Actualités 

De feu et de glace

« C’est l’adrénaline qui nous tient. » La Presse a passé hier une journée dans le froid polaire avec les pompiers de Laval. 

actualités

« On se bat chaque seconde »

« C’est l’adrénaline qui nous tient. » Un froid sibérien sévissait hier sur Laval. Le pompier Marc Bazinet allait cumuler 48 heures de travail. « On récupérera plus tard. » Derrière lui et ses camarades, les flammes malmenaient une bâtisse commerciale depuis bientôt 12 heures. L’humeur de Dame nature n’allait pas refroidir leur ardeur à combattre le brasier.

Environnement Canada lançait tout juste son alerte de « froid extrême » quand La Presse est arrivée au 275, boulevard Saint-Elzéar Ouest, à Laval, peu avant 16 h. Les pompiers du Service de sécurité incendie de la Ville de Laval se démenaient pour éteindre un incendie majeur depuis 6 h 40, le matin. Le froid était saisissant et les forts vents qui s’en mêlaient ne facilitaient en rien leur travail.

« Tout gèle. Le personnel a froid. Les équipements, les tuyaux gèlent. » À l’intérieur d’un motorisé, qui fait office de « poste de commandement », le chef de division aux opérations, Sylvain Gariépy, s’apprête à tenir sa quatrième « rencontre de coordination » avec les services municipaux, les autorités policières de Laval et les services d’urgence.

« La priorité, c’est la sécurité », lance-t-il, en faisant le point avec chaque intervenant. Les cellulaires ne dérougissent pas dans la petite pièce centrale du véhicule. 

« On analyse le risque et ce qui se passe pour mettre nos efforts à la bonne place. Un incendie comme ça, on sait que ça va être un travail de longue haleine, que ça va solliciter plusieurs services. »

— Sylvain Gariépy, chef de division aux opérations

Le feu a éclaté dans un centre de gestion de matières résiduelles du parc industriel. Plus de 350 travailleurs des environs ont été évacués, ainsi que les résidants de quelques maisons non loin de là. « T’as une colonne de fumée, une structure en acier immense. Ça sent le diable, t’as du vent, ça active l’incendie, ça propage la fumée encore plus loin », illustre M. Gariépy.

L’alarme a sonné vingt minutes avant la fin du quart de nuit. « On a dit : tout le monde reste, personne ne part », raconte le chef Gariépy. Plus d’une centaine de pompiers ont été déployés pour arriver à contenir le brasier. Le froid complique la tâche. Les pompiers doivent se relayer toutes les demi-heures pour éviter les engelures, les blessures et la fatigue.

« On se bat chaque seconde, il faut faire vite parce que tout gèle », assure l’officier Maxime Péloquin, le visage rougi. Sur le terrain, le froid est glacial. Lui et ses collègues sont réunis devant le bâtiment fumant. Certains travailleront 24 ou 36 heures dans ces conditions extrêmes. « Notre travail est comme ça, tu ne sais jamais ce qui t’attend », ajoute le pompier Bazinet.

La caserne où est affecté M. Bazinet a reçu 18 appels dans la nuit de jeudi. C’est plus d’une intervention à l’heure. Le service incendie de Laval peut « facilement » répondre à une centaine d’évènements au quotidien l’hiver.

Pas de cadeau de Dame nature

Deux autobus de la Société de transport de Laval tournent au ralenti tout près des lieux. C’est à l’intérieur que les pompiers vont décompresser, boire un peu et manger. Certains alternent aussi avec ceux des casernes. 

« Les rotations sont beaucoup plus grandes en raison du froid. Les pompiers sont affectés rapidement. »

— Michel St-Jean, chef des opérations

« C’est une gymnastique en constante évolution. On est en action et en réaction devant une situation qui prend de l’ampleur. On est en analyse constante au sujet de l’incendie », poursuit-il. Vers 17 h, le feu était maîtrisé et les effectifs commençaient à peine à être réduits. Sur les lieux, les pompiers continuaient d’arroser le bâtiment. Ils en avaient pour encore « cinq à six heures ».

