Stratégies Commerce de détail

L’avantage de la concentration

Même les clients les plus fidèles de Yellow ne savent pas nécessairement qu’il s’agit d’une entreprise québécoise. Peut-être à cause de son nom en anglais. Peut-être à cause de sa grande discrétion dans l’espace public. Un peu des deux ?

Qu’importe, le détaillant aimerait visiblement que ça change.

De fait, son plus récent catalogue se présente comme une « Édition spéciale 100 ans de style ». On peut aussi y lire que Yellow est « une entreprise fièrement québécoise ».

La firme de relations publiques National a été embauchée pour « organiser les activités du centenaire ». Et, tout aussi étonnant, son propriétaire et président des 22 dernières années, Douglas Avrith, a souhaité nous rencontrer. Auparavant, il n’avait accordé qu’une seule entrevue en carrière.

SECRETS DE LONGÉVITÉ

D’entrée de jeu, l’homme d’affaires nous révèle la « clé de son succès ».

« Nous nous sommes consacrés à un type de client, qu’on connaît très bien. On achète et on fabrique notre marchandise pour ce client, pas pour un client global. C’est l’avantage d’être présent dans une seule province. »

— Douglas Avrith, propriétaire et président de Yellow

Parmi ses 98 magasins (Yellow et Cité, qui offrent la même marchandise), un seul est situé hors Québec (au Nouveau-Brunswick).

« Nous n’avons pas l’ambition d’être national », ajoute Douglas Avrith. À son avis, « il n’y a pas nécessairement d’avantages à être grand. […] Notre profitabilité est meilleure que celle des grandes chaînes ».

La stratégie de concentration n’est pas que géographique. Depuis toujours, Yellow cible les mères et jeunes femmes francophones « pure laine », dans des villes comme La Tuque, Alma et Rimouski. Plus de 90 % de sa clientèle est issue de cette population. Une telle homogénéité dans les goûts facilite la gestion de l’offre.

D’ailleurs, Yellow s’est inventé deux égéries : Noémie Beaulieu, une étudiante de 21 ans qui « se fiche des marques », mais « qui a la mode à cœur ». Et Julie Tremblay, 35 ans, qui travaille à Hydro-Québec et fait les achats pour toute sa famille. Toutes les décisions sont prises en fonction de ces clientes virtuelles.

Résultat, environ 80 ou 85 % de la marchandise est vendue à prix régulier, une statistique dont son président est très fier, puisque les soldes sont « le plus grand coût pour un détaillant. » Atteindre « 60-70 %, c’est déjà énorme ».

MISSION MOITIÉ PRIX

La longévité de Yellow est aussi une question de positionnement dans le marché et de stratégies de fabrication, croit Douglas Avrith. Sa mission, dit-il, est de vendre la même marchandise que les autres détaillants, à la moitié du prix.

Pour y parvenir, ses chaussures sont fabriquées dans les mêmes usines que les grandes marques, pendant leurs périodes creuses. Cela complique la gestion des approvisionnements en raccourcissant les délais, mais permet à Yellow d’obtenir de bons prix et une bonne qualité, explique l’homme d’affaires.

Si Yellow arrive à vendre ses bottillons 60 $ et ses escarpins 40 $, c’est aussi parce qu’ils ne sont généralement pas en cuir véritable. Son président ne le nie pas, mais explique que les matières synthétiques se sont tellement améliorées, qu’elles respirent désormais comme le cuir. « C’est quoi, l’avantage d’acheter du cuir ? », demande-t-il, soulignant au passage que ses clients « ne voient pas la différence ».

EN LIGNE ET EXPRESS

S’il y a des choses qui ne changent pas chez Yellow, d’autres évoluent.

Le détaillant s’est doté d’un site transactionnel en mars dernier. Et à l’automne, l’entreprise deviendra omnicanal. Les commandes ne seront alors plus traitées à l’entrepôt du Mile End mais en magasin, « puisque c’est là que les stocks se trouvent ».

Jusqu’ici, la réponse des consommateurs dépasse largement les attentes. La veille de notre entretien, 400 commandes avaient été reçues. Règle générale, il y en a au moins une centaine. Douglas Avrith prévoit que le web fera augmenter ses ventes de 20 % d’ici un an.

De plus, un nouveau concept appelé Yellow Express vient d’ouvrir ses portes. Ces petites boutiques (900 pi2 plutôt que 5000) sont équipées d’un stand qui permet aux clients d’acheter en ligne, puisque tous les modèles n’y sont pas exposés. Les locaux en question ont été loués pour un an. Douglas Avrith a tenté cette expérience parce que les prix des loyers étaient « magiques ».

L’ouverture d’autres magasins Express n’est pas prévue, mais pas impossible. « Si on m’offre 10 locaux à prix fabuleux dans des centres de catégorie B parce qu’Aldo est parti, je vais y aller. » Il affirme tout de même « ne pas être sûr à 100 % de vouloir être pris dans une boîte où l’achalandage n’est pas très haut et la plupart des mails en ont, des problèmes d’achalandage ». Il préfère, et de loin, augmenter la productivité de ses magasins existants.

FORCES

• « Excellentes ententes » avec des usines en Asie « de grade A qui travaillent avec les grandes marques » et qui assurent à Yellow un approvisionnement stable à prix compétitifs ;

• De tous les détaillants de chaussures au Québec, Yellow est celui qui obtient le plus fort pourcentage de fréquentation (selon une étude d’EspaceM) ;

• Plus de 80 % des ventes réalisées à prix régulier.

FAIBLESSES

• Très faible taux de pénétration chez les anglophones et allophones ;

• L’entreprise arrive à un moment charnière puisqu’elle devra changer de propriétaire et de dirigeants dans maximum 10 ans.

QUELQUES CHIFFRES

— Superficie moyenne des magasins : 5000 pi2

— Ventes annuelles : confidentielles (en progression)

— Proportion de l’achalandage qui achète (taux de conversion) : 24 %

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