’autre des deux langues officielles canadiennes.

Quand les citoyens communiquent avec l’État pour obtenir une carte d’assurance maladie ou pour remplir une déclaration de revenus, ils peuvent correspondre en français ou en anglais. Ce choix, bien qu’il relève de la sphère publique, puisqu’il s’agit d’une communication avec l’État, reflète également la préférence des Québécois et des Montréalais dans la sphère privée lorsqu’ils ne peuvent opter pour une autre langue.

Ainsi, les résultats révèlent que les allophones (22 % des Montréalais en 2011) sont un peu plus nombreux à préférer le français à l’anglais, bien que l’attraction de cette dernière langue soit très forte.

FRANÇAIS 

65 % des contribuables montréalais communiquant en français avec Revenu Québec 

-

53 % des Montréalais parlant français à la maison 

12 % de Montréalais communiquant en français avec Revenu Québec tout en parlant une autre langue à la maison

ANGLAIS 

35 % des contribuables montréalais communiquant en anglais avec Revenu Québec 

-

25 % des Montréalais parlant anglais à la maison 

10 % de Montréalais communiquant en anglais avec RQ tout en parlant une autre langue à la maison

« Je ne vois rien de réjouissant à voir que seulement 65 % des Montréalais communiquent en français avec Revenu Québec », observe Marc Termote, professeur au département de démographie de l’Université de Montréal et auteur de nombreuses recherches sur la situation du français à Montréal.

En calculant la proportion d’allophones qui se tournent vers l’une des deux langues officielles, M. Termote fait valoir qu’ils devraient normalement être plus nombreux à choisir le français. « Les allophones de l’île de Montréal choisissent quasiment à parts égales l’anglais et le français, alors que le poids démographique des francophones est le double de celui des anglophones – 53,0 % contre 25,3 % », dit-il. « La force d’attraction de l’anglais est deux fois plus élevée que celle du français. »

Quelle pourrait être la tendance pour l’avenir ? Difficile de le prévoir, note M. Termote. « Le problème avec les données pour la langue d’usage public, c’est qu’elles sont récentes et qu’on n’a pas les tendances », dit le démographe, en rappelant que les données sur la langue de travail ne sont colligées que depuis 2001. « C’est un peu risqué d’établir des tendances sur 10 ans. » En 2001, sur l’île de Montréal, les travailleurs disaient utiliser surtout le français dans une proportion de 66%. Dix ans plus tard, ils étaient 64%.

Le sociologue Simon Langlois, de l’Université Laval, remarque aussi qu’une proportion importante d’allophones ont choisi de communiquer en anglais. « La connaissance du français ne serait pas le facteur explicatif, puisqu’une forte proportion de Montréalais disent connaître le français ou être en mesure de soutenir une conversation dans cette langue. » En 2011, 85 % des Montréalais disaient pouvoir soutenir une conversation en français.

L’explication se trouve probablement du côté de la langue du travail, dit-il. En effet, les proportions dans lesquelles les contribuables correspondent avec Revenu Québec en français et en anglais sont les mêmes que celles de la langue du travail.

« Le gouvernement québécois est placé devant un dilemme, dit Simon Langlois. D’un côté, il entend offrir des services en anglais à l’importante minorité linguistique anglophone, au nom du respect de leurs droits, mais ce faisant, il se trouve aussi à envoyer le message aux nouveaux arrivants qui travaillent en anglais à Montréal et vivent en anglais dans certains quartiers qu’ils peuvent aussi communiquer avec l’État dans cette langue. Ce qui ne favorise pas leur intégration à la majorité francophone. »

— Avec Serge Laplante, La Presse

Le français sous surveillance

Conformément à la Charte québécoise de la langue française, l’Office québécois de la langue française (OQLF) doit remettre, « au moins tous les cinq ans », un rapport sur l’évolution de la situation linguistique. Le dernier rapport remonte à 2012 et il portait sur la langue au travail. En 2011, dans une projection sur 20 ans, l’OQLF prévoyait que les groupes de langue maternelle française et anglaise connaîtraient une baisse au profit des allophones. Selon le scénario étudié, les allophones supplanteraient les anglophones dès 2016, tandis que les Montréalais de langue maternelle française formeraient 47 % de la population en 2031 (ils étaient 49 % en 2011). Un nouveau rapport sera publié d'ici la fin de l'année, a indiqué l'OQLF à La Presse.

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