Des pelles mécaniques détruisaient la structure. Des pompes étaient aussi attendues pour retirer l’eau abondante avant qu’elle ne gèle à l’intérieur. Tout autour, la glace recouvrait déjà le sol. « Tantôt, ça va prendre de l’éclairage », prévoyait le chef Gariépy. Au bout d’une échelle, un pompier perché tenait encore sa lance d’incendie. « Il fait froid en bas, mais lui, il est à 100 pieds dans les airs. »

Dame nature ne leur fera pas de cadeaux. La présence d’une masse d’air arctique combinée à des vents vifs devait causer un refroidissement éolien de - 38, prévoyait Environnement Canada en soirée hier. « Au pif, ça va fumer jusqu’à [ce] matin », estimait le chef Gariépy. « Là, il faut espérer que la soirée et la nuit seront tranquilles parce que les gars sont vidés. »

Actualités

Sinistrée au lendemain du Nouvel An

Stéphanie Primeau s’imaginait un début d’année bien différent. Elle profitait tranquillement du congé des Fêtes lorsqu’une odeur de fumée lui a picoté les narines, l’après-midi du 2 janvier. Le feu était là, chez le voisin. Quelques heures plus tard, elle allait tout perdre à son tour.

« C’était interminable. » Stéphanie Primeau, locataire de la rue Saint-Charles, a vu son logement et le bâtiment qui l’abritait réduits en cendres sous ses yeux. Elle a passé de longues heures à voir brûler ses souvenirs, impuissante. « Je pensais que ça n’allait pas être si mal, mais les heures passaient. L’incendie s’est déclaré vers 13 h 30 et l’intervention s’est terminée vers minuit. »

C’est un de ses voisins qui l’a avertie qu’un incendie avait éclaté chez un autre locataire de l’immeuble à cinq logements. « Je suis allée sonner, il n’y avait pas de réponse. Je suis retournée chez nous, j’ai pris mon manteau, mon sac à main. J’ai mis mes bottes, j’ai pris mon chien et je suis sortie, relate-t-elle. J’étais encore en pyjama. »

Stéphanie Primeau fait partie des 16 sinistrés aidés par la Croix-Rouge à la suite du violent incendie dans le quartier Pointe-Saint-Charles. Elle a pu trouver refuge le soir même chez des membres de sa famille. Rencontrée hier par La Presse, la jeune femme était toujours hébergée chez sa grand-mère, avec sa chienne Lola. « J’ai mes proches », remercie-t-elle.

« C’est un choc. Je ne le réalise pas encore. Je ne sais pas par où commencer. »

— Stéphanie Primeau

« On recommence à zéro finalement. Ce n’est pas comme si on s’était préparés à déménager comme pour un 1er juillet. On n’est jamais préparé à ça », raconte celle qui célébrera son 27e anniversaire le 19 janvier. « C’est comme une grosse montagne, j’essaie d’y aller un jour à la fois, avec les priorités. »

« Je ne pensais pas tout perdre »

Stéphanie Primeau, qui a terminé sa formation de courtier immobilier le 22 décembre, disposait d’une « petite assurance » habitation. Ses biens et ses meubles sont des pertes totales. Elle pourrait néanmoins récupérer quelques vêtements de ses garde-robes, croit-elle. « C’est un jour à la fois, répète-t-elle la gorge nouée. On n’a pas le choix d’être fort. »

La Croix-Rouge est venue en aide à 380 sinistrés au Québec durant la période des Fêtes, soit entre le 20 décembre et le 2 janvier. « Les bénévoles ont été très occupés », souligne la porte-parole, Stéphanie Picard. 

« Habituellement, le nombre d’interventions augmente quand il fait très froid. Dans le temps des Fêtes, ça peut être particulièrement difficile. »

— Stéphanie Picard, porte-parole de la Croix-Rouge

Juste à Montréal, ce sont 139 personnes qui ont reçu l’aide de l’organisme. « On est là pour prendre en charge les familles, trouver un endroit chaud, leur offrir du réconfort. Il faut s’assurer qu’elles ne sont pas seules là-dedans », poursuit Mme Picard. Stéphanie Primeau a pu notamment recevoir des vêtements grâce à la Croix-Rouge.

