L’affaire Rona en trois épisodes

Daoust au conseil

Un procès-verbal de la réunion du conseil d’administration d’IQ du 17 novembre 2014, révélé par le PQ, stipule que les administrateurs ont autorisé la société d’État à « disposer des autres actions de Rona qu’elle détient sous réserve d’une consultation préalable auprès du ministre responsable de la Société ». On y précise que le ministre Daoust s’était joint au conseil ce jour-là. Dans le procès-verbal de la réunion suivante, le 15 décembre, on indique que le président par intérim, Yves Lafrance, « fait état de l’accord donné par le ministre responsable de la Société à la vente de la totalité des actions de Rona détenues par la Société ».

L’affaire Rona en trois épisodes

« OK » POUR LA VENTE

Un échange de courriels, obtenu par TVA, alimente la controverse. Le 26 novembre 2014, le vice-président principal d’IQ, Yves Lafrance, demande au chef de cabinet de M. Daoust, Pierre Ouellet, de « confirmer par retour de courriel que le [Ministère] est en en accord avec cette vente » des actions de Rona. La réponse vient un peu plus de deux heures plus tard. « OK », écrit M. Ouellet. Le 2 juin, comme le rapportait La Presse, M. Daoust assurait pourtant que ni lui ni son chef de cabinet n’avaient été mis dans le coup. Il soutenait même qu’il aurait été réticent à vendre les actions de Rona à ce moment-là, puisque le risque d’une prise de contrôle hostile n’avait pas disparu.

L’affaire Rona en trois épisodes

QUÉBEC CONSULTÉ

En juin, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, révèle que les membres d’Investissement Québec (IQ) « ne considéraient pas avoir toute la latitude pour autoriser la vente sans avoir consulté le gouvernement » et qu’ils « ont obtenu en décembre 2014 l’accord du ministre avant de vendre la totalité des actions » de Rona détenues par IQ. Ces actions valaient 11 millions de dollars.

Démission du ministre Jacques Daoust

QUATRE CAMPAGNES ÉLECTORALES À VENIR

Jacques Daoust devient le 12e député à démissionner en cours de mandat depuis les élections générales d’avril 2014. Il force donc la tenue d’un scrutin dans Verdun, bastion libéral. Trois autres circonscriptions sont vacantes après les départs de Pierre Karl Péladeau en mai (Saint-Jérôme) puis de Bernard Drainville en juin (Marie-Victorin), et la mort de Sylvie Roy le 31 juillet (Arthabaska). Le gouvernement a l’habitude de déclencher au même moment des élections partielles lorsque plusieurs circonscriptions sont orphelines. Les scrutins auront lieu de toute évidence cet automne. Le chef péquiste Pierre Karl Péladeau a quitté la vie politique le 2 mai, et le gouvernement doit déclencher l’élection dans un délai maximal de six mois. Ce qui veut dire un déclenchement au plus tard le 2 novembre.

Démission du ministre Jacques Daoust

QUI EST JACQUES DAOUST ?

68 ans

Élu député libéral de Verdun pour la première fois aux élections d’avril 2014

Ministre des Transports depuis le 28 janvier dernier

Ministre de l’Économie d’avril 2014 à janvier 2016

Président et chef de la direction d’Investissement Québec de 2006 à 2013

Membre de la direction de la Banque Laurentienne (1998-2005) et de la Banque Nationale (1986-1998)

Détenteur d’une maîtrise en administration des affaires de l’Université Laval

Démission de Jacques Daoust

Des « ajustements » au cabinet Couillard

QUÉBEC — Empêtré dans la controverse, en conflit avec Philippe Couillard, le ministre Jacques Daoust jette l’éponge et tire un trait sur la vie politique.

Le premier ministre annoncera aujourd’hui des « ajustements » à son Conseil des ministres avec la démission du titulaire des Transports. Il devra également déclencher une élection partielle dans le bastion libéral de Verdun, une quatrième circonscription à se retrouver orpheline.

Jacques Daoust a annoncé son départ hier, quelques heures après que le premier ministre eut refusé de lui réitérer sa confiance. Lors d’une mêlée de presse, Philippe Couillard le sommait alors d’apporter des « réponses sérieuses très rapidement » sur son rôle entourant la liquidation des actions d’Investissement Québec dans Rona à la fin de 2014. Le dévoilement d’un échange de courriels survenu à l’époque entre la direction d’IQ et le cabinet du ministre Daoust est la goutte qui a fait déborder le vase.

Depuis le début de la controverse en juin, Jacques Daoust, ministre de l’Économie au moment des faits, maintient qu’il n’avait pas donné le feu vert à cette liquidation et que, du reste, il n’avait pas été informé de la transaction menée par IQ. 

Il persiste et signe dans le communiqué qu’il a envoyé hier : « Force est de constater que, bien que je n’aie quoi que ce soit à me reprocher et que j’aie toujours dit la stricte vérité, le dossier concernant les actions de Rona est devenu une distraction qui porte ombrage à la réalisation du plan de notre gouvernement. J’ai donc contacté le premier ministre pour lui annoncer que je me retire de mes fonctions de député de Verdun et de ministre des Transports. »

L’échange de courriels, dévoilé par TVA jeudi, montre que le chef de cabinet de M. Daoust à l’époque, Pierre Ouellet, a autorisé la vente des avoirs d’IQ dans le géant québécois de la quincaillerie. Rappelons que Rona est passé entre les mains du détaillant américain Lowe’s en février dernier.

