OPINION HÔPITAL SAINTE-JUSTINE

Le médecin pédiatre Jean-François Chicoine rappelle les origines de la célèbre institution montréalaise au moment où cette dernière est, selon lui, menacée par sa fusion avec le CHUM.

Opinion : Hôpital Sainte-Justine

Justine Lacoste-Beaubien

Justine Lacoste-Beaubien naît dans la rue Saint-Hubert dans une famille petite-bourgeoise bien ancrée dans la société montréalaise. 

Son père, Alexandre Lacoste, est un brillant magistrat qui deviendra sénateur. Sa mère, Marie-Louise Globensky, gardienne des valeurs morales comme les femmes de son rang à l’époque, ne se contente pas d’un rôle social étriqué, elle initie ses filles, dont la petite Justine, à ses actions bénévoles, les mourants à l’hôpital Notre-Dame autant que les orphelins de la crèche de la Miséricorde. 

Justine Lacoste se cultive, voyage déjà en Europe, survit aux mondanités et épouse, en 1899, le fortuné Louis de Gaspé Beaubien, avocat, avec qui, à son grand désespoir, elle n’avait toujours pas d’enfants quand vient l’éblouir de 1000 enfants potentiels, et plus, la Dre Irma Levasseur.

Son cœur, son esprit, comme son ventre, étaient disponibles en quelque sorte. À partir de cet instant, tout ce que Justine Lacoste-Beaubien possède, ainsi que la fortune, et le réseau de son mari, seront essentiellement consacrés aux enfants.

Mon père pédiatre, Luc Chicoine, qu’elle chouchoutait, vouait à Mme Beaubien une incommensurable dévotion. Lui et d’autres internes sainte-justiniens lui devaient leur formation pédiatrique aux États-Unis grâce à un plan élaboré par la visionnaire pour sortir les Canadiens français de l’ignorance et faire de son hôpital l’un des meilleurs du monde.

La vraie sainte, répétait mon père, ce n’est pas celle qui s’est malencontreusement retrouvée sur le chemin d’un Romain, c’était sa Justine à lui.

Contrairement à ce que voudrait la rumeur, la mémoire de Justine Lacoste-Beaubien n’est actuellement pas plus en vedette à Sainte-Justine que celle d’Irma Levasseur. Il en va du patrimoine religieux comme des assises de nos plus brillantes institutions : l’amnésie n’est pas personnalisée, elle est systémique. La guerre n’est pas civile, elle est de civilisation.

Le médaillon sculptural représentant Mme Lacoste-Beaubien est au garde-meuble. Les inscriptions fondatrices gravées dans la pierre pour souligner le grand déménagement sur la Côte-Sainte-Catherine en 1957 ont été sacrifiées pour permettre l’installation d’une porte tournante. En circulant devant le CHU Sainte-Justine, vous croisez des inscriptions : c’est le nom des donateurs. Vous ne trouverez pas celui des cofondatrices, ni celui d’Irma, ni celui de Justine, ni même celui des autres valeureux bâtisseurs de l’institution.

Des administrateurs sensibilisés par les descendances des femmes oubliées ont été interpellés par ces manquements déstructurants et se promettent maintenant de raviver l’identité de l’institution.

Ni Irma ni Justine : le risque, c’est l’anomie, terrain suffisamment vague pour achever de fusionner Sainte-Justine au monde des grands.

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