« Je ne pensais pas tout perdre, ajoute Mme Primeau. L’année 2018 a mal commencé, mais j’espère qu’elle finira bien. »

Actualités

Le temps des Fêtes propice aux incendies ?

Des incendies éclatent chaque jour depuis que l’hiver a pris racine. Les pompiers québécois n’ont pas eu de répit durant les vacances, avec un temps des Fêtes particulièrement occupé. Le début d’année s’annonce tout aussi chargé pour ceux qui combattent les flammes. Le temps glacial, surtout les froids sibériens qui tiennent Montréal depuis des jours, n’aide en rien. Pourquoi ? Survol.

Davantage d’incendies par temps froid

Quand il fait froid, il faut bien se réchauffer. Le problème, parfois, c’est que certains surchauffent leur circuit électrique, par exemple en utilisant des systèmes de chauffage d’appoint. « Ce n’est pas fait pour être utilisé longtemps et c’est installé sur un circuit qui n’a pas l’ampérage qu’il faut », explique entre autres le chef de division du Service de sécurité incendie de l’agglomération de Longueuil, Jean-Guy Ranger. M. Ranger montre aussi du doigt les fumeurs, qui, par temps très froid, seront tentés d’en griller une à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur. Les feux de foyer, l’utilisation de chandelles posent également un risque. « Il y a aussi des gens qui s’improvisent plombiers en tentant de dégeler leurs tuyaux », indique le chef des opérations du Service de sécurité incendie de Montréal, Martin Guilbault. Ce qui est à proscrire. « Faites confiance à un professionnel. »

Le temps des Fêtes particulièrement occupé ?

Le temps des Fêtes est une période propice aux incendies. Le chef Ranger rappelle que chaque année, 30 % des incendies sont causés par des feux de cuisson. « Dans le temps des Fêtes, on cuisine plus », dit-il. De plus, il ne faut pas oublier d’arroser le sapin même après le 25 décembre ou de le sortir de la maison. « C’est de la “gazoline”, un sapin sec », illustre-t-il. « Le temps des réjouissances est aussi particulièrement occupé parce qu’on doit répondre à un plus grand nombre d’interventions à tous les niveaux », assure le chef des opérations du Service de sécurité incendie de la Ville de Laval, Louis Boucher. « On a de la négligence, du surchauffage, de l’alcool au volant, des gens déprimés, des tentatives de suicide. Ce sont toutes des raisons qui expliquent que c’est une période plus chargée pour nous. »

Des conseils ?

Les autorités continuent de diffuser les mêmes messages année après année, et pourtant, ils ne sont pas toujours entendus. « Un avertisseur de fumée à chaque étage », martèle le chef Ranger. « Et ceux qui dorment la porte fermée, mettez-en un dans votre chambre », ajoute-t-il. Des propos que reprend en écho le chef Guilbault de Montréal. « Le feu se développe plus rapidement dans les nouveaux matériaux de construction des maisons. Le temps joue contre nous, il n’y a pas une minute à perdre », dit-il. Enfin, M. Ranger se désole quand il entend que des gens se sont jetés par les fenêtres pour échapper aux flammes et que certains en sont morts. « Faites un plan d’évacuation », dit-il. « Les enfants, si on ne leur en a jamais parlé, vont avoir le réflexe d’aller dans la chambre des parents. Il faut avoir un plan, un point de rassemblement. Parlez-en. »

en chiffres

Les pompiers de Laval ont répondu à 275 appels du 22 décembre au 3 janvier, dont 19 concernaient des feux de bâtiments. « Ç’a été particulièrement occupé », indique le chef Louis Boucher. À Longueuil, durant la même période, pas moins de 44 appels ont été faits, dont sept relatifs à des incendies. « C’est un nombre standard. On a eu des feux selon la météo qu’on a eue », souligne le chef Ranger. Du côté de Montréal, 17 interventions ont été liées à des incendies, contre 19 pour l’an passé durant la période des Fêtes. Le Service de sécurité incendie de Montréal a reçu 131 000 appels en 2017, « une légère hausse » par rapport à 2016.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.