VERSIONS DIVERGENTES

Pour la Coalition avenir Québec et le Parti québécois, il est clair que M. Ouellet a obtenu l’accord de son ministre pour autoriser la transaction et que M. Daoust ment depuis le début. Les deux partis réclamaient la tête du ministre.

Jusqu’à hier, Philippe Couillard ne voyait aucune raison de mettre la parole de son ministre en doute. « Notre collègue [Jacques Daoust] s’est exprimé à plusieurs reprises sur le fait qu’il n’avait pas été consulté sur cette vente d’actions. Et je crois qu’on doit prendre la parole d’un membre de l’Assemblée nationale dans cette Assemblée », disait-il en juin dernier, au Salon bleu.

Or il a tenu un tout autre discours, hier. « Avez-vous encore confiance en Jacques Daoust, est-ce que vous le croyez ? », lui a-t-on demandé lors d’une mêlée de presse à Saint-Félicien. « Des questions sérieuses sont déposées. Elles sont importantes pour moi. Elles devront avoir des réponses très rapidement », a-t-il répondu.

Il a pris connaissance « récemment » de l’échange de courriels. 

« Depuis le début, j’ai parlé de choses qu’il fallait clarifier, de contradictions à résoudre. Les nouvelles informations que l’on voit soulèvent des questions sérieuses auxquelles je veux qu’il y ait des réponses sérieuses, et rapidement. »

— Le premier ministre Philippe Couillard

Peu de temps après, un Jacques Daoust furieux s’est confié à des proches. Il a confirmé son départ à La Presse avant d’expédier son communiqué. « Je n’ai pas menti là-dedans. Je n’ai jamais menti. Je suis prêt à quitter pour prouver ma version », a-t-il soutenu.

La vente de Rona n’est toutefois pas la seule affaire qui a mis Jacques Daoust sur la sellette au cours des derniers mois. La gestion d’irrégularités au ministère des Transports ce printemps en est une autre. Et il y a aussi le dossier Uber. Dans ce cas, MM. Daoust et Couillard ont eu un accrochage sur le sujet. Ils ne s’entendaient pas sur la solution à apporter.

REMANIEMENT À VENIR

Il reste qu’avec la démission de Jacques Daoust, Philippe Couillard perd l’un des membres du « trio économique » qu’il avait présenté en grande pompe lors de la campagne électorale.

Les conjectures vont bon train sur le remaniement à venir aujourd’hui. Robert Poëti n’a jamais accepté d’être évincé du Conseil des ministres. C’est lui qui, à la tête des Transports, avait embauché une vérificatrice externe, Annie Trudel, à l’origine de la découverte d’une série d’irrégularités que le Ministère cherchait à camoufler. Mais depuis que cette histoire a éclaté au grand jour, le cabinet du premier ministre a placé M. Poëti sous surveillance. Le député doit obtenir une autorisation avant de pouvoir accorder une entrevue à un média, comme a pu le constater La Presse dans les dernières semaines. Une seule exception : lorsque les questions concernent un enjeu local, propre à sa circonscription de Marguerite-Bourgeoys.

Un autre nom circule, celui de Pierre Moreau. Il a dû quitter ses fonctions de ministre de l’Éducation en février à cause de graves problèmes de santé. Philippe Couillard soulignait en juin que M. Moreau « va mieux » et « prend de la force ». 

« On espère tous le revoir parmi nous. Mais ce sera à lui de décider, lorsqu’il se sent capable de le faire. »

— Le premier ministre Philippe Couillard

S’il est remis sur pied, Pierre Moreau constitue une valeur sûre pour Philippe Couillard. Il a déjà été ministre des Transports, pendant un an, à la fin du règne de Jean Charest.

Le premier ministre doit également statuer sur le sort de Sam Hamad une fois pour toutes. Il avait précisé que son retrait du cabinet ministériel était « temporaire », le temps de faire la lumière sur l’attribution en 2012 d’une subvention à l’entreprise Premier Tech, dont le vice-président était l’ancien ministre libéral Marc-Yvan Côté. Le Commissaire à l’éthique a conclu en juin que M. Hamad « a été plus qu’imprudent » dans le dossier, mais il ne l’a pas sanctionné. Le maire Régis Labeaume réclame depuis le retour au Saint des Saints du député de Louis-Hébert, longtemps responsable de la région de la Capitale-Nationale au Conseil des ministres. Philippe Couillard prenait la défense de Sam Hamad en juin. « Le rapport ne fait part d’aucun blâme, d’aucune sanction […]. La question de la prudence reste d’actualité, mais il faut la mettre dans la balance avec les qualités de l’individu, et on me donne beaucoup de signes de l’appréciation du travail qu’il fait, en particulier dans la région de la Capitale-Nationale. »

Il ne faut toutefois pas s’attendre à ce que le premier ministre rebrasse complètement les cartes. La convocation envoyée aux médias parle d’« ajustements » à la composition du Conseil des ministres.

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