Opinion : Élèves handicapés ou en difficulté

Il est temps que les mentalités évoluent

À la veille de la campagne électorale, et au lendemain de ma démission comme commissaire scolaire je prends la plume, à la suite de plusieurs autres, pour partager mon expérience d’élu scolaire. Depuis plusieurs mois, avec d’autres collègues, nous avons tenté, en vain, d’amener la discussion sur certains enjeux criants pour les élèves handicapés ou élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) : l’éducation inclusive, le classement, l’établissement des plans d’intervention, les transferts administratifs, l’organisation scolaire, etc.

Je suis profondément convaincu que notre système d’éducation sacrifie une bonne proportion de ses élèves HDAA en ne mettant pas en place la flexibilité nécessaire pour eux dans l’organisation des services, qui relève pourtant des commissions scolaires. On ne peut prétendre que les écarts faramineux de réussite entre les classes à vocation particulière, les régulières, puis les classes spécialisées tiennent du hasard.

Quel message envoie notre ministère de l’Éducation aux jeunes dont il a la responsabilité quand il tolère que l’on sépare des enfants sur la base de leur handicap ?

Qu’il y a des conditions sous lesquelles la discrimination est acceptable ? Qu’on peut mettre à l’écart des citoyens qui ne seront pas capables de se défendre ? Qu’en attendant de se faire prendre, on économise sur le dos des plus vulnérables ?

Il y a deux notions à distinguer ici, et qui se confondent parfois : les pratiques discriminatoires envers les EHDAA (dont le classement), et l’éducation inclusive. 

La seconde peut provoquer des discussions philosophiques enflammées, et diverses positions sont valides et légitimes pour mettre fin aux dysfonctionnements du modèle d’intégration, notamment quant au nombre d’enfants qu’il est possible d’intégrer en classe ordinaire.

Quant à la première, il est complètement amoral de se borner à ne pas respecter le droit à l’égalité prévu à l’article 10 de la Charte québécoise. Celui-ci a été maintes fois confirmé par les tribunaux, en matière scolaire, quant aux modalités et conditions en ce qui concerne le classement, l’évaluation des besoins et capacités de l’élève, et le plan d’intervention. Des commissions scolaires ont déjà été condamnées, car elles n’avaient pas respecté leurs obligations d’accommodements raisonnables en n’ayant pas essayé toutes les adaptations possibles et consigné celles-ci au plan d’intervention, avant de classer l’élève dans une classe spécialisée.

Il est temps que les mentalités évoluent dans notre société. Cela passe nécessairement par l’éducation de nos jeunes. L’école a ce rôle privilégié qu’aucune autre institution publique n’a. En effet, elle peut agir pour le bien-être de ses utilisateurs, mais également former leurs façons de penser. Elle devrait être la première à se transformer, mais elle est en voie d’être la dernière.

Un système à trois vitesses

Dans notre système à trois vitesses, les vocations particulières sont beaucoup plus proches du privé que du public régulier. Il est déplorable de voir que même notre ministère de l’Éducation ne propose rien pour la mise en place de l’éducation inclusive. On est loin du Nouveau-Brunswick.

Lorsque je l’ai personnellement questionné sur ses intentions en ce sens, la seule réponse de M. Proulx a été : « Ils sont juste 100 000 [élèves], eux autres. » Pourtant, le nombre d’élèves joue peu sur la difficulté des changements administratifs nécessaires. C’est la volonté qui est comptée. D’autant plus que l’inclusion scolaire est moins coûteuse en fonds publics, selon la Banque mondiale.

Malgré tout, on pourrait à tout le moins régler rapidement de façon temporaire le problème de la discrimination systémique. Comme l'a rappelé Philippe-André Tessier, président par intérim de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : « Si l’ensemble du réseau scolaire paie le prix d’une organisation qui n’est pas en mesure de garantir le respect des droits des élèves HDAA, ce sont les jeunes eux-mêmes qui en paient finalement le plus grand prix. »

Comment espérer un changement politique quand, en plus du désintérêt du ministre, les commissaires scolaires délaissent aux technocrates l’analyse politique des projets ? Ce n’est pas le mandat d’une administration publique !

En plus d’être politiquement interpellé, je suis personnellement concerné comme parent par la situation. D’où notre décision difficile de nous exiler au Nouveau-Brunswick pour éviter cette discrimination à nos enfants. Je ne compte pas abandonner pour autant, car j’entreprendrai bientôt un doctorat sur l’inclusion scolaire. Je rêve toujours de revenir vivre dans un Québec inclusif !

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