QUÉBEC — Empêtré dans la controverse, en conflit avec Philippe Couillard, le ministre Jacques Daoust jette l’éponge et tire un trait sur la vie politique.
Le premier ministre annoncera aujourd’hui des « ajustements » à son Conseil des ministres avec la démission du titulaire des Transports. Il devra également déclencher une élection partielle dans le bastion libéral de Verdun, une quatrième circonscription à se retrouver orpheline.
Jacques Daoust a annoncé son départ hier, quelques heures après que le premier ministre eut refusé de lui réitérer sa confiance. Lors d’une mêlée de presse, Philippe Couillard le sommait alors d’apporter des « réponses sérieuses très rapidement » sur son rôle entourant la liquidation des actions d’Investissement Québec dans Rona à la fin de 2014. Le dévoilement d’un échange de courriels survenu à l’époque entre la direction d’IQ et le cabinet du ministre Daoust est la goutte qui a fait déborder le vase.
Depuis le début de la controverse en juin, Jacques Daoust, ministre de l’Économie au moment des faits, maintient qu’il n’avait pas donné le feu vert à cette liquidation et que, du reste, il n’avait pas été informé de la transaction menée par IQ.
Il persiste et signe dans le communiqué qu’il a envoyé hier : « Force est de constater que, bien que je n’aie quoi que ce soit à me reprocher et que j’aie toujours dit la stricte vérité, le dossier concernant les actions de Rona est devenu une distraction qui porte ombrage à la réalisation du plan de notre gouvernement. J’ai donc contacté le premier ministre pour lui annoncer que je me retire de mes fonctions de député de Verdun et de ministre des Transports. »
L’échange de courriels, dévoilé par TVA jeudi, montre que le chef de cabinet de M. Daoust à l’époque, Pierre Ouellet, a autorisé la vente des avoirs d’IQ dans le géant québécois de la quincaillerie. Rappelons que Rona est passé entre les mains du détaillant américain Lowe’s en février dernier.
Pour la Coalition avenir Québec et le Parti québécois, il est clair que M. Ouellet a obtenu l’accord de son ministre pour autoriser la transaction et que M. Daoust ment depuis le début. Les deux partis réclamaient la tête du ministre.
Jusqu’à hier, Philippe Couillard ne voyait aucune raison de mettre la parole de son ministre en doute. « Notre collègue [Jacques Daoust] s’est exprimé à plusieurs reprises sur le fait qu’il n’avait pas été consulté sur cette vente d’actions. Et je crois qu’on doit prendre la parole d’un membre de l’Assemblée nationale dans cette Assemblée », disait-il en juin dernier, au Salon bleu.
Or il a tenu un tout autre discours, hier. « Avez-vous encore confiance en Jacques Daoust, est-ce que vous le croyez ? », lui a-t-on demandé lors d’une mêlée de presse à Saint-Félicien. « Des questions sérieuses sont déposées. Elles sont importantes pour moi. Elles devront avoir des réponses très rapidement », a-t-il répondu.
Il a pris connaissance « récemment » de l’échange de courriels.
« Depuis le début, j’ai parlé de choses qu’il fallait clarifier, de contradictions à résoudre. Les nouvelles informations que l’on voit soulèvent des questions sérieuses auxquelles je veux qu’il y ait des réponses sérieuses, et rapidement. »
— Le premier ministre Philippe Couillard
Peu de temps après, un Jacques Daoust furieux s’est confié à des proches. Il a confirmé son départ à avant d’expédier son communiqué. « Je n’ai pas menti là-dedans. Je n’ai jamais menti. Je suis prêt à quitter pour prouver ma version », a-t-il soutenu.
La vente de Rona n’est toutefois pas la seule affaire qui a mis Jacques Daoust sur la sellette au cours des derniers mois. La gestion d’irrégularités au ministère des Transports ce printemps en est une autre. Et il y a aussi le dossier Uber. Dans ce cas, MM. Daoust et Couillard ont eu un accrochage sur le sujet. Ils ne s’entendaient pas sur la solution à apporter.
Il reste qu’avec la démission de Jacques Daoust, Philippe Couillard perd l’un des membres du « trio économique » qu’il avait présenté en grande pompe lors de la campagne électorale.
Les conjectures vont bon train sur le remaniement à venir aujourd’hui. Robert Poëti n’a jamais accepté d’être évincé du Conseil des ministres. C’est lui qui, à la tête des Transports, avait embauché une vérificatrice externe, Annie Trudel, à l’origine de la découverte d’une série d’irrégularités que le Ministère cherchait à camoufler. Mais depuis que cette histoire a éclaté au grand jour, le cabinet du premier ministre a placé M. Poëti sous surveillance. Le député doit obtenir une autorisation avant de pouvoir accorder une entrevue à un média, comme a pu le constater dans les dernières semaines. Une seule exception : lorsque les questions concernent un enjeu local, propre à sa circonscription de Marguerite-Bourgeoys.
Un autre nom circule, celui de Pierre Moreau. Il a dû quitter ses fonctions de ministre de l’Éducation en février à cause de graves problèmes de santé. Philippe Couillard soulignait en juin que M. Moreau « va mieux » et « prend de la force ».
« On espère tous le revoir parmi nous. Mais ce sera à lui de décider, lorsqu’il se sent capable de le faire. »
— Le premier ministre Philippe Couillard
S’il est remis sur pied, Pierre Moreau constitue une valeur sûre pour Philippe Couillard. Il a déjà été ministre des Transports, pendant un an, à la fin du règne de Jean Charest.
Le premier ministre doit également statuer sur le sort de Sam Hamad une fois pour toutes. Il avait précisé que son retrait du cabinet ministériel était « temporaire », le temps de faire la lumière sur l’attribution en 2012 d’une subvention à l’entreprise Premier Tech, dont le vice-président était l’ancien ministre libéral Marc-Yvan Côté. Le Commissaire à l’éthique a conclu en juin que M. Hamad « a été plus qu’imprudent » dans le dossier, mais il ne l’a pas sanctionné. Le maire Régis Labeaume réclame depuis le retour au Saint des Saints du député de Louis-Hébert, longtemps responsable de la région de la Capitale-Nationale au Conseil des ministres. Philippe Couillard prenait la défense de Sam Hamad en juin. « Le rapport ne fait part d’aucun blâme, d’aucune sanction […]. La question de la prudence reste d’actualité, mais il faut la mettre dans la balance avec les qualités de l’individu, et on me donne beaucoup de signes de l’appréciation du travail qu’il fait, en particulier dans la région de la Capitale-Nationale. »
Il ne faut toutefois pas s’attendre à ce que le premier ministre rebrasse complètement les cartes. La convocation envoyée aux médias parle d’« ajustements » à la composition du Conseil des ministres.